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Politiques sécuritaires et criminalisation de la pauvreté (compte rendu)
María José Aldanas présente le rapport et la campagne européenne “La pauvreté n’est pas un crime” de la FEANTSA, la Fédération Européenne des Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri. Elle fait du plaidoyer et du lobby auprès de l’Union Européenne pour promouvoir la lutte contre sans-chez-soirisme. Une de leurs actions les plus connues et la conception de la typologie ETHOS, qui définit le sans-abrisme.
Le rapport se penche sur la situation dans 4 pays européens : le Danemark, la France, la Belgique et la Hongrie. Il constate que les lois et pratiques sont très similaires malgré la différence entre les pays. Il y a 1,2 millions de personnes sans-abris dans l’UE, chiffre en augmentation depuis la dernière décennie. C’est expliquable par la crise du logement, les inégalités croissantes et l’insuffisance dess politiques sociales. Les comportements de survie, dont l’occupation de bâtiments ou la mendicité, sont criminalisés dans beaucoup de pays, notamment ces 4. En Hongrie, il est écrit dans la constitution que tout séjour dans l’espace public est interdit. Toutefois, la loi sur les délits mineurs n’est pas vraiment appliquée. A l’inverse, au Danemark, les lois sont restrictives et très strictement appliquées. Ainsi, on peut passer 14 jours en prison pour avoir mendié devant un supermarché. En Belgique, les amendes pour mendicité vont jusqu’à 350 euros. En France, occuper un logement vide peut valoir 2 ans de prison ou 30’000 euros d’amendes.
Elle rappelle que la criminalisation coûte plus cher qu’une politique sociale adéquate. En Europe, la tendance est à renforcer les politiques sécurtaires envers les plus vulnérables. Dans les 4 pays étudiés, la population la plus ciblée, c’est les immigréexs raciséexs. Les recommandations de la FEANTSA sont la défense et l’accès au droit pour les personnes (permanences juridiques, accès aux interprètes, communication effective des décisions). La plus grande recommandation reste de loger et d’accompagner.
Lucile Franz (HETSL) parle du “management de la pauvreté”. Il s’agit d’une régulation hybride, avec à la fois une volonté de réinsertion et en même temps de l’exclusion et de la répression. Il y a une forme de non-action de la part des politiques sociales, et peu de nouvelles initiatives. C’est la police qui est systématiquement sollicitée pour répondre aux problématiques de drogue, et ça correspond au premier maillon de la chaîne pénale.
Jean-Pierre Tabin (HETSL, co-auteur du livre “Lutter contre les pauvres”) explique que la criminalisation des pauvres n’est pas nouvelle. Le premier rapport suisse sur les mendiants et comment distinguer les bons des mauvais date du 15e siècle. Les mendiants y sont séparés en 26 catégories ; des battues étaient organisées pour les chasser, il y avait des “chasses-gueux”... Aujourd’hui, l’espace public est un espace normé : il est régit par des lois, il y a du mobiliers anti-pauvres, etc. Le comportement des passantexs envers les personnes sans-abris n’est pas uniforme. Pour la majorité, c’est l’indifférence. Mais il y a aussi des réponses positives : par exemple, certaines bibliothèques publiques ont aménagé des manières d’accueillir les personnes sans-abris qui s’y retrouvent. Il ajoute que la LEI (loi sur les étrangers et l’intégration) est une loi d’exception, puisque seuls les gens concernés par cette loi (les étrangerexs) peuvent commettre les infractions qu’elle sanctionne.
Lucile Franz rappelle que le système pénal n’est pas neutre. Même si la mendicité, le camping sauvage ou encore le deal ne sont pas lourdement sanctionnés normalement, beaucoup de personnes sans-abris font l’expérience de la prison parce qu’iels manquent de garanties de représentation, c’est-à-dire l’ensemble de documents qui assurent que la personne ne va pas disparaitre dans la nature. C’est le même critère pour l’accès aux politiques sociales : il faut un emploi, un logement, un statut... Donc si les personnes sans titre de séjour sont arrêtées, elles sont direct placées en détention préventive, car il y a par défaut un risque de fuite. En plus, les personnes sans-abris ne sont pas éligibles aux alternatives à la prison, comme le bracelet électronique par exemple, vu qu’il faut avoir un logement.
La prison peut parfois apparaître comme une amélioration matérielle des conditions de logement dans l’instant, mais la sortie de prison est très difficile car elle rompt les réseaux de solidarité créés à l’intérieur. La prison est une institution qui infantilise les gens, qui se retrouvent ensuite démunis. Pour les personnes toxicomanes, il y a aussi la problématique de la consommation compulsive au moment de la sortie. La prison désinsère et aggrave le cercle vicieux de la précarité, à cause des dettes par exemple.
Emma Conti, juriste et étudiante en criminologie prend la parole pour présenter le concept de “crimigration”, un terme qui a été popularisé en 2006 aux Etats-Unis, dans le contexte de la War on Drugs et de la guerre contre le terrorisme. La crimigration, c’est quand des techniques propres au droit pénal (par exemple l’enfermement) sont appliquées comme outil de gestion du “problème” migratoire. Tout comme Lucile Franz parlait de la gestion managériale de la pauvreté et du sans-chez-soirisme, on peut parler d’une gestion managériale de la migration). En Suisse, le discours sur la supposée surpopulation étrangère était déjà là pendant la première guerre mondiale, mais elle augmente durant les années 90. Emma Conti rappelle qu’il serait plus judicieux de parler de “crise de gouvernance” ou de “crise de la crimigration”, plutôt que de “crise migratoire”.
Quand des techniques du droit pénal sont utilisées pour gérer la migration, ça donne des droits procéduraux très différents alors que la situation est similaire. Par exemple, dans le cas d’un enfermement pénal, si on n’a pas d’argent pour payer les frais de procédure et d’avocatex, on a le droit à l’assistance juridique. Dans le cadre de l’enfermement administratif, on a le droit à l’assistance juridique uniquement à partir de 3 mois de détention. De la même manière, le droit à un suivi psychologique adapté n’est pas reconnu dans la procédure administrative. La LEI prévoit 6 formes différentes de détention administrative et elles sont beaucoup utilisées (en 2023, plus de 2’300 détentions ont été ordonnées). Ce n’est que depuis 2019, suite à un arrêt de la Cour de justice de l’UE, que les prisonniers pénaux et administratifs sont dans deux ailes de prison séparées. Rappelons que la pratique de détention administrative est critiquée par la commission nationale de la prévention de la torture.
En résumé, la crimigration, c’est :
- quand le droit des personnes étrangères intègre de plus en plus d’éléments du droit pénal sans garantir les droits procéduraux.
- la politique pénale qui cible particulièrement les personnes étrangères
- le langage, avec des termes comme “flux”, “transit”, “problème”, “crise”, qui forge un discours public déshumanisant et qui est en lien avec les politiques crimigratoires
L’idée d’enfermement est associée (consciemment ou non) à un acte répréhensible, donc quand un comportement migratoire est associé à une détention, on assimile ça à une culpabilité et on accepte le traitement répressif, voire violent à l’encontre des migrantexs. Il est important de noter que cette criminalisation ne répond pas à un danger effectif. Il y a une correlation entre les périodes de crise économique et les discours xénophobes, racistes et crimigratoires. Par contre, il n’y a pas de lien entre le renforcement de la criminalisation de la migration et le taux d’immigration ou le taux de criminalité.
Luca Gnaedinger, militant et chercheur sur les prisons en Suisse et le contrôle de l’immigration dans une perspective abolitionniste, explique qu’il y a 70% d’étrangers dans les prisons suisses. C’est un cas extrême en Europe, et un phénomène récent. Pourquoi ce chiffre ? Certes, il y a beaucoup d’étrangers en Suisse, entre autres parce que le droit de la nationalité fait que les gens restent étrangers longtemps, parfois sur plusieurs générations. Mais en prison, les étrangers les plus représentés sont les immigrés de première génération sans permi de séjour. Et ce, alors qu’ils représentent 1 à 2% de la population du pays et que selon les statistiques policières, ils ne sont pas plus criminels que les nationaux.
