Nous avons été étonné·e·x·s, déçu·e·x·s du choix du FIFF de reprendre, relayer et valider le vocabulaire et le discours réactionnaire criant à la « cancel culture » ! La cancel culture n’existe pas. Il y a simplement des voix, trop longtemps tues, qui osent enfin dénoncer le sexisme, les racismes, l’homophobie, la transphobie ainsi que d’autres systèmes d’oppressions. Répondre, dénoncer de tels propos et de telles actions n’efface rien, c’est juste une riposte valide à des siècles de domination. Avec cette section Décryptage, le FIFF montre à quel point il n’a pas compris ou ne veut pas comprendre le sujet.
Ce que nous critiquons
- 1. Le caractère superficiel et l’esprit humoristique avec lequel le FIFF traite le sujet
- 2. Le choix des films
- 3. Le manque de médiation
1. Le caractère superficiel et l’esprit humoristique avec lequel le FIFF traite le sujet
Le FIFF dit vouloir parler de « cancel culture », sous un angle se voulant subversif de « context culture ». Concrètement, le FIFF met en avant une sélection d’une dizaine de comédies qu’on « ne pourrait plus faire aujourd’hui ».
Décrypter les manières de penser dominantes du passé, les remettre dans leur contexte, poser un regard critique sur des œuvres permettant de reconnaître leurs points faibles et d’apprécier leurs points forts : on n’en attendrait pas moins de la part d’un festival qui a souvent prôné la défense des droits humains.
Pourtant, à notre grande surprise, la démarche de médiation culturelle qui semble être adoptée par le FIFF pour traiter ces enjeux importants est celle de la dérision. Le FIFF écrit que le rire est « transgressif par nature, il se peut qu’il ne soit ni convenable ni même acceptable ». Nous invitons sincèrement le festival et son public à se poser les questions suivantes : qu’est-ce qu’il transgresse ? Qui est-ce qu’il fait rire ? Qu’est-ce qu’il questionne ? Qui est-ce qu’il blesse ? Une chose est sûre concernant la démarche du FIFF : elle ne transgresse en rien l’ordre établi. Au contraire, elle le conforte, fait semblant de lui donner une petite tape sur les doigts puis invite à en rire grassement avec lui en lui offrant visibilité, respectabilité et légitimité.
Dans son programme, le FIFF annonce originellement — même si modifié depuis — une soirée de clôture « On n’oserait plus ! » qui est décrite de la manière suivante : « C’est la grande fête de fin du Festival, et ce jusqu’à 5h du mat ! Pour coller au thème ‘Décryptage : Context Culture’, nous avons challengé deux DJs réputés des nuits fribourgeoises. Leur but : passer, entre autres, des tubes qu’on n’oserait plus enregistrer de nos jours ! Le tout dans un esprit fun et festif, pour pouvoir danser allègrement jusqu’au bout de la nuit. » Ceci démontre à nos yeux clairement l’esprit, dans lequel le FIFF pense traiter du sujet, et ceci nous choque fortement. Le manque de médiation est d’autant plus flagrant dans ce contexte : une soirée avec musique, alcool, bruit et foule ne se prête pas au jeu de la remise en contexte qu’annonce le FIFF. Avec cette soirée le FIFF permet juste à son public de danser sur des musiques « qu’on n’oserait plus enregistrer aujourd’hui » sans complexe. Encore une fois : Avec cette section Décryptage, le FIFF montre à quel point il n’a pas compris ou ne veut pas comprendre le sujet.
2. Le choix des films
La section « context culture » est composée de 10 comédies maniant l’art de l’oppression récréative depuis les années 70, sélectionnées par 30 comiques suisses (les 30 seul.e.s sur 90 qui ont répondu à l’appel du FIFF). Le contenu même de la section Décryptage démontre la non-connaissance du sujet de la part du FIFF, et ainsi son incapacité à mettre en contexte ces films. Mettant en avant une « cancel culture » imaginaire et fantasmée par les milieux réactionnaires, le FIFF donne l’impression de vouloir surfer sur une mode féministe pour rester dans l’air du temps quand bien même le sujet n’est absolument pas maitrisé. De la comédie satirique dénonçant les dérives oppressives (The Meaning of Life) à la comédie clairement misogyne (Calmos, Les Valseuses) en passant par un faux documentaire sur un tueur en série (C’est arrivé près de chez vous) qui n’a aucun rapport avec une quelconque « cancel culture », le programme de la section est une joyeuse mélasse de films qui ont du mal à se trouver des points communs.
Le FIFF argue que la « cancel culture » empêcherait de pouvoir les faire actuellement. Pourtant, Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu en est à sa troisième occurrence, les films romantisant des scènes de viols et violences sexuelles gratuitement sont légion, Polanski gagne toujours des Césars, des festivals de films peuvent toujours programmer des films racistes, homophobes et misogynes en 2022, et l’humour oppressif fait toujours partie du paysage cinématographique dominant. Les films de la sélection passent encore actuellement à la télé, ils sont toujours en vente, malgré des scandales déjà à leurs sorties. Ils n’ont pas besoin d’être mis en valeur dans une programmation d’un Festival d’envergure comme le FIFF.
Une médiation est nécessaire pour des films aussi violents, certes. Mais quelle médiation peut nous offrir un FIFF qui pense que le sexisme, les racismes, l’homophobie, l’antisémitisme, et toutes les oppressions font partie d’un passé que la cancel culture cherche à effacer ? Quel contexte peut nous donner un FIFF qui donne une visibilité en or à des films que personne n’efface, sous couvert d’humour, de perpétuation de la culture et de devoir de mémoire ?
3. Le manque de médiation
Le FIFF proclame « la pédagogie plutôt que l’effacement » — mais où est-elle, cette pédagogie ? Où est la médiation autour de ces films ? La mise en contexte ? Chaque film est-il accompagné d’une discussion préalable, d’un débat informé après coup avec diverses parties compétentes et différentes opinions ? Ou est-ce que FIFF se contente de présenter les films en deux minutes avant chaque séance, comme pour chaque film de n’importe quelle section, et aucun soin ni préparation spécifique n’est prévue pour ces films qui en demanderaient ?
Il y a bien un procès humoristique à la fin — le « Grand procès de la comédie ». Une heure et demie durant laquelle un panel relativement homogène d’humoristes suisses va juger — et surtout rire de — les films sélectionnés. Un « tribunal d’exception » avec peu de sociologues, de féministes ou de qui que ce soit ayant une perspective réellement critique et où les associations qui luttent au quotidien pour faire changer les mentalités ne sont pas conviées. Surtout, en fait, une collection de boomers blanc·he·s plutôt d’accord sur le sujet. Alors, comme précédemment évoqué, avec cette section Décryptage, le FIFF montre à quel point il n’a pas compris ou ne veut pas comprendre le sujet.
La volonté affichée du FIFF est louable : mettre sur pied des débats, questionner nos rapports au divertissement, et même au rire au détriment de certaines franges de populations. Pour autant, cette section ne le fait pas. Le FIFF met en avant sa volonté d’intégrer des sujets brûlants d’actualité au sein de sa programmation, mais sans volonté aucune de vraiment proposer des débats, ni de changer l’ordre établi qui lui convient très bien. Nous sommes d’autant plus tristes.x et en colère que le FIFF est — selon ses propres engagements — censé être un festival permettant à tout le monde, et surtout des populations silenciées, de s’exprimer sur les oppressions qu’elles vivent.
Le film est un médium politique puissant d’expression, et c’est dans un éclat de rire depuis un siège en velours que le Festival rate sa mission de protéger celui- ci.