Le Communiqué
Voilà presque 7 ans que nous habitons la ferme du Châtelard 103. C’est la maison juste avant l’entrée d’autoroute de la Blécherette avec des peintures sur la façade. Il y a des roulottes et des cabanes aussi. Dernièrement, la Ville de Lausanne, propriétaire des lieux, a décidé de ne pas reconduire notre actuel contrat de prêt à usage et de mettre un terme à notre occupation de l’endroit. Elle met en avant la volonté de nous remplacer par un projet agricole bio. Nous nous opposons à ce dernier, mais nous serons réceptif.ve.x.s à des projets compatibles avec nos habitats.
Loin de nous l’idée de faire un énième pamphlet sur le droit au logement. Disons simplement que ce dernier, comme l’eau et la nourriture est un besoin primaire de l’individu, et devrait donc être un droit. Face à la spéculation immobilière, face aux régies voraces et mafieuses et à leurs loyers exorbitants, et en réponse à l’inaction de l’État, incapable de stopper ces vulgaires appétits, nous occupons des maisons.
Voilà des années que les squateureuse.x.s et les personnes qui les soutiennent organisent des manifestations, rédigent des textes, parlent à des journalistes, collent des affiches, occupent des maisons (pour elleux et pour d’autre ayant moins de privilèges), expliquent, se justifient, montrent patte blanche, rugissent, s’insurgent, s’endeuillent, se réjouissent.
Des années que nous définissons le contour de nos vies en nous appropriant des lieux vides, en y habitant de manière vivante, en y organisant nos vies personnelles, familiales et militantes. Nous nous reposons les un.e.x.s sur les autres, nous prenons soin les une.x.s des autre.x.s. Nous apportons un espace essentiel aux personnes qui ne se reconnaissent pas dans les institutions et/ou que les institutions ne reconnaissent pas. Des années que nous alimentons cette nébuleuse que nous chérissons. Des années que nous nous battons pour un peu de place, de l’oxygène dans un monde néocolonialiste, misogyne, cupide et destructeur. Et, des années que la Ville fait mine de tendre l’oreille.
Elle se vante volontiers, au travers des médias et même de certaines brochures qu’elle édite, de la richesse de sa vie alternative/underground. En bonne Municipalité de gauche, elle prône diversité, tolérance et ouverture d’esprit, et lors d’événements culturels qu’elle organise, elle va jusqu’à se réapproprier des éléments venant directement de la scène alternative.
Or, à notre plus grand regret, dès lors que l’on sort du contexte événementiel, elle semble incapable d’accepter que tous ces beaux moments de culture et de politique existent hors de son prisme et se refuse à reconnaître ces modes de vie comme faisant partie intégrante de toute ville.
En effet, lors des moments décisifs, cette dernière nous montre qu’elle n’a que faire de nos choix de vie et de notre idée du logement communautaire. Nous le voyons aujourd’hui, lorsqu’elle met au concours un projet de maraîchage proposant des terres et… notre maison.
Avec la devise « Que le.la meilleur.e.x gagne », la Ville nous invite relativement habilement à participer au concours, imaginant ainsi pouvoir se jouer de l’opinion publique, et se laver les mains de son rôle de méchante propriétaire, alors que dans les faits, elle nous expulse. La Ville dicte sa vision du monde, et nous exclut au point de proposer une ferme sans même mentionner qu’une vingtaine de personnes y habitent, dont des enfants, des chats, des chiens, des cannes. Surtout, elle oublie de mentionner que nous nous réunissons, que nous nous organisons, que les chars multicolores de manifestations politiques partent de notre ferme. Que notre « projet » se réalise tous les jours depuis presque 7 ans, que nous avons des ateliers, un studio de musique, une sérigraphie, une salle de concert, que nous sommes un lieu d’accueil pour plus de cent personnes différentes par année, trouvant refuge chez nous pour quelques nuits.
