"Le tordu queer est un héritier. Un rejeton de la technocratie bourgeoise. Un gagneur de la Métropole à l’ère de l’économie planétaire unifiée, qui, en dépit de ses dissertations compassionnelles, écrase et méprise le peuple d’en bas.'' (Pièces et Main d'Oeuvre, 'Ceci n'est pas une femme', 2014, p.30)
Notre chemin dans la critique de la technologie, nous a amené·e·s à croiser la route de personnes ou groupes qui partagent des bases politiques réactionnaires, homophobes, antiféministes, naturalisantes, transphobes, et c’est à partir de ce constat que nous écrivons ce texte.
Pour nous, il est clair que la critique de la technologie est une nécessité dans la lutte contre toute forme de domination. Aujourd’hui plus que jamais, le développement technologique est le principal moyen de la croissance capitaliste et de la dévastation planétaire. La puissance croissante que procure la technologie à celleux qui la détiennent les avantage de plus en plus par rapport aux sans-pouvoir. Le recours systématique à des "solutions" techniques face aux problèmes sociaux permet de ne pas s’attaquer à la racine des problèmes, c’est-à-dire aux structures sociales elles-mêmes. Le mythe du progrès et le dogme de l’efficacité comme valeur constituent l’idéologie qui masque et justifie les ravages causés en leur nom.
Le désastre écologique actuel est un constat partagé jusqu’aux entrepreneurs qui y voient de nouveaux débouchés pour nous vendre un capitalisme vert. De la même manière, on compte parmi les individuexs/groupes qui identifient le capitalisme technoscientifique comme acteur principal de ce désastre, des personnes avec les positions des plus réactionnaires.
Certains groupes et auteur·ices se réclamant des mouvements pour la décroissance, l’écologie politique/radicale ou critiques de la technologie réagissent de manière hostile aux montées - en termes de visibilité, de légitimité et parfois de droits formels - des luttes féministes et queer, contre le cis-sexisme et l’homo/transphobie. Nous renvoyons aux analyses critiques déjà faites au sujet des publications sexistes, transphobes et homophobes du groupe Pièces et Main d’Oeuvre [1] et des positions ultraréacs du journal La Décroissance [2]. Nous déplorons qu’un certain nombre de groupes - sous couvert de critique du capitalisme et de la technologie - reprennent à divers degrés une argumentation qui renforce le patriarcat, la transphobie et l’homophobie, ou le racisme (en suisse romande, on peut citer notamment le site « anarchiste chrétien » christocrate.ch). Nous voulons insister sur la récurrence de l’utilisation des personnes trans comme boucs-émissaire de certain.es antitech pour justifier leurs positions autoritaires et réactionnaires.
En tant que personnes cis (qui nous reconnaissons dans le genre qui nous a été assigné à la naissance), nous ne sommes pas les mieux placé·e·s pour parler de transphobie, mais nous invitons à lire la précieuse brochure « trans n’est pas transhumanisme » [3], écrite par une personne trans, qui porte une voix anarchiste et antitech qui fera écho, on l’espère, le plus loin possible. Nous n’acceptons pas les discours qui ont pour effet, voire pour objectif, de réduire au silence les gens en lutte, de nier la diversité des identités, en pratiquant l’amalgame et la calomnie. En particulier, le fait de stigmatiser des groupes discriminés en montant des accusations de ’’complicité avec le pouvoir’’ relève de la recherche de boucs émissaires, ce qui s’est à de nombreuses reprises dans l’histoire révélé profitable aux puissant·exs et générateur de haine et d’oppression. Il est particulièrement important de bloquer ces pratiques et discours dans le contexte de la banalisation de systèmes de pensée fascisants et du renforcement bien réel de l’extrême-droite.