Le racisme d’Etat implique des discriminations directes - par exemple de la part des policiers danss les rues - et indirectes - comme l’exemple donné par Lucile Franz sur la détention préventive pour cause de risque de fuite. Il y a également une criminalisation de la migration, c’esst-à-dire un an de prison pour séjour illégal sur le territoire suisse, et jusqu’à 3 ans si les autorités ont été induites en erreur. On peut citer les jeunes migrants sans-abris qui ont dit être mineurs pour bénéficier de l’aide aux mineurs et qui ont ensuite écopé d’années de prison. Certains actes ne sont des crimes seulement si on se retrouve devant la police : par exemple, insulter un policier. Donc forcément, si on n’est jamais confronté à la police, on ne risque pas de condamnation. D’autres pratiques, comme ouvrir un cabanon de jardin pour y dormir, ou encore voler, sont punies.
De plus, les jours-amendes [1] sont un système où la peine pécuniaire est proportionnelle au revenu des gens, mais avec un plancher à 10 francs par jour minimum pour les personnes sans-abri. Pour beaucoup, c’est une somme impossible à payer, et donc elle est forcément convertie en peine de prison.
Les migrants dans les prisons suisses viennent du Sud global, des anciennes colonies européennes ou des marges racialisées des pays européens : Algérie, Maroc, Tunisie, Albanie, Kosovo, Nigeria, Afghanistan, Turquie... Cela reflète l’inégal accès à la mobilité dans la forteresse Europe et une division coloniale du monde.
La criminalisation de l’immigration permet de produire des travailleurs clandestins qui sont d’accord d’accepter des conditions de travail inacceptables, les basses besognes qui ne peuvent pas être délocalisées (construction d’immeubles, travail de soin, restauration, livraison). Il y a aussi le travail - que certains considèrent comme de la réinsertion - pour la prison elle-même pour pour l’industrie ou l’agriculture, où les gens sont payés 3,50 francs de l’heure.
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Témoignage d’un immense
Un membre du syndicat des immenses raconte comment il est devenu sans-chez-soi. Il a 60 ans et vient de Roumanie, où il a vécu dans un système dicatorial communiste où tout le monde travaillait. Ensuite, 4 millions de Roumains ont perdu leur travail. Ses parents avaient des problèmes avec les autorités. En 2011, il perd son travail et pendant 5 ans, il ne trouve rien sauf occasionnellement et au noir. Il vient ensuite s’installer à Bruxelles, pour le travail mais aussi pour découvrir une autre culture. Il trouve des contrats d’interim, mais pour s’intégrer, on a besoin d’un numéro national belge, d’un logement. Il commence tout de suite à prendre des cours de néerlandais et de français, et il commence à faire du bénévolat et du théâtre amateur. Il n’y a pas beaucoup de place pour dormir dans un centre d’hébergement. Il travaille comme ouvrier dans la construction à plusieurs endroits. A cause du covid et des interdictions de circuler à plusieurs, il ne peut plus aller travailler. Son colocataire vole son argent et part en Roumanie. Il essaie de partir et de transporter ses affaires dans un petit box qu’il a réussi à louer, mais il se fait attaquer et on lui vole toutes ses affaires. Par la suite, il n’a plus d’argent pour payer le box, alors il répartit ses affaires dans 5 consignes gratuites, et ce qui ne rentre pas, il le met à donner sur le trottoir. Il reste un an sans carte d’identité, puis il rentre en Roumanie pour refaire une carte d’identité, en se domiciliant chez une connaissance. Il fait des pieds et des mains pour récupérer une carte bancaire, mais la banque lui annonce sans explication ne plus vouloir collaborer avec lui. Son patron l’escroque deux fois et a récupère l’argent qu’il aurait dû toucher lui pendant la crise sanitaire. Ses conditions de travail sont très dures. Pour être sur le chantier à 7h, il doit se lever à 3h40 et faire 2km à pied pour attendre la camionnette. Il travaille de 7h à 17h avec une pause de 1h, 6 jours par semaine. Il refuse l’offre de travailler le dimanche également, mais il y a une pression à travailler plus tard, ça lui arrive de travailler jusqu’à 23h. Un jour, on l’attaque et on lui vole son téléphone. Il réussit à économiser de l’argent mais les proprios refusent les candidats qui reçoivent le revenu d’intégration sociale. Par miracle, il trouve un proprio d’accord, mais ensuite il se rend compte que son argent n’est plus là où il l’avait laissé. Il tente d’aller chez le médecin, mais il n’a pas les bons papiers. Aujourd’hui, il est sans-chez-soi, sans revenu. Il doit téléphoner chaque jour à 14h pour avoir une place d’urgence. S’il n’y a plus de place, il faut téléphoner à 22h. Il a mal partout et est âgé, mais ça ne suffit pas. Avant, en hiver, il suffisait d’avoir plus de 50 ans pour avoir un lit. Maintenant c’est 65 ans. Comme il est malade et qu’il fait beaucoup de bénévolat, il a le droit à 3 nuits sans appeler. Il conclut en proposant de marquer le doit au logement dans une future constitution européenne, de faire un syndicat des immenses international et de faire un tribunal pénal pour les dirigeants de ce monde s’il y a un mort de plus dans la rue.
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Témoignage d’une immense
Violette, membre du syndicat des immenses, prend la parole et raconte son parcours. Après des études de journalisme à Paris et Dublin, elle s’installe à Bruxelles avec son mari médecin. Elle subit un violent accident de trotinette est est hospitalisée. Originaire du Bénin, elle décide de rentrer pour rassurer sa famille. Puis le covid arrive et elle ne peut plus rentrer à Bruxelles, car les frontières sont fermées. Son père tombe malade et meurt, et elle reste pour soutenir sa mère. Elle n’arrive plus à joindre son mari et elle remarque que ses comptes bancaires son bloqués. Lorsque les frontière rouvrent, un ami lui paie un avion pour Bruxelles. Mais quand elle rentre, elle trouve dans le courrier un jugement de divorce rendu par défaut, pour abandon du domicile conjugal. La commune lui dit qu’ils ont envoyé plein de courriers. Son mari a dit au proprio qu’ils laissaient tomber l’appartement, donc une semaine plus tard, elle est mise dehors par la police et les huissiers. Elle se retrouve sur le trottoir avec toutes ses affaires. Une connaissance lui propose de la loger pendant un petit moment. Au début ça va, elle lui demande de lui payer un mois de loyer et un mois de garantie. Mais ensuite elle est chassée et, vu qu’elle n’a rien signé d’officiel, elle ne récupère pas son argent. La police l’amène au SAMU social, dans un grand centre d’hébergement. Elle est très choquée : la porte ressemble à une porte de prison, les gens déambulent, lui font peur. On lui pose plein de questions super intrusives. Vers 2h du matin, on l’emmène dans une chambre et elle s’écroule. Les jours suivants, elle n’arrive pas à manger mais lit beaucoup et se lie d’amitié avec une femme dans la bibliothèque du centre. Vu qu’elle va mieux, on lui dit qu’elle doit sortir tous les matins à 8h et appeler à 14h pour réserver une place pour la nuit. On lui explique enfin qu’elle a perdu sa maison et qu’elle ne pourra plus retourner chez elle. Avec d’autres filles, elle va dans un centre de jour, où tu as le petit-déjeuner et le déjeuner gratuit si tu fais « usager aidant ». Elle accepte de parler et d’être prise en photo par une femme qui s’intéresse à son histoire. Mais ensuite, l’article sort sans qu’elle soit consultée, pour faire de la pub au centre. Ça lui vaut des sanctions du SAMU social, qui pense qu’elle a touché de l’argent pour ça. Elle est considérée comme une bonne à rien, comme une sans-chez-soi comme les autres. Elle passe par une phase de surprise, puis par une phase de déni. Sans adresse, tu n’existes pas. Heureusement, tu peux avoir une adresse de référence auprès d’un centre public d’assistance sociale (CPAS), mais c’est un combat en soi. Chaque jour, il faut attendre 1h au téléphone pour assurer sa place, c’est épuisant. Là où elle fait du bénévolat, elle ne mange pas la même chose que les autres, elle n’utilise même pas les mêmes toilettes, comme si elle était forcément sale. On lui pose des questions très intimes, sur son orientation sexuelle, sa vie, son vécu... Un jour, elle dit à une assistante sociale qu’elle est journaliste et qu’elle avait été mariée à un médecin, et l’assistante sociale lui demande si elle fabule, si elle prend ses rêves pour la réalité ! Elle conclut : « Pas de démocratie sans un logement pour toustes. Et qu’il soit choisi et non subi ! »
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Témoignage d’un immense
