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Manifester, c’était mieux avant !

La CGDM (coordination genevoise pour le droit de manifester) a produit un rapport sur l’état actuel de l’exercice de la liberté de réunion pacifique dans la législation genevoise – autrement dit, sur les manifs. La situation est alarmante : pratiques illégales de la police et de la BRIC, acharnements judiciaires, mesures dissuasives et répression arbitraire sont la norme. Si les milieux militants connaissent malheureusement trop ces situations, il est important de les partager et révéler la face sombre de l’État. Voici donc un bref résumé du rapport.

Genève |

En 2012 a été votée une révision de la LMDPu (Loi genevoise sur les manifestations sur le domaine public). Elle prévoit de fortes restrictions au droit de manifester – pourtant considéré comme un droit fondamental. Voici en résumé les restrictions.

1. Régime d’autorisation préalable
La nouvelle législation perpétue le régime d’autorisation préalable. Pour pouvoir faire une manifestation, une demande doit être soumise au Département de la sécurité, de l’emploi et de la santé. Pourtant, la plupart des États ont une pratique beaucoup plus souple : le régime de notification préalable, qui ne demande qu’une information préalable aux autorités compétentes.

Récemment, la Cour européenne des droits de l’homme a salué la Russie, pourtant connue pour ses restrictions et répressions de manifestation, qui vient d’adapter le régime de notification préalable.

Il est clair que le régime actuel d’autorisation préalable est dissuasif ; mais ce serait trop simple s’il suffisait d’avertir les flics avant de faire une manif…

2. Délais et frais
En plus du régime d’autorisation préalable, les demandes de manifestations doivent être déposées 30 jours à l’avance (48h pour des cas urgents). Depuis que Mauro Poggia (MCG) est en charge du Département de la sécurité, de l’emploi et de la santé, les autorités facturent des « d’émoluments administratifs » si les délais pour le dépôt de la demande de manifestation ne sont pas respectés. Ces frais varient entre 20.- CHF et 500.- CHF. Mais dans la pratique – on s’en doutait, M. Poggia -, les émoluments facturés sont quasiment toujours le maximum légal, soit 500.- CHF. À cela s’ajoutent encore plusieurs centaines de frais de voirie, de stationnement, d’assurance et de TPG qui sont enclins à refacturer les perturbations occasionnées sur leurs lignes.

Grosse somme pour organiser une manifestation. Cette mesure sert surtout à empêcher par les voies administratives et financières l’organisation de manifs. En effet, il est plus difficile de contester des émoluments administratifs que des amendes, bien que les deux aient la même fonction. Ça n’empêche pourtant pas M. Poggia de poursuivre la voie « classique », à savoir mettre de bonnes vieilles amendes aux organisateurice.x.s comme on le verra après.

A titre d’exemple, la police a demandé cette année au comité unitaire « 8 mars » de repousser sa manif car le délais de 30 jours n’avait pas été respecté… Pourtant, il est évident qu’une manif du 8 mars n’aurait aucun sens de se tenir le 15 mars.

L’introduction de ces frais administratifs est encore une fois une mesure dissuasive, d’abord parce qu’il est souvent compliqué de s’organiser 30 jours à l’avance pour les collectifs militants dont l’agenda politique est variable en fonction de l’actualité, ensuite parce que faire un recours contre cette mesure demande un engagement financier qui oscille entre 500.- CHF et 1’000 .- CHF, hors frais d’avocat.e.x.s.

3. Conditions
La nouvelle loi de 2012 donne carte blanche aux flics pour fixer les conditions de la manif ; lieu, date, heure, parcours, etc. Pour négocier, il faut se rendre au poste de flics – ce qui n’est en soit déjà pas agréable – pendant plusieurs heures, pendant les heures de boulot, et subir les comportements oppressifs et sexistes des flics.

Mais ça ne s’arrête pas là ; lors d’une manif organisée par la Slutwalk, les flics auraient demandé de lire les banderoles et écouter les slogans avant la manif… De plus, ils refusent systématiquement que les manifs passent ou s’arrêtent devant les lieux symboliques ; ambassades, consulats, entreprises pour les piquets de grève, etc.

Ceci est d’autant plus grave qu’un arrêt de 2005 du tribunal administratif genevois autorise les manifs devant les lieux symboliques. Encore une mesure dissuasive, mais aussi illégale.

