Le 30 août 2021, la police vaudoise tue à nouveau une personne noire. Qui était l’homme qui se faisait appeler Nzoy ?
Carlos Hanimann
Nous sommes un lundi soir fin août, 18 heures, heure de pointe, quand un bruit sourd retentit à deux reprises sur le quai de la gare de Morges. Un homme s’écroule, puis se relève. Quelques secondes plus tard, un autre coup de feu retentit. L’homme ne se relève plus.
Un policier le menotte. D’autres policiers arrivent. Ils se tiennent à quatre autour de la personne mourante.
Puis il ne se passe rien.
Pendant près de quatre minutes, les policiers restent là, sans aider l’homme qui meurt sur place.
Des témoins oculaires filment la scène, le "20 minutes" et "Blick" publient les images peu après.
La police écrit dans un communiqué de presse que l’homme était armé d’un couteau. Un témoin oculaire affirme que l’homme s’est précipité vers les policiers avec un morceau de pierre. L’enquête pénale contre la police est en cours ; le Ministère public vaudois ouvre une enquête pour meurtre.
Peu après, le "Blick" parle de "l’homme au couteau" qui a "forcé" les agents à lui tirer dessus. La victime se transforme en coupable. Un peu vite, le journal fait le lien entre l’homicide et un autre : Le cas ressemblerait au meurtre commis un an plus tôt par un fondamentaliste islamiste à proximité immédiate de la gare. "Des souvenirs (...) remontent à la surface refont surface ?", écrit le journal.
Il y a une chose que le "Blick" et d’autres médias (suisses alémaniques) n’écrivent pas : L’homme tué par les policiers était noir - et sa mort rappelle une série d’autres cas de violences policières mortelles contre des Noirs dans la région de Lausanne.
Un homme profondément croyant
Mardi dernier, trois semaines après les coups de feu mortels, plus de 100 membres de la famille, amis et connaissances se rassemblent devant le crématorium de Sihlfeld à Zurich pour faire leurs adieux à l’homme tué à Morges : Nzoy, 37 ans, né et élevé à Zurich, fils d’un Suisse blanc et d’une Sud-Africaine noire. "Nzoy" était le nom qu’il s’était donné.
Il écrivait des poèmes, était fan du rappeur Tupac Shakur - et c’était un homme très croyant, raconte le pasteur Markus Giger en ce chaud mardi après-midi de mi-septembre à Zurich.
Le pasteur avait fait la connaissance de Nzoy il y a 17 ans, lorsque le jeune homme, alors âgé de 20 ans, cherchait un emploi et était venu à la Streetchurch pour cela. Nzoy était différent de la plupart des jeunes hommes de son âge, dit Giger. Dès le début, il a voulu lui parler de sa foi. Deux ans plus tard, Nzoy a annoncé au pasteur qu’il voulait se faire baptiser par lui. Une profonde amitié les a liés pendant de nombreuses années - jusqu’à la fin.
Lors de la cérémonie funéraire, le pasteur Giger déclare avec conviction : "Si Nzoy a menacé un policier avec un couteau dans cette gare de Morges, c’était l’expression d’une tragique confusion, d’un désarroi qui s’est manifesté ces derniers mois".
Nzoy était très fatigué ces derniers temps, contrairement à ce dont ses amis avaient l’habitude : Avant, Nzoy faisait rire tout le monde, raconte un ami lors de la cérémonie funéraire. Mais depuis le début de l’année, il était psychologiquement atteint. Le pasteur Giger et la famille de Nzoy s’en sont aperçus et lui ont conseillé de demander une aide professionnelle. Nzoy avait développé des peurs, il était confus. Mais il avait refusé toute aide.
Un jour de fin août, Nzoy, 37 ans, est monté dans le train en direction de Genève, il est finalement descendu à Morges, a erré dans la gare, sur les voies. Personne ne sait ce qu’il faisait là. Peu de temps après, il était mort.
Devant le crématorium de Zurich, un puissant "Amandla !" résonne maintenant dans les haut- parleurs, le cri du mouvement anti-apartheid sud-africain. Le poing en l’air, la communauté endeuillée répond : "Awethu !" D’abord de manière un peu hésitante. Puis de plus en plus fort.
L’homme qui se tient au micro est Mandu dos Santos Pinto, un ami de la famille, coordinateur d’Exit Racism Now et co-organisateur d’une marche funèbre à Zurich qui aura lieu le même soir.
"Que faisait Nzoy à Morges ?" a demandé peu avant le pasteur Markus Giger. "Pourquoi est-il descendu précisément là ? Qu’est-ce qui l’avait perturbé à ce point ? Se sentait-il menacé ? Pourquoi la police n’était-elle pas mieux préparée ? Pourquoi ces malheureux coups de feu ? Pourquoi n’ont- ils pas pu le calmer ? Pourquoi ne l’ont-ils pas arrêté autrement ? Pourquoi l’ont-ils laissé allongé pendant plus de quatre minutes ? Pourquoi personne ne l’a aidé ? "
Il n’y a pas que ses amis qui se posent ces questions lors de la cérémonie d’adieu. Mais aussi plusieurs centaines de Noirs et de personnes « racisées » qui sont descendus dans la rue le même soir dans plusieurs villes de Suisse pour protester contre le racisme et les violences policières. Ce sont des questions auxquelles personne n’a encore répondu aujourd’hui.