Un membre du syndicat des immenses raconte son parcours de sans-chez-soirisme. Il décrit son enfance traumatisante, la perte de ses deux parents, les abus sexuels qu’il a subi et sa consommation d’alcool lorsqu’il était encore enfant. Il tire une causalité entre cette enfance très pénible et le sans-chez-soirisme qu’il vit à présent, bien que la séparation avec son ex-femme soit le marque début de la spirale descendante - au centre de laquelle il y a l’alcool. Très choqué après le rejet par la famille de son ex-femme et de cette dernière, il recommence à boire. Puis il doit partir de son domicile parce que le bâtiment va être vendu. Il est d’abord logé par un voisin, mais ensuite se retrouve sans-chez-soi à Bruxelles. Il ne trouve pas d’accompagnement social et administratif. Ensuite, il trouve un appartement pour lui et ses deux filles, mais des moisissures rendent l’appartement insalubre. La propriétaire l’en rend responsable en disant qu’il ne chauffe pas assez, qu’il ne s’occupe pas de l’appartement. Il contacte la ville, qui déclare l’apartement inhabitable et exige qu’il parte. Il regrette de l’avoir contactée, car la ville ne lui fournit pas de solution de relogement. Grâce à une asso, il trouve un appartement. Mais il est trop cher pour lui qui vit grâce à une aide sociale. Puis il doit partir, car le proprio veut relouer plus cher. Il est de nouveau dans la rue. Une assitante sociale lui trouve une place dans une maison d’accueil. Il n’est plus sans-abri mais toujours sans-chez-soi. Il est victime de violences à l’intérieur de la maison. Il trouve ensuite un appartement géré par une Agence Immobilière Sociale, mais il est dangereux : une fenêtre tombe un jour vers l’intérieur et aurait pu tuer quelqu’un. Ce n’est pas réparé. Fâché, il a décidé d’arrêter de payer le loyer. Il se rend compte après coup que c’est une erreur, parce qu’il est ainsi juridiquement en faute. Les proprios se débarassent de lui, il se retrouve à nouveau dans la rue. L’asso qui le suivait lui dit qu’elle ne peut plus s’occuper de lui. La rue, c’est un milieu très dur, surtout quand on est pas dans une communauté nationale. Il y a beaucoup de vols, de violence. Pendant un moment, il cohabite dans un petit appartement avec un autre homme, un catholique qui essaie de le convertir, alors que lui est Juif. Le loyer qu’il lui demande est très élevé. Il boit beaucoup et se dispute avec l’autre homme, alors il est mis à la porte. Il prend contact avec le service social. Une éducatrice sociale l’aide à chercher un appartement. Pendant quelques nuits, il squatte le jardin de la maison de son ex-femme. Puis il est placé dans une maison de repos. La vie là-bas est très compliquée, il y a beaucoup de suicides. Il est emmené de force dans un hôpital psychiatrique. Puis il trouve une place dans une maison d’accueil. C’est là qu’il est actuellement. Tout son revenu y passe et la nourriture est horrible. Grâce à un programme Housing First, il va bientôt intégrer un appartement entièrement rénové à un prix raisonnable pour lui. Il voit la lumière au bout du tunnel en mars prochain. A présent, il veut sortir de la dépendance à l’alcool. Il ne boit déjà plus d’alcool fort, et veut essayer de ne plus boire quand il sera installé. Pour lui, le militantisme est hyper important. S’il ne revient pas au syndicat des immenses, il n’a plus rien. Il veut reprendre son travail de documentation photographique pour documenter le sans-chez-soirisme.
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Les 4 pilliers du sans-chez-soirisme persistant
Le syndicat des immenses est venu de Bruxelles ! Les immenses, c’est les personnes sans logement ou en mal logement.
La question n’est pas : “pourquoi il y a de plus en plus de sans-chez-soirisme ?”, mais : “pourquoi il y en a encore ?!”.
L’abolition du sans-chez-soirisme est possible et bien entendu souhaitable, et en plus économiquement rentable ! Alors pourquoi est-ce qu’il persiste ? Parce qu’il repose sur 4 pilliers :- le hiérarchisme : toutes les vies humaines n’ont pas la même valeur
- le désuniversalisme : le deux poids, deux mesures : à situation égale, traitement différent
- l’allomorphisme : mise en place pour les sans-chez-soi de dispositifs auxquels les concepteurs ne recourraient jamais (quel concepteur d’hébergement d’urgence y a déjà passé une nuit ?)
- la nécropolitique : punir les sans-chez-soi d’être encore vivants en rendant leur vie impossible
Et si c’est trop difficile à retenir, pas de souci : le syndicat des immenses a plein d’images mnémotechniques pour se rafraîchir la mémoire :
Vous en voulez encore ? Alors il faut aller voir leur site !
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Sans-abrisme, précarité et drogues : quels liens et quels enjeux ? (compte rendu)
Fabrice Olivet, de l’association Autosupport des usagers de drogues, commence par rappeler que lorsque l’on parle de métiers pénibles que personne ne veut faire et qui reviennent aux plus précaires qui n’ont pas le choix, ça concerne également la revente de drogue. Il faut changer de paradigme par rapport au fait que la drogue, c’est mal. Il cite par exemple l’épidémie du sida, qui était entre autres due à l’interdiction en France d’acheter des seringues. Cette logique doit être remplacée par une logique de réduction des risques.
Dimitri, un membre du Sleep-in et de l’association Accueil psycho-social précarité et exclusion, revient sur son expérience de consommateur et de sans-abri. Dans les processus de cure, on te dit que le problème, c’est la drogue. Il questionne ça. Est-ce que la drogue c’est le problème, même dans une situation de sans-abrisme, où tu vis la violence, le froid ? Est-ce que la drogue est la conséquence de la rue ou bien le contraire ? Les substances aident à affronter l’existence et les présenter comme le problème enferme les consommateurices dans la culpabilité. Il met en lumière qu’en terme de petits délits de drogue, les personnes précaires sont défavorisées car les amendes impayées deviennent des peines de prison.
Fabrice Olivet ajoute que la drogue peut créer de la rupture sociale, mais qu’on en parle rarement comme une fonction de survie, d’évasion. La question de la drogue est souvent essentialisée à celle qui est visible alors qu’en cure, on croise plein d’autres profils (par exemple des personnes qui font des métiers difficiles, comme des cuistots). La grande majorité des gens qui consomment des drogues ne sont pas dans la rue. La consommation de drogue globale est en hausse et c’est déploré, alors qu’il faudrait plutôt juste le constater. Ce qu’il faut combattre, c’est les dommages que ça créé, qui ne sont pas corrélés à la quantité de drogue consommée globalement. De plus, on parle toujours de l’offre de drogue via des mythes, tout est fait pour que ça serve à la répression. On parle rarement de la demande, alors qu’elle est massive. La Suisse est un pays assez précurseur en terme de réduction des risques. Il y a depuis un certain moment des salles de consommation, des substituts légaux... Mais il y a également l’idée de cacher la misère.
Dimitri raconte son parcours où le logement était conditionné à l’abstinence. Dans un foyer post-cure, des prises d’urine (PU) régulières étaient faites. Si des traces de drogue étaient trouvées, tu es exclu pour 5 jours. Et ça veut dire 5 jours de rue. Cette mise en échec par de la conso ramène à la case départ et crée des allers-retours interminables entre la rue et les institutions.
Il explique que la réduction des risques dans les salles de conso ne devrait pas juste vouloir dire pouvoir utiliser du matériel sécurisé et éviter les overdoses. Ça devrait aussi être pouvoir manger, se reposer, se laver... Dans les hébergements d’urgence, les personnes qui consomment sont très stigmatisées - par les autres usagerexs mais aussi par les professionnellexs qui ne savent pas comment réagir. Du coup, beaucoup n’y vont pas. Les solutions sont donc insuffisantes. Le Répit (Lausanne) a fermé alors qu’il apportait un bout de solution.Une intervenante dans le public rappelle que les femmes dépendantes vivent une double peine en terme de stigmatisation. Dans le canton de Berne, peu de place leur est alloué et elles choisissent ou subissent souvent le travail du sexe pour s’en sortir. Fabrice Olivet ajoute que la place des femmes dans les réseaux de la drogue est souvent méconnue ou fantasmée. En réalité il y a un large réseau de femmes blanches et socialements intégrées qui dealent et sont complètement invisibles [2].
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Politique de la pénurie et principe d’inconditionnalité : vers un accueil digne pour touxtes (compte rendu)
Banc public à Fribourg
Louise Reymond (re)présente Banc Public à Fribourg. C’est l’un des trois centres d’accueil de la ville avec la Tuile (accueil de nuit et réinsertion dans le logement) et le Tremplin (accueil de jour bas seuil, addictologie, réduction des risques, housing first pour les personnes dépendantes).