Remplacer tout cela par des chambres froides, du stockage de machines et un logement de fonction pour les heureuse.x.s gagnant.e.x.s du concours ne paraît-il pas complètement absurde ? Si absurde que l’on se demande si la Ville a un agenda caché ? Est-ce que nous commencions à trop nous installer ? Est-ce que la convergence des luttes actuelles (anti-racisme, anti-autoritarisme, anti-violences policières, écologie, féminisme…) se faisait-elle trop tangible ? Avons-nous trop d’alliée.x.s ? Trop de liens ? Ou est-ce bêtement parce que nous avons peint un flamant rose carbonisant une voiture de police sur notre façade, après une de leur énième « bavure » ? Est-ce parce que les murs de notre chère maison sont pleins de couleurs au milieu d’un paysage suisse austère et homogène ? Ou est-ce encore parce que le Canton veut détruire nos cabanes, nos échappées belles et les petites chambres que nous avons construites sur châssis ou pilotis ? (Quelle ironie qu’on s’émerveille des « Tiny House » mais qu’on méprise toujours celleux qui vivent comme ça dans la vraie vie.)
Nous défendrons notre droit à une vie collective en ville. Nous n’avons pas attendu sur la Municipalité de Lausanne pour être écologistes et féministes. Et nous n’attendrons pas de voir nos valeurs et nos idéaux être aseptisés pour revendiquer notre droit de vivre en marge des pages que des gens qui s’en sont donné le droit écrivent à notre place.
Pour les autorités, nos modes de vie sont tout au plus des bouche-trous temporaires dont ielles ont hontes, et qu’ielles sont pressée de gentrifier. Parmi tant d’autres, prenons l’exemple de la Ferme des tilleuls à Renens. Squattée pendant plus de 15 ans par différents collectifs, elle a accueilli des centaines de personnes, d’évènements, de pièces de théâtre et de petites révolutions. Vu naitre des enfants et des idées, pour être finalement remplacée, à coup de milliers de francs, par un musée étrangement excentré dans la très prolétaire ville de Renens. Comme s’il n’y avait pas assez de buvettes au centre-ville pour boire un sirop de courgette à 7 francs et assister à des expositions d’art contemporain.
Encore une vitrine, une façade, une grave atteinte à l’identité d’un lieu, mais surtout, encore ce fléau de la gentrification. Car un tel musée ne fait pas avancer les travailleur.euse.x.s vers le centre urbain, mais fait descendre les personnes les plus privilégiées vers la périphérie en augmentant les coûts de la vie et en repoussant les plus pauvres toujours plus loin.
Aujourd’hui, la Ville de Lausanne fait du Greenwashing sur les hauts de la Blécherette, après avoir bétonné tant d’hectare de champs cultivables pour en faire des terrains de foot synthétiques payants. Les anciens terrains gratuits et populaires ayant également été bétonnés et recouverts par de nouveaux immeubles, alors que des centaines d’appartements sont vides en ville.
La Ville de Lausanne propose un projet « vert » à côté du nouveau stade du géant anglais de la pétrochimie, Ineos !!! Non, ce Stade n’appartient pas à la Ville de Lausanne, mais bien au Lausanne Sport, lui-même détenu par le leader mondial du styrène. Incapable de lutter contre cette catastrophe écologique, la Ville s’imagine-t-elle faire passer la pilule en donnant quelques hectares d’une terre à des maraicher.e.x.s ? Ce qui est certain, c’est qu’elle nous rit au nez, en osant arborer les couleurs d’une gauche écolo et consciente, lorsque qu’elle applique à la lettre les règles d’une politique concurrentielle et aveuglément libérale. En effet, ce stade, elle le voulait à tout prix, il a toujours fait partie du projet métamorphose. Vraiment, nous nous sommes creusé la tête ! Mais nous ne comprendrons jamais cette manière de continuer d’agrandir la ville et de bétonner des écosystèmes, sous prétexte de construire des « écoquartiers » !
Nous ne valoriserons jamais cette fausse écologie, hypocrite et opportuniste. Elle est un crachat au visage de celleux qui se battent au quotidien pour donner un lendemain à nos jours entachés du sang des animaux et de la pollution des nappes phréatiques. Cette politique « verte » invisibilise la dimension catastrophique de notre situation et fait croire à la population qu’elle se préoccupe de son avenir. Elle n’est que vitrine, copinage commercial, serrages de mains et surtout de coudes.
