Histoire - Mémoire Violences policières

Passés et présents de la contre-expertise militante

Roger Nzoy Wilhelm a été abattu par un policier, le 30 août 2021, sur le quai de la gare de Morges. Rapidement, un comité de soutien à la famille du jeune homme (alliance Justice4Nzoy) s’est constitué, puis, en mai 2023, une commission indépendante d’experts a été mise sur pied « pour faire la lumière sur les circonstances de sa mort ». Du 10 au 23 mars 2025, le comité Justice4Nzoy organise des Journées d’actions antiracistes avec l’objectif de faire connaître le dossier spécifique et de mener une réflexion plus large sur la violence policière raciste. Dans ce contexte, les Archives contestataires contribuent à ces Journées par une réflexion sur la pratique de la contre-expertise militante.

Genève |

La pratique de la contre-expertise militante s’établit dès le début du XXe siècle au sein du mouvement ouvrier autour des accidents du travail. L’objectif de ces contre-expertises est triple : dévoiler la vérité sur un cas spécifique ; relever les omissions et les biais des enquêtes officielles ; apporter des éléments dépassant le cas particulier pour modifier des conditions de travail ou participer à la dénonciation de l’exploitation de la classe ouvrière. Cette pratique repose sur une ambivalence : elle doit à la fois mettre en évidence ce que les experts officiels refusent de voir et se fonder sur des connaissances admises par ces mêmes experts, faute de quoi elle risque d’être marginalisée en tant que pure dénonciation, que parole strictement militante.

Dans les années 1970, la contre-expertise militante prend un essor nouveau que documentent les travaux de Philippe Artières et Sabine Rousseau (Rousseau 2017, Artières 2023). En France, la catastrophe minière de Fouquières-lès-Lens (1970) marque un tournant dans la pratique. Les contre-enquêtes sur la catastrophe, menées par des médecins hospitaliers et des ingénieurs de l’École des Mines aboutissent à un « tribunal populaire » qui juge la catastrophe à partir de savoirs experts et s’appuient sur ce jugement pour dénoncer la condition ouvrière. Comme le montre Artières, ce « tribunal populaire » débouche sur la création de comités Vérité et Justice dont l’objectif est souvent d’assurer le suivi et la médiatisation de violences policières.

En Suisse, également, il existe des cas bien connus. Ainsi, la mort d’Alain Urban, le 29 juin 1980 à la clinique psychiatrique de Bel-Air (Genève) a-t-elle fait l’objet d’une intense bataille d’experts et de contre-experts. Il s’agissait à la fois de faire reconnaître la responsabilité du directeur de la clinique et l’erreur médicale commise dans l’administration du traitement qui devait coûter la vie au jeune militant de l’Association de défense des usagers de la psychiatrie (ADUPSY). Cette controverse devait permettre à l’ADUPSY de porter très largement ses revendications et de faire entendre la voix des patients (Ferreira, Maugué, Maulini 2020).

Six ans plus tôt, Patrick Moll, un apprenti, détenu au pénitencier de Bochuz, était abattu par des policiers d’Yverdon-les-Bains, alors qu’il s’était évadé quelques heures auparavant. Le tir mortel sur un jeune homme désarmé et que les policiers n’avaient pas formellement identifié suscite une vive émotion et la constitution d’un Comité Patrick Moll qui cherche à établir les circonstances exactes du décès.

Cette soirée-débat reviendra sur ces cas pour les faire dialoguer avec les pratiques actuelles. Que peut-on attendre des contre-expertises militantes ? Comment cette pratique évolue-t-elle dans le temps ? Dans quelle mesure permet-elle d’introduire un contrôle démocratique dans des secteurs de la société qui lui opposent leur esprit de corps ?

P.S.

Soirée publique le samedi 22 mars 2025 à 19h à la Maison des associations, salle Rachel Carson avec Géraldine Beck, Alix Heiniger, Alain Riesen et un-e représentant-e de Border Forensics.

Illustrations. Logo de l’article : [Intervention de la police pour enlever l’affiche du Comité Patrick Moll], tirage photographique, Archives contestataires, Fonds Michel Glardon, série 1. [Action lors du procès des policiers ayant tiré sur Patrick Moll], tirage photographique, Archives contestataires, Fonds Michel Glardon, série 1. Comité Patrick Moll et Collectif du Chant continu, « Patrick Moll assassiné par les flics le 30 juillet 1974 à Yverdon », sérigraphie, Archives contestataires, Aff 654.

Références : Artières, Philippe. 2023. « Des tribunaux populaires au comités Vérité et Justice ». In Ripostes ! Archives de luttes et d’actions 1970-1974, 134‑37. Paris : CNRS éditions. Artières, Philippe, Éric de Chassey, Bernard Leroy, et Michelle Zancarini-Fournel. 2023. La mine en procès : Fouquières-lès-Lens, 1970. Paris : Anamosa. Ferreira, Cristina, Ludovic Maugué, et Sandrine Maulini. 2020. L’Homme-Bus : Une histoire des controverses psychiatriques (1960-1980). Chêne-Bourg : Georg Editeur. Rousseau, Sabine. 2017. « La justice contre l’injustice. Henri Burin des Roziers à Annecy dans les années 1970 ». Histoire, monde et cultures religieuses 42 (2) : 127‑37.

Agenda

Passés et présents de la contre-expertise militante

 samedi 22 mars 2025  19h00 - 22h00
 samedi 22 mars 2025
19h00 - 22h00
 Maison internationale des associations, salle Carson,

 

18 rue des Savoises, 1205 Genève

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