Banc Public, c’est pour toutes les personnes qui souhaitent venir, sauf les mineur.e.s non-accompagné.e.s. C’est pour les personnes sans domicile et pour celles qui ont besoin d’un lieu de vie ou encore d’un endroit où avoir des conseils. Il y a des repas à 5 francs et des boissons gratuites, ainsi que la possibilité de prendre des douches et de faire la lessive, entre autres. Banc Public est fincancé par le canton de Fribourg et la Loterie romande qui leur imposent des contraintes politiques, notamment sur les catégories de personnes qu’on peut accueilir ou non.
La mendicité est interdite en ville de Fribourg et en ville de Bulle. L’association Banc public a servi 85 repas par jour, 7 jours sur 7 et 365 jours par an en 2024, mais la précarité augmente et les infrastructures actuelles ne sont plus assez grandes. Pour l’instant, c’est supportable et l’association va déménager dans un espace plus grand, mais il n’y a pas la volonté de la part des pouvoirs publics d’augmenter le nombre de places.
Le CausE à Genève
Aude Bumbacher présente le CausE (Collectif d’associations pour l’urgence sociale). Il est créé en 2019 quand 200 tentes sont plantées sur la plaine de Plainpalais pour dénoncer le manque de places d’accueil.
Il installe ensuite des sleep-ins dans plein de lieux comme des églises et pendant le covid, il organise des hébergements dans des hôtels. Dès 2023, il accède à un nouveau bâtiment, un hôtel transformé en hébergement d’urgence. A Genève, la loi sur l’aide aux personnes sans abri, votée en 2021, garantit la couverture des besoins vitaux. Mais le règlement associé à cette loi introduit la notion de durée limitée de séjour. En outre, une directive de l’Association des Communes Genevoises définit de manière restrictive la personne sans-abri comme une peronne dépourvue de solution de logement immédiate et qui est mise en danger par ça. Donc le cadre légal est tout de même très restrictif, avec une durée d’accueil de 30 jours par an et par personne.
Le Sleep-in à Lausanne
Tshahé Anongba Varela, membre du Sleep-in, explique que l’association “héberge” des personnes sans domicile pour la nuit, sans poser de question. A Lausanne, il y a des catégories dans les personnes sans-abri :
- G1 : les personnes qui ont un permis
- G2 : les personnes avec des problèmes de santé, les femmes, les mineurs, les personnes avec un contrat de travail, les personnes qui ont plus de 60 ans
- G3 : les autres, donc surtout les hommes sans papiers
Les groupes G1 et G2 sont priorisés.
L’argument de l’appel d’air
Le sociologue Edouard Gardella explique que quand on parle de “manque de place”, on raisonne en terme d’offre et de demande qu’il faudrait égaliser. Donc soit on augmente le nombre de places (c’est par exemple la posture des élu.es de gauche), soit on baisse la demande, ce qui revient à exclure des personnes (par exemple via des OQTF en France) ou à désinciter les personnes à venir en réduisant la qualité et la quantité des places offertes. Dans cette fiction, les personnes sans-abri (et également les personnes migrantes) sont présentées comme des homos economicus qui font un calcul coût/avantage : si l’offre est accesssible et de qualité, alors les gens viendront en masse. C’est l’argument de l’appel d’air, qui est souvent invoqué alors qu’il n’a jamais été démontré.
Tshahé Anongba Varela rappelle les facteurs qui encouragent ou découragent les gens à se rendre dans des hébergements d’urgence :
- la connaissance : beaucoup de gens ne savent pas qu’il y a des hébergements d’urgence. Moins on connait, plus on se sent exclu.
- la sécurité : beaucoup de femmes et de personnes queer n’osent pas venir car ce sont des espaces précaires, avec beaucoup d’hommes, etc. Certains hommes n’osent pas non plus venir pour d’autres raisons.
- les horaires : il faut se lever tôt, attendre jusqu’à 21h que ça ouvre quel que soit le climat, le degré de fatigue...
- le confort : par exemple, ça arrive que des personnes “préfèrent” dormir dehors plutôt que de dormir dans un lieu avec des punaises de lit.
L’argument de l’appel d’air est un argument déshumanisant et classiste, c’est l’idée qu’on peut laisser n’importe quoi sur la table et les pauvres vont se jeter dessus. Non, les pauvres s’autodéterminent, ont des préférences, font des choix (notamment dans leurs parcours migratoires ou dans quel hébergement iels veulent essayer d’aller).
A Genève, sur 500 places d’hébergement, 140 places se trouvent dans des bunkers, notamment un bunker pour familles au 3e sous-sol sous un collège. L’idée est que l’inconfort est indispensable, parce que si les gens sont trop bien, ou peuvent rester la journée par exemple, iels vont rester.
Le tri entre les sans-abris
Hélène Martin, de la HETSL, explique que s’il y a pénurie, il y a tri, et donc des critères moraux ou de mérite sont utilisés pour définir qui a le droit à de l’aide. Ainsi, celleux qui n’y ont pas vraiment droit mettraient en danger le dispositif en l’utilisant de manière abusive. Pourtant, barrer à la fois l’accès au marché du travail capitaliste et à l’aide sociale, ça produit forcément des situations de sans abrisme inextricables.
A Genève, dans les hébergements d’urgence, y a que au CausE où les gens peuvent être domiciliéexs, ce qui représente un vrai frein d’accès, parce que pour les démarches administratives, on a besoin d’une adresse. Les autorités disent au CausE qu’il n’a pas le droit de domicilier les personnes sans-abris chez lui (même si ça peut leur permettre de sortir de la précarité et de l’urgence sociale), mais le CausE le fait quand même.
Penser au-delà de l’hébergement d’urgence qui ne permet pas de sortir de l’urgence
Louise Reymond raconte que comme les gens se sont passés le mot que Banc Public donnait à manger gratuitement aux enfants, la structure distribuait aujourd’hui des repas à 5 fois plus d’enfants qu’il y a un an. Banc Public se demande dans quelle mesure il s’agit là d’une réponse à un problème puisque de toute évidence, cela démontre que le problème réside dans le fait qu’un nombre important de familles sont tenues légalement et politiquemet à l’écart des prestations qui leur permettraient de nourir leur enfant.
Aude Bumbacher évoque le manque de considération du fait que la population précarisée vieillit. Il n’y par exemple aucun EMS pour personnes sans-abris. Cela montre que de façon plus générale, les autorités voient les personnes sans-abris sans leur spécificité, comme c’est le cas par exemple pour les personnes présentant des troubles mentaux. Il faut réfléchir de façon plus pluridisciplinaire pour accompagner des gens qui ne sont pas que des hommes d’une trentaine d’années ou des familles, mais des gens de 7 à 77 ans qui sont dans des situations différentes les unes des autres.
Tshahé, du Sleep-in, insiste sur l’importance de régulariser les personnes. Pour une bonne partie, iels peuvent et veulent travailler, qui veulent être utiles pour elleux, pour leur famille et pour la société.
On peut constater c’est souvent des personnes qui font le travail que personne ne veut faire, par exemple travailler dans les égoûts. Il s’agit d’une guerre contre les pauvres, et pas contre la pauvreté. Les travailleureuses du sleep-in doivent choisir parmi toutes ces personnes celles qui auront le droit ou non de rester dormir, ce qui est une sorte de ricochet de maltraitance. Les membres du sleep-in essaient alors de considérer les blessures des uns, les états psychiques des autres, en laissant souvent les personnes d’apparence “plus robuste” à la rue. Il est évident que de ce fait, ces personnes “plus robustes” développent d’autres genres de traumatismes.Edouard Gardella revient sur l’anecdote que racontait le collectif 43m2 de ce mati : il est justement important de comprendre pourquoi ce flic lausannois a dit que les sans-papier ne sont pas des sans-abris, comme il faut comprendre pourquoi des politicien.nes parlent d’appel d’air. Il faut faire selon lui un travail pour parler de la “disposition à l’égalité”. Rappeler que cette disposition est contruite socialement, et qu’il est important de “dénaturaliser” les catégories sociales. Ainsi on pourrait tendre à une société plus égalitaire.