Que s’est-il passé à Morges ?
Pour les manifestantExs de mardi soir, il est clair que Nzoy est mort parce qu’il était noir. Le père de Nzoy a déclaré à un journaliste de "24 Heures" que son fils avait manifestement des problèmes psychiques : "Alors pourquoi lui tirer dessus ? Il devait y avoir une autre possibilité d’intervention. S’il avait été blanc, il ne serait pas mort."
Que s’est-il donc passé ce lundi soir fin août à Morges ?
Selon le récit de la police, plusieurs témoins et les vidéos dont les médias romands ont également fait état, Nzoy est arrivé à Morges vers 16h45 par un train en provenance de Genève. Là, plusieurs témoins affirment l’avoir vu se promener sur les voies. Il n’a pas tenu compte des avertissements lui signalant que c’était dangereux.
Vers 18h, la police a été informée qu’un "homme agité" se trouvait à la gare de Morges. Selon la police, Nzoy, qui se trouvait sur le quai entre les voies 4 et 5, a été rappelé à l’ordre. L’homme de 37 ans a alors sorti un couteau et s’est montré menaçant, ce qui a conduit un policier à tirer trois fois sur Nzoy.
Dans son premier communiqué de presse, la police a écrit qu’elle avait immédiatement prodigué les premiers soins.
Mais peu après, des vidéos ont montré que c’était une fausse information.
Un policier a certes attaché Nzoy, qui était à terre, peu après qu’il ait tiré trois fois, mais lui et ses collègues ont ensuite hésité. Pendant plus de quatre longues minutes, les policiers sont restés debout autour de l’homme mourrant, sans rien faire. Ce n’est que lorsqu’un passant (qui se trouvait par hasard être un infirmier) est arrivé que Nzoy a été réanimé.
La police a ensuite dû corriger sa présentation erronée des faits dans un autre communiqué de presse, sans donner d’autres explications.
La vie de Nzoy aurait-elle pu être sauvée si on lui avait porté secours immédiatement ? C’est actuellement l’objet de l’enquête en cours.
"Nzoy n’a été dangereux pour personne"
"Nous sommes convaincus que Nzoy est mort en raison de violences policières racistes", déclare Mandu dos Santos Pinto. "La police a été appelée pour venir en aide à un homme psychologiquement perturbé. Je ne peux pas expliquer le fait que la situation ait ensuite dégénéré autrement que par le racisme". Selon lui, il n’y a jamais eu de danger de mort pour les policiers. "La police est tombée sur une personne souffrant de problèmes psychiques. Elle devrait être formée pour gérer une telle situation".
Mandu dos Santos Pinto fait remarquer que Nzoy est resté plus d’une heure à la gare de Morges. Et d’après ce que l’on sait jusqu’à présent, il n’a menacé personne pendant tout ce temps. La situation n’a dégénéré que lorsque la police est arrivée. "Nzoy n’a été dangereux pour personne jusqu’à l’arrivée de la police. Il n’y avait absolument aucune mise en danger d’autrui".
Il faudrait maintenant examiner pourquoi la situation a dégénéré. En raison des expériences que les personnes noires ont dû endurer par le passé, les espoirs restent limités. On s’attend toutefois à ce que les enquêtes ne portent pas uniquement sur les actions des différents policiers, mais que le problème de la police soit abordé de manière structurelle. "Le matériel vidéo disponible montre les actions de la police, son inaction et aussi ses mensonges". Contrairement à son affirmation d’avoir apporté une aide immédiate, elle l’a laissé allongé pendant plus de quatre minutes.
"Nzoy est le quatrième homme noir à être tué en quatre ans et demi dans le canton de Vaud. Derrière tout cela, il y a des structures racistes : au sein de la police, il y a manifestement des représentations racisées, de sorte que les policiers ne sont pas en mesure de percevoir une personne noire comme un être humain", explique Mandu dos Santos Pinto.
En 2018, six policiers ont maîtrisé le Nigérian Mike Ben Peter près de la gare de Lausanne et se sont agenouillés sur lui pendant de longues minutes. Peu après, son décès a été constaté à l’hôpital.
En 2017, le réfugié gambien Lamine Fatty a été retrouvé mort dans une cellule. La police l’avait auparavant confondu lors d’un contrôle et placé en garde à vue, alors que Fatty était en mauvaise santé en raison d’une opération du cerveau effectuée peu de temps auparavant.
