Sommaire
- Rapport final de la Task force scientifique
- « Stratification sociale » des conséquences de la pandémie
- Positionnements politiciens
- Inégalités
- Si, si, nous sommes dépendantexs à différentes échelles
- Le Covid ce n’est toujours pas « comme une grippe »
- L’OMS, elle se dit inquiète
- Le Covid n’est pas terminé, l’épuisement du personnel de santé non plus
Cette semaine, le Conseil fédéral a en effet annoncé la fin de la totalité des mesures en cours : les personnes infectées n’ont ainsi plus à s’isoler et le masque n’est plus obligatoire nulle part, sauf décisions locales. Justifiée par une lecture particulièrement optimiste des statistiques, la levée des mesures de protection va entraîner une sorte de trou noir dans le suivi épidémiologique. Il ne reste en effet plus guère de raison de se faire tester puisque l’isolement est aboli. Les autorités sanitaires et politiques ne communiquent plus sur les conséquences de l’absence des personnes malades sur le fonctionnement des infrastructures (fermetures de classes, suppression de courses de transports publics, etc.)
Le Conseil fédéral n’a donné aucune précision sur les moyens de suivi qu’il entend mettre en oeuvre pour surveiller le développement de la pandémie. La stratégie suivie en Grande-Bretagne et consistant à surveiller l’état sérologique d’un échantillon représentatif de la population ne semble pas devoir être mise en pratique dans notre pays. La surveillance des eaux usées, qui donne semble-t-il de bons pronostics, est pratiquée de manière marginale et totalement décentralisée.
Enfin, la vision optimiste de Conseil fédéral ne semble pas l’engager à profiter de la situation actuelle qu’il juge favorable pour investir dans la sécurisation des écoles, des transports publics et des supermarchés. Ce refus constant de mettre en place des mesures validées par les connaissances scientifiques devient, au-delà de tout schéma explicatif, de moins en moins compréhensible. Mal conseillées par une haute-fonction publique en attente d’une suite de carrière dans l’économie privée, rejetant les indications données par les organes qu’elles ont constitués (task force scientifique) au profit de conseils informels (cabinets d’audits, Didier Pittet) les autorités politiques semblent attirées par la catastrophe comme les personnes souffrant de vertige sont attirées par le vide.
Rapport final de la Task force scientifique
Le groupe d’expert.exs mis en place pour donner des orientations basées sur la science au Conseil fédéral a mis fin cette semaine à ses activités. Il a rendu un rapport final disponible (pour le moment ?) uniquement en allemand.
Il est intéressant de constater que ce rapport consiste essentiellement en une histoire épidémique de l’épidémie en ce sens qu’il se concentre sur un récit extrêmement détaillé des différents moments de la diffusion du virus en Suisse. Face à ce texte bureaucratique, on se pose tout de même la question du peu de courage dont font preuve les membres de cet organe qui sont pourtant toutes et tous des scientifiques installéexs n’ayant pas grand chose à craindre pour la suite de leur carrière.
Ce rapport final aurait pu être l’occasion d’un plaidoyer énergique pour la mise en place de mesures scientifiquement fondées propres à faire face à la vague de l’automne prochain. Rien de tout cela, les mots air et aération (Luft / Lüftung, lüften) apparaissent trois fois en 110 pages, le mot école pas beaucoup plus. Sauf à lire entre les lignes, ce rapport ne contient pas grand chose pour permettre une critique de l’action du Conseil fédéral.
Tout se passe comme si, au refus de la science par les autorités politiques, équivalait une sorte de refus de la politique par les autorités scientifiques. Il conviendrait peut-être de se convaincre que la plus grande expertise n’est pas très intéressante si elle ne s’exerce pas au sein même de la société qui la rend possible et si elle n’est pas suivi d’actions.
« Stratification sociale » des conséquences de la pandémie
La même Task force publiait cette semaine un bref rapport sur les conséquences socialement différenciées de la pandémie en Suisse assorti de quelque recommandations. La plupart des éléments de faits ont déjà été relayés ici séparemment, un des apport de cette note étant de les rassembler dans un même document.