Hélène Martin finit le tour de parole en ajoutant que la société pathologise et altérise les personnes sans-abris. Il faut donc faire un travail de fond pour ré-humaniser ces personnes, rendre visibles et audibles leur expériences pour que la société se projette et se retrouve avec elles dans une même catégorie d’humains. Ces personnes disent elles-mêmes que le fait d’être logées les font de sentir à nouveau comme des humains.
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Présentation du Collectif 43m2
Hier matin la journée a commencé par une présentation du collectif 43m2. 43m² c’est la surface moyenne habitée par une personne dans le Canton de Vaud. Derrière cette moyenne se cachent des réalités bien différentes : certainexs possèdent des surfaces immenses, souvent inutilisées, tandis que d’autres n’ont que la rue.
Effectivement que veut dire une moyenne comme celle-là dans une société inégalitaire ? C’est une moyenne entre des extrêmes. On peut mettre d’un côté Shania Twain et son château de 46 pièce sur le bord du lac Léman et de l’autre toustes celleux qui dorment dans la rue qui ont 0m2. 0m2 pour se réunir, 0m2 pour avoir des moments d’intimité, 0m2 pour refaire le monde, etc.Le collectif 43m2 dit que c’est un crime de laisser des gens à la rue parce que la rue tue et qu’il faut donc le dénoncer.
Le système déshumanise les victimes de cette situation et qui les éloigne de l’humanité qui serait la nôtre. Ce système ne tient pas à une logique sérieuse mais à des stéréotypes qui se diffusent dans la société.
Parmi ces stéréotypes, il y par exemple le clochard, une personne qui serait malencontreusement tombée dans cette situation dont il serait responsable. Il y a évidemment les stéréotypes diffusés sur les roms et sur les gens du voyages et puis celui sur l’immigration irrégulière. De toute évidence la déshumanisation des personnes étrangères a son fonctionnement propre pour les tenir à l’écart de leur droits, notamment le droit à un toit.
Pour exemplifier, le collectif donne une anecdote : Alors qu’un autre collectif venait d’ouvrir un maison pour y loger des personnes à la rue, des agents de police ont débarqué pour faire on-ne-sait-trop-quoi. À ce moment là, le collectif d’habitation avait déjà commencé des négociations auprès du propriétaire qui était enclin à leur octroyer un contrat, mais cette information n’a pas intéressé les agents. En répondant aux questions de la police, le collectif annonce que la maison accueillera des personnes sans-abris, ce à quoi un agent a répondu qu’il n’y avait pas de sans-abris à Lausanne. Fortes de leur connaissances du terrain , les personnes du collectif qui sont soit des personnes concernées soit des travailleureuses sociales ont pu assurer qu’il y avait bien des personnes qui vivaient à la rue. Pour couronner magnifiquement leur argumentaires, les agents on ajouté un : « ah mais c’est des sans papier, pas des sans abris. »
Cela démontre selon le collectif que le sans-abrisme n’est absolument pas perçu par la société comme un problème de société justement. Et c’est pour combler ce problème que 43m2 travaille d’arrache-pied. Dans cette perspective, 43 m² dénonce la charité qui renvoie à la responsabilité individuelle : « c’est de l’apitoiement alors qu’il faut justement désindividualiser le problème. »
La société crée le sans-abrisme, que ce soit par l’altérisation des personnes sans-papier ou en suivant les logiques de l’immobilier entre autres C’est pour ça que 43m2 est là, pour mieux comprendre ces problématiques.L’occupation du jardin de l’HETSL
En 2022, 43 m² a occupé le jardin de l’HETSL où se passe le forum aujourd’hui. Voici un cours historique :- Printemps 2022, comme d’habitude, les hébergements ferment au printemps. La logique dite du thermomètre derrière ça, c’est les politiques qui disent que ce qui est dangereux, c’est le froid
- 43m2 s’allie avec des gens et occupe le jardin de l’HETSL avec une première revendication : stop à la politique du thermomètre. Le collectif argumente que ce n’est pas le froid qui tue mais la rue : mourir d’hypothermie ou à petit feu, c’est la même chose
- Le collectif monte en deux heures le plus grand centre d’accueil du Canton de Vaud avec 60 places et qui a pourtant été saturé en une semaine.
mourir d'hypothermie ou à petit feu, c'est la même chose
Retombées institutionnelles
La ville de Lausanne a invité en 2022 43m2 à participer à une table ronde sur le sujet des hébergements d’urgence. Alors que les personnes concernées, elles, n’étaient pas invitées, ce qui est tout le temps le cas et ce qui reste un énorme problème.Ensuite, certains des constats sur le sujet se retrouvent pour la première fois posés sur papier par l’HETSL :
- Les accès aux hébergements sont problématiques et sont la source d’exclusions systémiques
- Il faut un meilleur accès à plus de soin.
- Il faut des solutions 24h/24h
Malheureusement, on sait bien que les réponses institutionnelles à ce genre de constats, c’est de mandater toujours plus d’études pour avoir toujours plus de constats mais que trop souvent, les applications des décisions prises sur la base de ces études traînent, de telle sorte que les études deviennent datées et qu’il faille en refaire.
En 2023, comme la situation était toujours la même, le collectif occupe le Théâtre de Vidy mais cette occupation-là n’aura duré que deux heures avant qu’il ne doive partir face à une présence policière démesurée.
Suite à cet épisode déroutant, le collectif a pris le temps de réfléchir la campagne qu’il a aujourd’hui lancée, après avoir mis en place une diversité des tactiques. Cette diversité consiste à autant faire des débats, des mobilisations, etc, en réfléchissant au but de ces actions disruptives, à savoir une méthode choisie pour attirer l’attention, et de toute évidence cet objectif a été atteint sans que le collectif en soit le principal responsable, mais peu importe.
Cette méthode divise, ce qui leur a été des fois reproché, mais les représentantes de 43m2 rappellent que c’était bien le but.Les horizons de lutte
En réalité, les hébergements d’urgence n’ont jamais été l’horizon politique du collectif. C’est pas ce qui est souhaité au final. Non seulement un hébergement d’urgence, c’est désagréable et ça ne règle rien mais c’est même contre-productif. 43m2 insiste sur le fait qu’il faut une politique bien plus courageuse concernant le logement et le mal logement
Comme le disent certaines études, il faut considérer le sans-abrisme, non pas comme des cas individuels malheureux, mais comme le résultat évident des politiques de logements et sociales. Les hébergements ne sont que des solution palliatives.La campagne
Le collectif 43 m² parle donc d’une campagne qui est articulée autour de leurs revendications et dont le forum constitue un des axes.
Un des autres axes est le lobbying politique qui parait nécessaire pour influer sur le renvoi de balle permanent qui se fait concernant le sans-abrisme entre les différents niveaux politiques et les institutions.
Par exemple, comme le canton peut financer, mais que ce sont aux communes de proposer des solutions, iels ont envoyé leur brochure à 600 exemplaires à tous les conseillers communaux de tout le canton et à tous les conseillers vaudois et ont monté une coalition contre le sans-abrisme avec différents acteurs politiques, notamment des élus d’autres communes.
Le dernier axe tout aussi important est celui d’entendre et donner la parole aux personne concernées. Un groupe de travail a été mis sur place et a sorti ce manifeste qui a été dit et entendu ici hier. -
“Sans-abrisme, précarité et drogues : quels liens et quels enjeux ?” aujourd’hui 14:45 au Forum du sans-abrisme
Interview publique avec Fabrice Olivet de l’association Autosupport des usagers de drogues.
Si l’usage et la revente de drogues en rue ne sont qu’une fraction visible de la question, la stigmatisation les entourant est croissante. À Lausanne, le sujet est au coeur des débats, qu’il s’agisse de la répression contre le deal de rue ou de l’ouverture d’un espace de consommation sécurisé. -
Un collectif de personnes sans-abris prend la parole et présente son manifeste pour pouvoir habiter, travailler et participer
En fin d’après-midi, un collectif de personnes sans-abris de l’agglomération lausannoise vient se présenter et lire leur manifeste, qui s’adresse aux politiques, aux fonctionnaires, aux journalistes et aux citoyen.ne.xs suisses, directement, sans intermédiaire. Ce manifeste est aussi affiché sur les murs de l’HETSL.
Most of us are educated, most of us have skills. We are here to tell the officials what we need. We really want to integrate society. We need to work.
Les membres du collectif viennent majoritairement du Biafra.
En tant que biafran au Nigeria, nous ne sommes pas en sécurité, nous nous faisons contrôler même sur nos propres terres. La situation s’empire de jour en jour et les tueries sont constantes.