Au-delà de questions complexes autour de certaines techniques spécifiques au-sujet desquels il ne faut jamais oublier de considérer le point de vue des personnes concernées, il existe bel et bien des tendances favorables à la technologie en général au sein des mouvements queer et féministes, mais pas plus qu’ailleurs. Il est à ce titre primordial, comme dans toute lutte, de prévenir et contrer les tentatives des différents pouvoirs de récupérer les mouvements et les vider de leur sens. On peut citer ce qu’on nomme le "pinkwashing" par des entreprises capitalistes ou des états qui s’offrent à bon compte une image "LGBT-friendly", ou alors l’instrumentalisation des personnes trans par certain.es transhumanistes sur lesquellxes iels calquent leurs fantasmes technophiles. Nous invitons à examiner en quoi certains positionnements idéologiques qui traversent ces mouvements peuvent légitimer ou renforcer des dominations et des oppressions. Ce travail critique est déjà bien amorcé dans le texte précité "Trans n’est pas transhumaniste".
[https://infokiosques.net/IMG/pdf/Trans_n_est_pas_transhumanisme-cahier.pdf]
L’attaque des normes genrées est pour nous une partie intégrante de l’attaque contre toutes les formes de domination. En premier lieu parce qu’elles sont sources d’oppression en elles-mêmes, mais aussi parce que la précarité et la privation de droits que génèrent les discriminations ont toujours été des leviers majeurs de l’exploitation capitaliste.
La rencontre qui aura lieu à Sainte-Croix a notamment pour invité.es le groupe Pièces et main d’oeuvre, et des personnes de Kairos, Les amis de la Décroissance et D.Connexions [programme en annexe]. Il y a probablement des personnes qui ont répondu à l’invitation qui ne sont pas au courant des positions nauséabondes des groupes mentionnés plus haut. Dans un climat où les idéologies les plus réactionnaires prennent de plus en plus de place, y compris dans les milieux écolos, décroissants, critiques du capitalisme et de la technologie, il appartient à tout le monde de s’informer et de prendre position. Ne pas le faire revient à laisser ces idéologies prendre de la place et laisser se renforcer les oppressions qu’elles soutiennent.
'Un tel rejet haineux de la masculinité témoigne d’un refus de la loi et de l’autorité, il veut abolir la figure du Père (...) Ce discours ignore aussi ce que représente la vertu de Force.'' (La Décroissance, juillet-août 2019)*
Nous avons besoin de mouvements de résistance qui permettent à chacun·x·e de s’épanouir et de contribuer à un monde viable et désirable. Pour y arriver, il est primordial de soutenir les luttes de tou·x·te·s les opprimé·e·x·s et de confronter les réactionnaires avec intransigeance.
Pour que la joie de vivre* soit une perspective pour tou·x·te·s !
* Le journal “La décroissance” se décrit comme “le journal de la joie de vivre”
notes
[1] "Le coming out masculiniste de Pièces et main d’oeuvre (PMO)’’, collectif stop masculinisme, grenoble, 2015
https://infokiosques.net/IMG/pdf/coming_out_masculiniste_PMO-16p-cahier-janv2015.pdf
[2] ’’La Décroissance, ce journal que nous n’achèterons pas’’, 27 juillet 2019
[3] "Trans n’est pas transhumanisme. une réflexion trans sur les transhumanismes trans-friendly, les cyberféminismes queer, les écologismes et les féminismes transphobes’’, Alex B., 2018 (traduction de l’italien, 2020)
https://infokiosques.net/IMG/pdf/Trans_n_est_pas_transhumanisme-cahier.pdf
autres références
- dossier ’’une écologie arc-en-ciel’’, n°494 de la revue S !lence, décembre 2020
- ’’La Décroissance : quand le « journal de la joie de vivre » courtise la fachosphère’’, billet de blog d’Aude Vidal, 30 avril 2021
https://blogs.mediapart.fr/audevidal/blog/300421/la-decroissance-quand-le-journal-de-la-joie-de-vivre-courtise-la-fachosphere
(lire aussi son texte avec Aude Vincent ’’Pour une critique émancipatrice de la PMA’’ :
https://blog.ecologie-politique.eu/post/Critique-emancipatrice-de-la-PMA)