Les recommandations sont au nombre de trois :
1/ La capacité à prendre des responsabilités individuelles dépend de la stratification sociale et de l’inégalité des ressources, qui doivent être prises en compte. 2/ L’interdiction de la discrimination directe et indirecte oblige les acteurs étatiques à activement prendre des mesures compensatoires pour assurer l’égalité des chances. 3/ Il est important de surveiller les différents impacts de la pandémie sur les différents groupes de la société.
On peut regretter, ici encore, une position en retrait par rapport à ce qui pourrait être attendu d’une approche en sciences sociales. Cette courte note ne pointe en effet jamais les causes des inégalités : la « stratification sociale » est regardée comme une donné de base dont il faudrait tenir compte dans la mise en oeuvre des politiques publiques et non pas comme une situation sur laquelle agir. Les profits qu’ont tirés de la crise certains acteurs économiques ne sont pas évoqués, la nécessité d’une redistribution des richesses non plus.
Positionnements politiciens
Cette semaine, au cours de la séance du parlement national, le Parti Vert libéral a souhaité se profiler sur la question du COVID. Martin Bäumle a déposé une question au Conseil fédéral, fort bien rédigée et qui pointe les failles actuelles de l’absence de politique sanitaire du gouvernement. Quelques extraits :
« Le Conseil fédéral reconnaîtra-t-il le principal mode de transmission "inhalation de particules respiratoires, principalement des aérosols", expliquera-t-il à la population, par le biais d’une campagne d’information, ce qu’est un air ambiant sain (CO2 inférieur à 800-1000 ppm, 40-60 % d’HR, réduction massive de la contamination, de la charge virale dans l’air ambiant) ? »
« Le Conseil fédéral est-il prêt à aider les lieux publics tels que les écoles, les hôpitaux, les maisons de retraite, les transports publics, etc. à respirer un air intérieur sain en invitant les cantons à le faire et en leur apportant, si nécessaire, un soutien financier, logistique ou autre ? »
« Le Conseil fédéral est-il prêt à lancer et à financer une cohorte SARS-CoV-2 à long terme, comme la Swiss HIV Cohort, avec >10 000 participants à l’étude, afin de surveiller la population (entre autres tests de cellules T, Long Covid, réinfections, COV) et d’établir des données le plus rapidement possible et de les publier en temps utile ? »
Sur Twitter, sa collègue de parti Irène Kostenas relaie de nombreux contenus scientifiquement pertinents et critiques vis-à-vis de la politique suisse actuelle en matière d’épidémie.
Il nous semble significatif qu’au même moment, le Parti Vert libéral participait à la conférence de presse des opposants au référendum contre Frontex, affichant un clair soutien à l’agence européenne et à la politique d’asile de l’Europe et du Conseil fédéral. L’écologie libérale, c’est encore un libéralisme, c’est-à-dire un projet politique où les riches se protègent et se construisent un cocon idéal et vertueux sur le dos de toutes celles et ceux qu’ils rejettent. Un projet peut-être plus en accord avec la science que celui de l’extrême-droite, mais un projet qui reste inhumain et élitiste.
Inégalités
Slate annonce une série de trois articles sur la santé comme bien commun. Dans le premier, Laure Dasinieres & Antoine Flahault rappellent les principes énoncées par l’OMS dans le préambule de sa constitution - dont _« L’inégalité des divers pays en ce qui concerne l’amélioration de la santé et la lutte contre les maladies, en particulier les maladies transmissibles, est un péril pour tous. »_ - et regrettent devoir constater qu’ils ne sont respectés ni à l’échelle nationale, ni à l’international.