Ils dénoncent l’hypocrisie du système migratoire suisse.
Tout le monde connait notre existence, nous sommes enregistrés au bureau des réservations, nous allons à la soupe populaire tous les jours, pourtant, nous n’avons pas le droit de nous projeter dans un avenir ici. Tout le monde y perd. Nous voulons participer et contribuer à la société. Nous sommes reconnaissants de l’aide que nous recevons, mais cette situation est déshumanisante : nous ne sommes pas ici pour ne faire que manger et dormir.
Ils expliquent ensuite la réalité de la rue, le nombre de place insuffisant et le danger de l’hiver.
Aujourd’hui, à l’approche de l’hiver, quand nous allons au Bureau des réservations, nous devons souvent attendre 4, 5 jours pour avoir une place où dormir. Il y a parfois seulement 4 lits disponibles pour 80 personnes dans le besoin. Même les travailleur.eusexs, après avoir travaillé toute la journée, n’ont pas de place pour dormir. Le problème c’est que tout le monde est renvoyé vers les hébergements d’urgence, peu importe leur situation personnelle. Certaines personnes auraient besoin d’accompagnements ou de soins spécifiques, mais tout le monde est renvoyé au même endroit.
Enfin, ils réaffirment leur besoin d’être intégrés à la société, d’être considérés comme des citoyens pouvant participer.
Notre présence ici n’est pas une menace, nous ne sommes pas le problème. En rendant nos vies stressantes, fatigantes, en nous criminalisant et en nous harcelant, nous sommes poussés à faire ce que vous ne voulez pas qu’on fasse. La paix est impossible quand le système nous traite comme des animaux, fragilise notre situation, notre santé, nous prive d’opportunité, nous désempouvoire et nous ôte notre autonomie.
Ils terminent en insistant sur la priorité : avoir un endroit où dormir et des papiers.
Il nous faut des papiers qui nous permettent d’aller en cours, d’apprendre la langue, de chercher du travail, de m’inscrire à des cours d’informatique. Là, la carte que j’ai sert à rien. Même quand on la montre à la police, elle sert à rien. La carte ne sert à rien en soi, c’est pour qu’elle nous permette de s’intégrer dans la société.
Quand quelqu’un dans la salle leur demande s’ils ont accès à des soins, l’un d’entre eux répond qu’il prie juste pour ne pas mourir.
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Présentation de la base de données de 43m2
43m2 a fait un taf incroyable : une frise chronologique de le mise à l’agenda politique de la question du sans-abrisme dans le Canton de Vaud. Sur cette frise, il y a notamment un recensement des actions du collectif 43m2 et des activités du conseil communal de Lausanne, ce qui permet de voir les retombées d’actions militantes sur la politique institutionnelle.
Pour se plonger dans la frise et l’évolution de la lutte contre le sans-abrisme, c’est ici !
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Sans-abrisme et précarité résidentielle en Suisse romande. Enjeux de construction d’un champ de recherche et de politique publiques (compte rendu)
Frédérique Leresche, Giada de Coulon et Annamaria Colombo présentent leur recherche sur le sans-abrisme des femmes et le non-recours aux dispositifs de soutien, ainsi que leur projet de court-métrages filmés par des personnes sans-abris pour parler de précarité résidentielle.
Dans le canton de Vaud, il y a de 370 à 430 places d’hébergement occupées, alors que les permanences infirmières de Médecins du monde estiment le nombre de personnes sans-abris à 700. Il est important de comprendre la dimension temporelle dans le sans-abrisme : il peut être de courte durée, prolongé, récurrent, ou même saisonnier. Les politiques publiques du sans-abrisme se construisent sur le paradigme de la prise en charge de l’urgence, pour ne pas dormir dehors. Il “suffirait” de mettre une personne à l’abri une nuit pour qu’elle puisse ensuite se réinsérer, trouver un logement, un emploi... Alors que ce n’est pas ce que montrent les recherches et les acteurices sur le terrain.
30% des personnes sans-abris en Suisse romande sont des femmes, mais les services d’hébergement d’urgence en recensent peu. Alors où sont-elles ?? Les chercheuses se sont entretnues avec 18 femmes entre 23 et 68 ans qui déclarent connaître des difficultés de logement (depuis leur naissance ou depuis très récemment), avec ou sans enfants, avec ou sans emploi, avec ou sans permis.
Malgré les parcours de vie très différents, une constante dans leurs récits, c’est la violence subie, qu’elle soit par des proches, sexuelle, ou par les institutions. Pour les femmes, la maison n’est souvent pas un lieu de refuge. Beaucoup de femmes se retrouvent dans une précarité de logement suite à un choix, souvent courageux : quitter un mari violent, quitter une institution contrôlante, quitter un pays. L’impact du racisme structurel et des lois migratoires sur leur parcours est énorme. Finalement, elles déclarent souvent ne pouvoir “compter que sur elles-mêmes” - ni sur leurs proches, ni sur les institutions.
Lorsque les femmes sans-abris ont un enfant, la norme de la “bonne mère” est une responsabilisation oppressive. Elles se battent pour que leur enfant aille à l’école, ait à manger, etc. Si c’est découvert qu’elles dorment dans un lieu collectif par exemple, elles ont peur qu’on leur retire leur enfant - ce qui arrive parfois véritablement. Avoir un enfant d’un homme suisse lorsqu’on a pas les bons papiers, c’est aussi compliqué. Certaines femmes ont l’impression d’abuser de leur statut de mère lorsqu’elles obtiennent un permis via leur enfant. Elles doivent prouver au reste de la société qu’elles peuvent s’occuper de leur enfant, qu’elles peuvent être une bonne mère malgré leur situation.
Les lieux d’hébergement d’urgence ne sont pas faits pour les familles, alors qu’elles sont nombreuses. Parfois les familles sont séparées pour aller dormir. Une conférencière raconte le cas d’une femme admise avec ses enfants dans un hébergement d’urgence avec ses enfants, devant jeter une couverture par la fenêtre à son mari resté dehors.
Les femmes sans-abris ont besoin d’un endroit à soi, où on peut décider de fermer la porte, d’allumer la lumière, de faire bouillir de l’eau. Si on a pas la possibilité de se poser, on reste sur le qui-vive en permanence. Elles ont besoin de rester maitresses des décisions de leur vie, garder leur dignité et gagner en autonomie. Pour beaucoup, elles ne se sentent pas légitimes, surtout à cause de la stigmatisation de la toxicodépendance, du manque de statut de séjour ou de la racialisation.
Les politiques publiques veulent réinsérer les gens sur le marché de l’emploi, dans l’idée qu’on se construit en tant qu’individu dans son autonomie par rapport à l’Etat. Il y a une injonction à sortir de la précarité et de l’aide sociale le plus rapidement possible. Les personnes qui restent précaires sont responsabilisées pour leurs supposés mauvais choix : ce serait leur faute si elles perdent leur emploi, si elles n’ont pas un assez bon CV, si elles ne cherchent pas assez activement, etc. Alors que l’inégalité est structurelle et demande donc des réponses structurelles. L’accès au marché de l’emploi est très limité, donc même les personnes qui arrivent à “stabiliser” leur situation restent très précaires.
C’est assez récent que la Suisse s’intéresse au sans-abrisme. C’est surtout le cas dans les grandes villes, mais les plus petites villes s’y mettent aussi. Ainsi, la semaine passée, le journal fribourgeois La liberté a sorti un article sur le sujet. On vit un moment charnière en Suisse, on construit collectivement une définition du sans-abrisme et les meilleures manières d’accompagner les personnes. Il faut à présent sortir du paradigme de l’aide individuelle dans l’urgence.
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Les jeunes sans-abris : une catégorie oubliée dans les politiques sociales cantonales (compte rendu)
Yann Bochsler (HES-SO) vient nous présenter sa recherche sur les jeunes sans-abris, une catégorie particulièrement vulnérable et hétérogène.
C’est difficile de s’accorder sur une définition du sans-abrisme, à part que c’est une forme extrême d’exclusion du marché du logement. Il peut s’agir de personnes vivant dans la rue, dans des hébergements d’urgence, dans hébergement pour immigréexs, avec un habitat précaire, menacéexs d’expulsoin, ou encore menacéexs de violences domestiques. Les chiffres sont aussi difficiles à estimer : selon des études [3], il y aurait entre 2’740 et 3’810 personnes sans-abris en Suisse. Pour Genève, ça représenterait 730 personnes [4].