Et fin 2016, un policier a abattu Hervé Mandundu, un Congolais ayant grandi en Suisse, dans la cage d’escalier de son appartement à Bex, dans le canton de Vaud. Un voisin avait appelé la police. Après un premier refus, Mandundu est sorti de son appartement avec un couteau de cuisine à la
main. Un policier a pris la fuite, l’autre s’est senti menacé et a tiré trois coups de feu sur Mandundu.
Le cas d’Hervé Mandundu a été jugé au printemps dernier, plus de quatre ans après sa mort. Le juge a suivi la défense, a reconnu une situation de légitime défense et a acquitté le policier accusé. Le procès dans l’affaire de la mort de Mike Ben Peter est toujours en cours.
Et maintenant le quatrième Noir mort en seulement quatre ans et demi dans la région de Lausanne.
Les chances que la police soit amenée à rendre des comptes sont faibles. D’autres cas l’ont montré par le passé.
Sa sœur dénonce "un coup bas du Ministère public".
Rolf Zopfi, du groupe de défense des droits de l’homme « Augenauf », suit de manière critique le travail de la police en Suisse depuis deux décennies. Il ne veut pas spéculer sur le déroulement des faits tant que l’on ne connaît pas suffisamment le dossier. Mais pour lui, il est clair que beaucoup de choses ont mal tourné dans le cas de Nzoy. "Au final, on peut retenir que la perturbation du trafic ferroviaire a été rétablie au prix d’une vie humaine".
Le fait que des Noirs soient morts à plusieurs reprises dans le canton de Vaud au contact de la police ne peut plus être considéré comme un hasard ou un cas isolé. "Il règne manifestement une atmosphère discriminatoire au sein de la police vaudoise, où les Noirs ont tendance à être considérés comme des ennemis", déclare Zopfi. De toute évidence, les policiers ont reçu du commandement de la police "une grande marge de manœuvre pour pouvoir laisser libre cours à cette hostilité".
Zopfi ne pense pas que la police ait tiré les leçons du passé et qu’elle ait changé. Pour cela, il manque une véritable culture de l’erreur au sein de la police : "Je ne pense pas que la police retienne la leçon. Car la police part fondamentalement du principe qu’elle n’a jamais tort et qu’elle ne fait pas d’erreurs".
Un procureur enquête désormais sur le travail de la police. Entre-temps, le monde politique s’est également impliqué et veut des éclaircissements sur les procédures de la police. La question du racisme dans la police doit également être abordée sans tabou.
Les proches de Nzoy suivent le traitement juridique de l’affaire avec des doutes. Le procureur chargé de l’enquête tente de tenir les proches à l’écart de la procédure, explique la sœur de Nzoy à Republik. Certes, le père de Nzoy est autorisé par la loi à se constituer partie civile. Toutefois, les deux demi-frères et sœurs auraient jusqu’à présent tenté sans succès de faire de même. Les demi- frères et sœurs, qui ont grandi avec Nzoy et leur mère commune, ont pourtant entretenu un contact étroit avec Nzoy.
Le procureur dispose d’une marge d’appréciation pour autoriser la constitution de partie civile. Il en fait pleinement usage, dit sa sœur, au détriment de la fratrie. L’avocat de la famille a fait appel contre cette décision du parquet à la fin de la semaine dernière.
"Je considère cela comme un coup bas et une tentative d’étouffer l’affaire", déclare sa sœur à Republik. "Je le ressens comme une humiliation et un nouvel affront. C’est déjà incroyablement dur de ne pas savoir ce qui s’est passé. Et maintenant, d’être désavoué de cette manière par la justice, cela nous fait encore plus mal".
Lors de la cérémonie d’adieu de mardi dernier, le pasteur Giger a déclaré : "Après le décès de Nzoy, on a trouvé chez lui, sur son lit, une Bible ouverte. Giger en a lu deux phrases : « Délivre ceux qui sont traînés à la mort, Et ceux qui vont en chancelant au supplice, sauve-les ».
Titre original : Der tote von Morges. https://www.republik.ch/2021/09/27/der-tote-von-morges
Paru dans le magazine en ligne zurichois Republik le 27 septembre 2021.
Photo : manif pour Nzoy le 21 septembre 2021 à Zurich. Photographe : Raimond Lüppken.
Republik est un magazine d’actualité alémanique fondé en 2018.
Carlos Hanimann est un journaliste né en 1982. Il a travaillé pour le St.Galler Tagblatt et la Wochenzeitung (WOZ) avant de rejoindre Republik. Il vit à Zurich.
Traduit de l’allemand à l’aide d’un traducteur automatique.
Version PDF - page par page
Un stand en soutien aux proches de Nzoy aura lieu ce vendredi 27 décembre de 17h à 22h à la Buvette de l’Ilot 13, 24 rue de Montbrillant, 1201 Genève. En même temps que le marché de Noël de l’Ilot. https://www.instagram.com/p/CXe3K0oIFrL/