Les auteures partagent quelques données sur les inégalités de la pandémie de Covid. Un extrait concernant les inégalités dans l’accès à la vaccination :
« la vaccination contre le Covid est un miroir grossissant des inégalités sociales en France. Les personnes non vaccinées sont souvent des personnes relativement pauvres et précarisées, peu diplômées et éloignées du soin et qui manifestent parfois une méfiance à l’égard du gouvernement. Ainsi, parmi les 10% les plus pauvres de la population française, seuls 54,8% étaient vaccinés en juillet 2021, contre 87,6% des personnes appartenant aux 10% les plus riches. (...) Au niveau mondial, les inégalités sont, elles-aussi, criantes. Sur le continent africain, 80% de la population n’a toujours pas reçu une seule dose. Et seules 13% des personnes vivant dans des pays à faible revenu présentaient un schéma vaccinal complet à la fin de l’année dernière. En cause : les coûts à l’achat, l’absence de chaînes de production et de compétences locales formées ainsi qu’un défaut d’information et parfois une défiance à l’égard de ce qui vient de l’Occident. Le fait est que ces inégalités existent aujourd’hui tant dans la prévention, le dépistage que dans la vaccination et les traitements. »
Un extrait sur les inégalités dans l’accès au dépistage :
« À l’échelle mondiale, les inégalités d’accès au dépistage sont criantes. Et, on ne saurait évidemment prescrire de traitement curatif sans outils diagnostiques performants. Combien de maladies curables lorsqu’elles sont dépistées à temps causent nombre de décès dans les pays à faible revenu ? Prenons l’exemple du lymphome de Hodgkin : lorsqu’il est dépisté tôt et soigné en conséquence, l’espérance de vie des malades est presque similaire à celle de la population générale. Mais il est mortel s’il n’est pas diagnostiqué et traité. Le problème est que les pays pauvres manquent cruellement d’anatomopathologistes pour faire le diagnostic de ce cancer.
Évidemment, il en va de même pour de nombreux cancers, comme le cancer du col de l’utérus chez la femme ou du testicule chez l’homme, mais aussi pour de très nombreuses maladies mortelles allant du diabète insulino-dépendant au VIH qui, diagnostiquées et soignées, deviennent des maladies chroniques n’altérant pas ou peu l’espérance de vie sous nos contrées. »
On note que les auteurs appellent à la « mise en place d’une couverture universelle santé partout dans le monde ». Or, sans s’attaquer aux causes des inégalités de santé, entre autres au capitalisme, on ne voit pas trop l’issue de ce vœu pieux.
Si, si, nous sommes dépendantexs à différentes échelles
L’historien de la médecine et professeur à l’Université de Zurich Flurin Condrau dans un entretien au journal Tages Anzeiger critique les « nombreux pays occidentaux, qui pensent que tout est réglé lorsqu’ils déclarent la fin de la pandémie ». Concernant la Suisse, il affirme que :
« nous vivons actuellement une phase de deuxième et troisième infections. Jusqu’à présent, personne ne peut dire quels seront les effets à long terme de la réinfection par le Covid. Le nombre de cas en Suisse est encore très élevé et la Suisse présente actuellement une surmortalité statistique. »
Il dit encore regretter la décision du gouvernement « que l’obligation de porter un masque dans les transports publics ait été abandonnée sans nécessité. Car je ne vois pas ce qu’on y gagne. J’ai l’impression que la soi-disant vie avec le Covid consiste surtout en une chose : Nous faisons comme si le Covid n’existait pas. »
Plus loin : On nous dit maintenant que le Coronavirus devient endémique. Ce concept politique forgé au XIXe siècle ne dit pas grand chose en dehors du fait que, d’une manière ou d’une outre, le problème persiste.
A l’échelle mondiale, il met en avant l’interdépendance des populations : « Les pandémies ne connaissent pas de frontières, et cette pandémie continuera donc à nous occuper, que nous le voulions ou non. Elle ne sera terminée que lorsqu’elle sera terminée pour tout le monde. » (notre traduction). Invité à parler guerre et maladie, il s’exprime ainsi :
« Le Covid n’est pas la seule maladie infectieuse qui peut se propager massivement dans des conditions de guerre. L’Ukraine et la Russie sont par exemple aussi des centres évidents de variants de tuberculose résistants aux antibiotiques. Plus la guerre dure, plus les conséquences de la maladie sont dangereuses. (...) Il est certain que les maladies infectieuses ont toujours profité des guerres. Ce sera encore le cas aujourd’hui, compte tenu des conséquences de la guerre sur l’approvisionnement alimentaire. » (notre traduction)
Le Covid ce n’est toujours pas « comme une grippe »