4. Sanctions contre les organisateurice.x.s
Si aucune demande d’autorisation n’est posée avant une manif, la loi prévoit une amende qui peut aller jusqu’à 100’000.- CHF. Le problème est que ce cadre légal ne prévoit pas la possibilité d’une action collective, sans organisateurice.x spécifique…

Les exemples d’amendes sont innombrables ; ce qu’il faut savoir, c’est qu’elles sont fréquemment prononcées à partir des rapports de la BRIC (Brigade de recherche et d’îlotage communautaire, soit la police politique). Pourtant, lorsque les personnes s’y sont opposées, les amendes ont toutes été classées par le Service des contraventions ou ont fait l’objet d’un acquittement par le Tribunal de police.

Ces classements ou acquittements prouvent le caractère répressif de ces sanctions mais aussi l’illégalité de ces amendes et témoignent d’un acharnement judiciaire important.

5. Sanctions contre les participant.e.x.s
La loi permet d’amender toute personne qui pourrait « causer un dommage à la propriété » [sic], ou qui a une tenue qui ne permette pas de l’identifier.

On se souvient du cas des personnes amendées suite à une manif de soutien à l’Usine en 2015. Les personnes ont finalement été acquittées, et leur frais d’avocat.e.x.s remboursés (40’000.- CHF). En mars 2019, lors d’une manif de la Grève du Climat, 24 personnes ont été interpellées, et ont toutes reçues 1’000.- CHF d’amende plus 150.- CHF de frais de dossiers.

Ces sanctions contre des participant.e.x.s aux manifs sont d’autant plus problématiques car, lorsque les personnes sont de nationalité étrangère, la police communique systématique son rapport au SEM (Secrétariat d’État aux migrations) ou à l’OCPM (Office cantonal de la population et de l’immigration).

Conclusion
La législation et la pratique genevoise vont à l’encontre de l’exercice de la liberté de réunion pacifique, soit à l’encontre du droit de manifester. Par des mesures particulièrement dissuasives et restrictives, la police et la BRIC empêchent que l’on puisse manifester sereinement. Certaines de ces mesures sont mêmes illégales.

De plus, les restrictions sur le droit de manifester par la LMDPu semblent inapplicables ; plus d’une vingtaine de personnes ayant fait opposition ont été acquittés ou classés par le Service des contraventions ou le Tribunal pénal. Aucune amende ne paraît avoir été confirmée par le Tribunal.

Le pouvoir judiciaire souligne donc implicitement que la législation genevoise n’est pas applicable ; pourtant, ça ne semble déranger ni le Conseil d’État, qui pour l’instant n’a rien entrepris pour assouplir cette loi, ni la Direction de la police – mais elle, on s’attendait à ce qu’elle ne fasse rien.

Alors, manifester, c’était mieux avant ? Avant quoi ? Avant 2012 et tout cas. Et avant 2019.
Faudra-t-il bientôt organiser une manif pour défendre le droit de manif ? Peut-être.
Faut-il continuer à contester systématiquement les amendes et émoluments par des recours ? Certainement.
Faut-il continuer de manifester quelle que soit la législation genevoise, quitte à se retrouver en dehors du cadre légal ? Absolument, pour la sauvegarde de nos droits et de nos luttes.

Recommandations de la CGDM

  • Abandon du principe de l’autorisation préalable au faveur du système de la notification préventive ;
  • Délivrance d’autorisation de manifester devant les lieux symboliques, soit notamment les Missions diplomatiques ainsi que les lieux de travail concernés par un conflit syndical ;
  • Suppression du délai de 30 jours pour soumettre une demande d’autorisation de manifester ;
  • Suppression de la possibilité de percevoir un émolument pour les manifestations à caractère politique ;
    Interdiction à la Police de communiquer ses rapports relatifs à des faits relevant de l’exercice de la liberté de réunion pacifique aux autorités administratives (SEM et l’OCPM) cela jusqu’à l’entrée en force d’une éventuelle décision condamnatoire ;
  • Suppression des dispositions pénales de la LMDPu ;
  • Renonciation à poursuivre tout.e.x participant.e.x à une manifestation pacifique lorsque l’intéressé.e.x n’a pas commis personnellement, à cette occasion, un acte répréhensible et propre à créer un réel danger pour autrui.

Pour lire le rapport complet, clique ici.

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P.S.

Presque toutes les informations sont directement tirées du rapport de la CGDM.
Tu galères pour organiser une manif ? Envoie un mail à droitdemanifester@riseup.net

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