En Suisse, la confédération n’est pas responsable, ce sont les cantons et les communes qui sont compétentes au sujet du sans-abrisme. Pourtant, très peu de cantons ont des plans d’action contre le sans-abrisme, et la Röstigraben est forte : les cantons alémaniques sont bien moins impliqués que les cantons romands. Ainsi, Genève a été le premier canton à introduire une loi de lutte contre le sans abrisme et la ville de Lausanne a un plan d’action.
Les causes du sans-abrisme sont multiples :
- détresse financière (manque de revenu et dettes)
- problèmes de santé (addictions, maladies chroniques)
- migration (par exemple des personnes sans papier qui ne peuvent pas demander l’aide sociale)
- violences domestiques, conflits familiaux ou discriminations anti-LGBTIQ+
Les jeunes sans-abris sont parfois de jeunes femmes enceintes, des jeunes sans papiers, des jeunes avec dépendances ou des maladies psy, des jeunes queers qui ont dû partir de chez elleux... Iels sont en marge de la société (par exemple en n’arrivant pas à avoir un travail) et on peut parler de “yoyoisation des parcours de vie”, c’est-à-dire que les trajectoires scolaires et professionnelles sont de plus en plus discontinues. De plus, le passage à la majorité est souvent un moment charnière car les mesures de protection de l’enfance s’arrêtent et les jeunes se retrouvent à devoir gérer leurs problèmes seulexs.
Il y a un réel besoin de structures d’accueil ! A Zurich et Berne, deux centres d’hébergement (Nemo et Pluto) ont ouvert récemment et ont été direct remplis. Comme toutes les personnes sans-abris, les jeunes sans-abris ont un accès inégal à un soutien. C’est dû au fédéralisme : il y a un système différent dans chaque canton, et la situation est très différente selon quels papiers les jeunes ont.
Quand je devais rechercher un petit studio, c’était assez compliqué. Je n’étais plus chez mes parents. Il fallait que j’aille à Point Jeunes. Après j’ai demandé à avoir une assistante sociale et comme je n’avais pas de toit et pas de foyer, c’était beaucoup plus compliqué et il fallait que j’attende. J’ai eu l’opportunité à voir des amies... des escaliers... comme ça.
20 ans, Genève
Et puis je me suis fait virer de chez moi et puis j’ai été sans-abris pendant deux à trois semaines. Et là, j’ai pu être hébergé par des collègues. Je me suis adressé au service social, mais ils ne voulaient pas m’aider, Ils m’ont dit “oui tu peux être à la maison, tu dois voir chez toi si tu peux régler ça.”
21 ans, Bâle
Le principe de subsidiarité veut que l’Etat analyse au cas par cas si la détresse est vraiment réelle. Pour l’Etat, il faut donc en priorité réconcilier les jeunes avec leurs parents avant d’intervenir et de leur fournir du soutien. Ce principe de subsidiarité génère donc de fait des passages de sans-abrisme pour les jeunes. De plus, la formation professionnelle reste la priorité des cantons, et non l’accès au logement. L’aide sociale fait un tri dans qui est soutenu : la politique ciblée est teintée de l’idée de retour sur investissement, c’est-à-dire qu’on aide les jeunes qui ont l’air d’avoir un avenir (par exemple qui vont bientôt terminer un apprentissage). En gros, on favorise les “bons jeunes précaires”.
La conférence se termine avec l’affirmation qu’il faut évidemment plus de structures d’accueil, mais pas n’importe lesquelles. Par exemple, le partage d’espaces ne permet pas une appropriation de l’habitat et l’ancrage qui est nécessaire pour des mineurs dont l’attachement premier a été rompu. Il faut donc plus de logements de qualité.
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Incertains abris : pratiques et épreuves de l’habiter en situation précaire (compte rendu)
Maud Reitz (Observatoire des précarités, HETSL) présente son étude sur les pratiques de recours à l’habitat précaire, qui recoupent beaucoup de situations différentes (caravanes, installations de fortune dans la rue, logements insalubres, squats…). Il s’agit ici de personnes privées de domicile personnel, qui ne sont donc pas vraiment sans abri. Leurs habitats sont souvent perçus à travers le manque, avec une vision misérabiliste et surplombante. Pourtant, ces espaces ne se résument pas à leur supposée inhabitabilité. Les personnes qui ont des habitats précaires sont soit perçues comme des victimes démunies (sans ressources économiques, sociales ou culturelles, en mauvaise santé...) soit comme des coupables ou des indésirables qui ne respectent pas les lois et les normes sociales. Cette vision est binaire et stigmatisante. Elle leur dénie la capacité de s’auto-organiser.
La conférence se concentre sur 2 types d’habitat précaire : le camping résidentiel et l’hébergement chez des tiers. Dans ces deux cas, il s’agit de solutions de repli indispensables, mais qui contribuent à minimiser la responsabilité des pouvoirs publics dans la crise du logement, et relativiser le type de réponse qui doit y être apportée. L’étude se base sur une enquête ethnographique sur 15 mois avec 19 particpantexs, des entretiens et des observations.
Le camping résidentiel
Les personnes vivant dans cette situation sont souvent de jeunes adultes en formation, des travailleureuses saisonnierexs (surtout issuexs de l’UE), des personnes sans emploi qui survivent grâce à l’aide sociale), ou encore des retraitéexs avec de petits revenus.
Le camping est une solution de repli opportune car le coût est plus bas que le marché libre. Il peut donc s’agir d’une alternative préférable et plus durable. Et ça peut aussi permettre à plus de gens d’être propriétaires de leur habitat. Donc ça offre une forme de stabilité et un cadre plus sécurisant, où il est possible de se poser et de plus bouger. C’est aussi un lieu de vie sociale, avec des moments de convivialité, des formes de solidarité. On peut s’approprier un espace de vie, y a pas besoin de répondre à un proprio, c’est un peu une reprise de contrôle sur son environnement de vie.
Évidemment y a pas que du positif : les contraintes matérielles sont nombreuses. Les infrastructures sont complètement inadaptées à l’hiver (par exemple, l’eau est souvent coupée pendant l’hiver et les factures de gaz et d’électricité augmentent énormément). Si l’été, l’habitat s’étend sur toute la parcelle (avec des chaises, des tables,...), l’hiver représente un repli et une exigüité des habitats, ce qui limite l’entretien des relations sociales et qui représente donc un retour à l’isolement.
Dans le canton de Vaud, l’habitat permanent dans un camping n’est pas reconnu, mais toléré sous conditions depuis 2010. Souvent, les gens bricolent une solution en déclarant une résidence principale chez unex proche. Une autre restriction, c’est que les proprios des campings peuvent fixer et modifier les règles concernant l’habitat (nombre de visites autorisé, pas le droit de tailler sa haie...). Et ça peut donner des pratiques abusives, comme des contrats rompus, des tarifs qui augmentent. Il n’y a pas d’homogénéité entre les tarifs sur tout le camping, comme on dit c’est fait “à la tête du client”. De plus, même si on est propriétaire de son habitat (par exemple un mobile home), on est quand même locataire de la parcelle. Donc si le camping ferme, on risque de devoir abandonner son habitat car le déplacement d’un mobile home est très coûteux et les gens se sont souvent endettés pour l’acheter. En plus, c’est dur de retrouver une place dans un autre camping qui accepte des résidentexs à l’année. Le camping, ça reste un marché, même si c’est un inframaché du logement : il y a une offre limitée et un grand pouvoir des gérants. Aussi, les campings pas chers se font rares, car les proprios adaptent les loyers aux montants de l’aide sociale.
L’hébergement chez des tiers
Ce type d’habitat concerne tout type de personnes : des jeunes adultes, des personnes sans statut de séjour ou en transition entre deux logements, des travailleureuses saisonnierexs... Il s’agit d’une solution fondée sur des arrangements informels, dans la sphère privée, ce qui invisibilise complètement la problématique. Habiter chez des tiers, ça peut être :
- un hébergement chez des proches
- un hébergement citoyen : une initiative d’acteurs civils (souvent collectifs, mais aussi des paroisses par exemple)
- un hébergement chez des particuliers avec qui on a aucun lien
Dans tous les cas, ça demande des ressources sociales
Habiter chez quelqu’un, ça représente un moment de répit, l’occasion de faire des démarches administrative, de se reposer, de rechercher un logement plus pérenne. ça permet de créer, maintenir ou renforcer des liens sociaux. ça permet aussi de d’être soutenuex, par des proches par exemple.
