Mise à jour
Samedi 16 octobre, la manifestation Yverdon Ville Vivante organisée en réponse à l’appel de Reprenons la Ville ! (reprenonslaville.info) battait le pavé de la capitale nord-vaudoise. La foule, dans une marche déterminée et rythmée par les chants de l’inter-chorale, a sillonné la ville en faisant plusieurs arrêts dans des lieux condamnés à l’artificialisation, à la gentrification, à l’inconscience des aménageur.euse.x.s (ou pas). Vers 15h, des flyers ont circulé au sein de la manifestation pour inviter les personnes présentes à rejoindre le quartier de Clendy-Dessous pour un weekend d’actions et de rencontres.
Au même moment, se mettaient en place un jardin collectif, une zone d’expérimentation créative, une cuisine collective, une scène, une buvette ou encore un infokiosque, des toilettes sèches et pleins d’autres infrastructures sur les 1,2 hectare promis à la destruction. En quelques heures seulement, c’est tout un monde qui est apparu. L’objectif des habitant.e.x.s et militant.e.x.s était de permettre la réappropriation du quartier, d’ouvrir enfin les questionnements sur l’urbain et sur nos vies dans les villes, au-delà des institutions et des élites.
Sur zone : du quartier vivant temporaire à un quartier libre qui compte rester
Aujourd’hui, après une nuit lors de laquelle beaucoup ont campé dans le froid, enchaînant les veillées autour des braseros et se racontant des histoires, la matinée a commencé avec effervescence. De nombreuses personnes qui n’avaient pas dormi sur place sont revenues pour poursuivre ce week-end d’action. Au moment du petit-déjeuner, surprise, des occupations de bâtiments sont révélées et s’ajoute sur les banderoles la libération dudit « quartier vivant et libre ». C’est donc plus qu’un simple week-end, aussi riche que soit son programme (qui invite à être complété d’ailleurs !). C’est sur la durée que l’occupation du quartier se profile, avec comme volonté de le maintenir ouvert.
Le message est clair : il n’est plus possible d’attendre patiemment que, partout autour de nous, se poursuive la destruction. La résilience des villes ne se fera pas sans remettre aux coeurs des débats notre rapport à l’agriculture au monde vivant, aux liens sociaux, aux transports, au travail, etc. Ce n’est pas simplement pour s’opposer physiquement à des projets aberrants que cette occupation prend place ici. C’est aussi pour expérimenter, apprendre, réfléchir ensemble et tisser des liens de solidarité et d’amitié qui permettent à la fois d’enrichir nos vies et de renforcer la résilience de nos villes. La joie de sentir notre force collective prendre racine, de voir les murs se parer de couleurs et de dessins, de mettre les mains dans la terre et de partager nos savoirs… c’est sur cette base que s’envisage la suite.
C’est le début d’un quartier libre ! Un quartier qui pourra servir de lieu de convergence pour touxtes celleux intéresséexs à recréer du lien là où la ville crée de l’isolement et vide nos existences de sens. Cette action s’est organisée en réaction aux crises multiples que traversent nos sociétés. Nous reprenons un quartier pour y créer, avec ses habitantexs, des espaces de vie, de luttes, de questionnements. C’est au coeur même de ces lieux que nous pourrons faire vaciller l’urbain qui nous isole et qui nous désole, ce mode de vie utopique qui détruit le vivant et les liens sociaux. Dans cet environnement hostile, nous ouvrons un espace pour faire autrement, pour faire grouiller les idées subversives et les projets. Les villes d’aujourd’hui sont le théâtre des plus grandes inégalités économiques, sociales et spatiales, elles divisent, excluent et mutilent, elles fondent et maintiennent un système qui ravage sans commune mesure, elles imposent des existences désenchantées, calibrées et moroses… Libérer des espaces au coeur de ces villes et grappiller du terrain est un acte de résistance impératif.
Offensive contre la ville
S’opposer aux désastres écologiques et sociaux en cours implique nécessairement une offensive contre les centres urbains hors de prix et les quartiers périphériques désolés, contre la privatisation des espaces et la marchandisation des imaginaires. Pour sentir notre puissance collective et affronter le capitalisme avancé – ses promoteuricexs sans vergogne, ses villes gentrifées et sa police qui assassine – nous avons besoin de créer des havres comme celui-ci. Des lieux de vie, des zones pour vivre et faire vivre – loin des logiques marchandes et des temples de la consommation – des expériences de gratuité, d’entraide, de création, de joie et de célébration. Toutes ces choses impossibles dans une ville néolibérale.
Pour lutter contre les dynamiques destructrices qui façonnent le monde urbain, il s’agit également de penser ensemble à comment la ville, loin d’être un environnement neutre, nous affecte. Comment la ville est devenue un outil du capitalisme qui nous rend dépendantexs, tout en nous empêchant de prendre conscience de sa puissante emprise sur nos imaginaires. En ouvrant ces espaces de réflexions, nous développons nos capacités à nous organiser. Alors nos colères, nos idées et nos visions se rencontrent, s’entrechoquent parfois, s’enrichissent toujours. Alors, nous prenons le temps de peindre, dessiner, gribouiller, écrire, raconter comment la ville façonne et aplatit nos existences. Alors, loin des mondes élitistes de l’art et de la culture, nous diversifions nos moyens d’expression et nous explorons collectivement et créativement comment nous réapproprier la ville et y faire vivre des valeurs radicalement opposées à celles des promoteuricexs de Clendy-Dessous.
Sur ces terres en friche et dans ces bâtisses vides en attente de démolition, ce quartier libre ne compte pas simplement construire en marge de ce qui existe ou à simplement créer des alternatives qui mèneraient à une vie tranquille tandis que le désastre continue. L’expérimentation est une voie importante car nous avons toute une société à reconstruire, mais elle n’est pas suffisante face à la bétonisation incessante. Si nous avons choisi de venir ici, c’est pour dire stop à ce projet d’urbanisation insensé et à toute la bétonisation du vivant. À un énième projet aberrant, dans un monde dont nous ne voulons plus. Libérer ce quartier, c’est mettre un sabot dans les rouages de la machine urbaine, pour la forcer à s’arrêter un instant et nous donner un espace pour nous organiser contre elle et construire nos résistances.
Venez nous rejoindre !
Sur zone, on ne sait comment la situation va évoluer avec la police, la commune et les propriétaires. Quoi qu’il en soit, venez nombreuxes pour faire en sorte que ce front de lutte puisse durer, pour éviter d’éventuelles interventions de la police mais surtout pour participer à cette libération de quartier ! Le programme s’allonge d’heure en heure, les casseroles fument et les débats sont riches. Soyez bienvenuexs dès maintenant, et tant que le quartier libre vivra.