Après cette véritable orgie de béton, l’invitation à gagner le concours « Espace Blécherette » n’est pas juste une instrumentalisation éhontée des gagnant.e.x.s, mais un vrai mensonge politique duquel les futures maraicher.ère.x.s deviennent les acteur.ice.x.s malgré elleux.
Nous ne resterons pas sans réagir face à la politique libérale d’une Municipalité de gauche qui met en concurrence des maraîcher.e.x.s et des militante.x.s. Car c’est ce qui se passe derrière ce sympathique concours. Un pouvoir qui détruit des alliances, détruit la solidarité et qui pousse des personnes n’ayant aucune mauvaise intention, à déloger des gens sans même s’en rendre compte.
Depuis notre arrivée à la ferme du Chatelard, nous avons toujours cohabité avec les deux familles de paysans qui exploitent les terres aux alentours, l’une y fait paître des vaches, l’autre stocke des machines et des remorques sous un grand couvert accolé à notre maison. Jamais nous n’avons voulu limiter leurs activités et jamais nous ne l’avons fait. Si ces paysan.e.x.s sont remplacé.e.s par des maraîcher.e.x.s, nous n’interfèrerons pas non plus dans leurs activités.
Nos projets sont conciliables, compatibles ! Ne nous laissons pas instrumentaliser ! Organisons-nous ensemble !
Nous revendiquons notre droit de rester à la Ferme du Châtelard ! Soutenez-nous ! Ecrivez-nous ! Nous sommes nombreu.se.x.s et nous sommes forte.x.s !
Ensemble nous pouvons construire un avenir en dehors des méandres hypocrites de l’Etat.
André Roth
Association autogérée de cultures et
artisanat à Delémont (AACAD)
Association la Demeure
Association Sleep-In
Aurélien Patouillard
Bibliothèque La Molène
Charlotte Nagel
Cinéma Bellvaux
Cinema Spoutnik
Claudia Pessina, animatrice socioculturelle Pôle sud
Collectif de réflexion décoloniale
Collectif Epines !
Collectif Jean du Toit
Collectif Kiboko
Collectif La Hache
Collectif le Nadir
Collectif Orchidées la Zad de la Colline
Collectif Où êtes vous toutes ?
Collectif Sapphikstorm
Collectif Zagaza
CUAE Genève
DJ Chikano
Docteure Benedikte Zitouni
Docteure Isabelle Stengers
Ensemble à Gauche
Espace 43
Espace Néomartine
Extinction Rebellion Lausanne (XR)
Ferme collective du Joran
Ferme du Solitaire/Collectif la Louve
Grève du Climat Vaud
Grève Féministe Vaud
Interlove
Jérémy Gigon, animateur socioculturel Pôle Sud
Jeunes vert.e.x.s vaud
Jeunesse socialiste vaudoise
Joaquim Manzoni
L’Ecurie, Genève
Cosigné par :
La Gale
La Grève des Femmes, Bienne
La Makhno, Genève
La Panik !
La Sacrée Déter
La Valencienne
Laure Marville
Lausanne Underground Film Festival
Le Hangar saboté
Le Romandie
Le Silure, Genève
Libradio Genève
Librairie Basta !
Loose Antenna
Louis Jucker
Maison collective de Malagnou
Marc Agron
Marco Berrettini, chorégraphe Genève
Marion Duval, Chris Cadillac, Genève
Matthieu Jaccard
Meyk & Sybz
Michaël Abbet, Directeur du Petithéâtre de Sion
Michèle Grossenbacher
Nicole Borgeat, réalisatrice
Noémie Délèze, animatrice socioculturelle
Outrage collectif
PEA
Quartier Libre de Clendy-Dessous
Radio 40
Reprenons la Ville
Rovéréaz : Jardin aux milles mains
Samuel Antoine, co-direction « Les Urbaines »
Sarah André, collectif Old Masters, Genève
SolidaritéS Vaud
Tournois Antiraciste Genève
Urgent paradise
Valentina D’Avenia, directrice de la Fête du Slip
Zooscope