Pendant cette période où je vivais dans ma voiture, quand j’allais chez mes potes, c’était cool. Le fait d’avoir un support émotionnel, des gens qui me disaient : “c’est ok tu peux te laisser aller, t’es safe ici, on est dans un appart”. ça m’a beaucoup aidée à me sentir de nouveau écoutée et à me reconstruire
Marie, 30 ans, au chômage, Suisse
Mais habiter chez quelqu’un, c’est aussi une relation asymétrique, un sentiment de redevabilité et la mise en place de formes de compensation. Quand on a des ressources financières, on essaie de remplir le frigo, d’acheter des bières et des cigarettes, de payer un bout de loyer. Mais quand on a pas de thune, on essaie de compenser autrement, par exemple en faisant le ménage.
Every morning, I wake up, I clean the kitchen, throw everything in the bin, throw the bottles in the trash, sometimes I cook, so everybody is happy, you know. Also, there are some stuffs I shouldn’t eat because I get sick, but I eat them because I don’t want to tell them. I don’t want to be rude, that’s why.
Assan, 29 ans, sans statut de séjour, Etat tiers
Cette asymétrie est source de mal-être et de tension. Parfois, elle expose à des formes d’abus, lorsque des contreparties sexuelles sont plus ou moins attendues.
Ce qui est compliqué avec les mecs c’est qu’au début tu te dis “c’est cool, je vais pouvoir me poser, je vais être à l’aise” et puis très vite ils font des petites allusions où tu sens qu’ils attendent quelque chose de toi, C’est toujours ça qui est compliqué. Faire attention à ce que tu dis parce qu’il faut pas non plus froisser et prendre le risque de se faire foutre dehors. Et puis en même temps, être suffisamment sympathique, mais ne pas trop ouvrir la porte et que ce soit mal interprété. Franchement c’est épuisant.
Laura, bénéficiaire AI, Suisse
Le partage des espaces entraine parfois une proximité subie très compliquée, qui engendre un épuisement physique et psychique intense et restreint la capacité à maintenir des activités (sociales ou professionnelles). Pour faire face à ça, les gens mettent en place une stratégie de restreinte, en utilisant les espaces communs avec parcimonie ou en limitant l’occupation du logement autant que possible. En gros, iels se font “tout petits”, ce qui aggrave l’instabilité permanente. On a une absence de prise sur la durée du séjour, surtout quand les hébergeureuses ont aussi un statut précaire (ex : maison squattée).
Conclusion
Pour ces deux formes d’habitat, les solutions informelles constituent des variables d’ajustement invisible, c’est-à-dire que les autorités s’appuient dessus pour ne pas gérer les personnes sans-abris. Ce transfert de responsabilité minimise la responsabilité des pouvoirs publics et a de graves répercussions sur les conditions d’existence et le parcours des individus. Aussi, ça invisibilise le problème et empêche de poser un véritable diagnostique sur les phénomènes d’exclusion liés au logement.
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Les revendications de 43m2
Quand on arrive, il y a plein de ressources dispo. Notamment les revendications du collectif 43m2, c’est-à-dire :
- davantage de places dans les hébergements d’urgence !
- des hébergements d’urgence ouvert à tous.tes !
- une décriminalisation du sans-abrisme et la fin de la répression !
- des logements pour tout le monde !
Les revendications sont à lire ici !
Aujourd’hui commence le Forum du le Sans-Abrisme à Lausanne, Renversé.co s’est entretenu avec un membre du Collectif 43m2 qui coorganise cet événement.
Pour rappel 43m² est né en 2022, dans le Canton de Vaud, à la suite d’un constat d’échec du dispositif cantonal d’hébergement d’urgence et du dispositif bas-seuil. Son nom, 43m², c’est la surface moyenne habitée par personne dans le Canton de Vaud. Derrière cette moyenne se cachent des réalités bien différentes : certains possèdent des surfaces immenses, souvent inutilisées, tandis que d’autres n’ont que la rue.
Entre occupations, autres actions et débats avec des institutions et des politicien.ne.s Renverse.co s’est intéressé à leur méthodes protéiformes. Renverse.co sera aussi au forum pour vous assurez quelques comptes-rendus des discussions et conférences.
Il semble que vous cumulez les stratégies allant de l’action directe jusqu’à des espaces de débats en collaboration avec des milieux institutionnels, comment le collectif a-t-il imaginé ça ?
On voit ca plutôt comme une seule stratégie plus globale composée d’éléments qui ne s’opposent pas. Une stratégie globale contre le sans-abrisme pour laquelle on joue, en tant que collectif , une multitude de rôles différents dont certains qui pourraient être pris par d’autres. Et c’est ce qu’on souhait justement à cette lutte. Si on était beaucoup plus, différents individu.e.x.s, collectifs et ou autres organisations pourraient alors s’occuper de chacun des aspect d’une telle lutte commune. Pour le moment, on est plutôt seul comme orga militante alors on réfléchit comme si on était plusieurs entités.
Concrètement, ça a quoi comme effet le fait que 43m2 ait mené a bien tant des occupations pour pour faire des espaces d’accueil autogérrés, que d’autres actions symboliques, et un forum sur le sans-abrisme ?
Pour ce qui est du cas de 43m2, on pense que le fait que ce soit le même collectif qui fasse ces différents types d’actions fait passer les actions directes comme presque normales. Ca participe d’une certaine façon à asseoir leur légitimité.
De manière générale, au-delà du système d hébergement d'urgence, il paraît nécaissaire que la lutte contre le sans-abrisme s’inscrive dans une lutte plus large pour la dépénalisation et la décriminalisation, conjointemment aux luttes anti-carcérales par exemple.
Tu parles là des modalités d’action, des différentes formes possible, qu’en est-il du contenu ?
Jouer le jeu du débat comme ce sera le cas lors de ce forum sur le sans-abrisme, c’est une façon de faire entendre aussi nos conclusions et revendications dans un autre genre de contexte et on l’espère avec un autre impacte possible.
De toute évidence, le personnes issues du mon académique/scientifique et qui travaillent sur le sujet arrivent aux mêmes conclusions que nous. Par exemple, l’étude sur les hébergements d’urgence de l’école de fribourg mandatée par le Canton de Vaud tire ces même constats évidents, comme une sous-évaluation du système d’urgence, un manque de place en tout temps mais surtout en été (qui montre les limites de la poitique du “thermomètre”) et le besoin de mettre en place des hébergements ouvert 24h sur 24h.
On peut penser que, c’est triste d avoir besoin de scientifiques pour valider un discours militant. On voit pas le truc comme ça. Pour nous, c’est plutôt qu’on attend des politiques qu’ils prennent des décisions rationnelles en se basant sur des travaux pertinents et approfondis sur le sujet ainsi que sur les expériences de terrain. Dans le collectif, on est une bonne majorité à être des travaileureuse.x.s sociale.x.s en lien avec ce terrain et il nous a semblé évident d’embarquer ces personnes plus scientifiques et académiques dans cette lutte pour porter avec nous nos revendications. Cet événement c’est aussi ça, une rencontre entre des gens de terrains et des académiques.

Tu dis qu’une bonne partie de vos constats et réflexions sont partagées par le côté académique représenté par l’HETSL(Haute École de Travail Social) qui coorganise et accueil l’événement. Dès lors, quels sont vos apports qui sont propres à un collectif militant comme 43 m² ?
Un projet que nous présenterons le jeudi, c’est une base de données en forme de frise chronologique de le mise à l’agenda politique de la question du sans-abrisme dans le Canton de Vaud. Un des éléments que soulève cette frise c’est l’importance des des activités militantes et de leur relais via les médias pour faire du sans-abrisme un sujet politique. Ce rôle propre à des organisations militantes, de politiser et de médiatiser un sujet par des actions concrètes et symboliques, est crucial et nous sommes effectivement les seul.e.x.s à en parler.
Un deuxième élément qui me paraît primordial, c’est l’importance selon nous d’élargir la question du sans-abrisme aux politiques raciales et racistes et à la criminalisation des personnes étrangères. Alors que d’autres disent qu’il n’est pas pas sérieux de mélanger ces sujets, nous affirmons aux contraires que ces problèmes systémiques ont un lien et se nourrissent parmi.
De manière générale, au-delà du système d’hébergement d’urgence, il paraît nécaissaire que la lutte contre le sans-abrisme s’inscrive dans une lutte plus large pour la dépénalisation et la décriminalisation, conjointemment aux luttes anti-carcérales par exemple.
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