Sur la comparaison Covid-grippe, l’épidémiologiste Antoine Flahault s’exprime ainsi pour tenter de modifier cette narration dangereuse :
« Le Covid-19 n’est pas la grippe. Je ne connais pas de grippe qui provoque en France, pendant plusieurs mois d’affilée, entre 100 et 300 morts par jour et autant d’hospitalisations en soins intensifs. Nous sommes donc très loin des conséquences de la grippe, d’autant que les Covid longs sont encore mal connus, et plusieurs experts craignent que cela devienne un gros problème de maladies chroniques. Au contraire, nous restons dans une pandémie sournoise, avec un virus qui mute très souvent. (...) L’Organisation mondiale de la santé définit toujours le Covid-19 comme une urgence de santé publique de portée internationale. Ce n’est donc pas du tout une maladie comme les autres. Notons que nous n’avons pas d’autres maladies qui ont autant d’impact sur la vie sociale, économique et politique de la planète entière. Nous sommes face à une maladie d’une extrême bénignité chez un très grand nombre de personnes, mais qui peut être redoutable, car elle peut engorger les hôpitaux. C’est totalement inédit, nous sommes loin d’une maladie "normale". »
L’OMS, elle se dit inquiète
L’OMS se dit inquiète. En effet, alors que le virus circule actuellement à des niveaux très élevés, de nombreux gouvernements ont opté pour une réduction significative des tests de dépistage. Les conséquences : les données deviennent progressivement « moins représentatives, moins opportunes et moins solides » ; ça rend difficile à déterminer où « se trouve le virus, comment il se propage et comment il évolue » ; et qui dit cas non identifiés, dit pas de traitement et pas d’isolement. L’OMS rappelle qu’une augmentation importante de cas de Covid peut s’accompagner d’une hausse du nombre d’hospitalisations et des morts.
Le Covid n’est pas terminé, l’épuisement du personnel de santé non plus
Dans un article du journal médical JAMA, nous apprenons que le manque de personnel de la santé est actuellement le principal facteur de stress des cliniciennexs aux Etats-Unis. L’agence fédérale états-unienne chargée de mener des recherches et formuler des recommandations pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (NIOSH) rapporte que dans les zones rurales et les autres zones mal desservies du pays, il a atteint des niveaux critiques et que des travailleur.eusexs de la santé ont quitté le marché du travail à un rythme alarmant ces deux dernières années.
Dans l’enquête menée en février 2022, 62 % des 847 cliniciennexs connaissaient personnellement d’autres cliniciens de soins primaires qui avaient pris une retraite anticipée ou avaient démissionné pendant la pandémie, et 29 % connaissaient des cabinets qui avaient fermé leurs portes. Cela s’ajoute à une pénurie préexistante de médecins généralistes et de médecins de famille. Une autre étude _Coping With COVID_ prédit « un exode plus généralisé des cliniciennexs : au cours de la première année de la pandémie, 23,8 % des plus de 9000 médecins de diverses disciplines participant à l’étude et 40 % des 2301 infirmières prévoyaient de quitter leur pratique au cours des deux années suivantes. »
Dans une enquête de l’American Nurses Foundation, les infirmières qui ont déclaré avoir l’intention de quitter leur poste dans les six mois explicitaient trois principales raisons pour le faire : un travail affectant négativement leur santé et leur bien-être, une dotation en personnel insuffisante et un manque de soutien de l’employeur pendant la pandémie.
L’article du JAMA rapporte encore les réponses à une enquête récente qui reflètent la détresse de médecins :
Je ne peux pas continuer à travailler à ce rythme et prendre ma retraite à 65 ans. J’ai 50 ans. Je suis chroniquement épuisé. Il n’y a pas de répit en vue.
Je suis épuisé. Les patients ont tellement d’anxiété et cela m’a affecté. Je vois 21 patients par jour pour un salaire relativement bas. Je suis sur le point de quitter ce poste - je ne peux pas rester en bonne santé et rester ici.
Je suis traumatisé émotionnellement et je vis un épuisement professionnel grave. Je démissionnerais si j’en étais capable.
J’exerce depuis plus de 30 ans et je ne me suis jamais senti aussi épuisé émotionnellement et physiquement que cette année. J’ai renoncé à essayer de corriger la désinformation de COVID et c’est tellement décourageant.
Médecin et vice président du département de psychiatrie du Columbia University Medical Center (CUMC), Lou Baptista souligne que l’équipsement du personnel de santé n’est pas fini :
Il est clair que l’épuisement, la fatigue et la frustration sont encore largement répandus, non seulement en ce qui concerne les premières phases de la pandémie, mais aussi les suites liées au manque de personnel.