Santé - Soins Coronavirus

Suivi de la pandémie : Semaine du 14 au 20 mars 2022

Les mesures de protection collectives ont été levées en France en début de semaine. En Suisse, les autorités politiques ne s’expriment plus sur la pandémie en cours tandis que le nombre de cas est équivalent à celui du milieu du mois de janvier de cette année. La pandémie a été effacée de l’horizon politique par la magie de la décision de la fin des mesures de protection. Pourtant, la dynamique des infections est tout à fait similaire à celle qui prévalait à mi-janvier. Cette disparition de l’espace politique entraîne une large disparition du sujet dans l’espace médiatique et même si, ici et là, paraissent encore des articles, une forme de fatalisme de l’infection semble se dessiner.

D’autres voix, cependant, se font entendre. Ainsi ce papier de la London school of economics dont nous donnons de plus larges extraits en fin de page, mais dont il vaut la peine de citer cette phrase :

« les systèmes capitalistes en général, et néolibéraux en particulier, ont une profonde antipathie pour les personnes dépendantes et pour le concept même de dépendance relationnelle, d’où les mauvaises conditions de rémunération et de travail associées au travail de soin marchandisé. »

Quelques ressources pour discuter dans vos groupes, collectifs, lieux de travail et d’activités, colocs et autres espaces

On relaie ici beaucoup d’infos brutes cadrées par notre conviction que la pandémie est une question politique qui vient renforcer les structures inégalitaires de nos sociétés, mais il vaut parfois la peine de ne pas se limiter à des constats. La décision des autorités sanitaires et politiques d’abandonner les mesures de protection collectives contre la pandémie nous force à des décisions individuelles. Pour ne pas être totalement renvoyé.exs à l’isolement individuel, on partage ici quelques ressources qui permettent de discuter de stratégies de protection collective locales. De notre point de vue, ce ne sont pas des modes d’emploi, on n’est pas du tout sûrs de partager tout ce qui est dit et écrit, mais ce sont des invitations à échanger sur cette situation. On ne construit pas de politique sur la plus grande vertu individuelle, mais sur ce qu’on peut construire ensemble.

* Radio renversée propose une longue émission avec beaucoup de témoignages sincères et concrets et de nombreuses lectures de textes très riches et des musiques déroutantes. Beaucoup de ressources sont en lien depuis la page de l’émission.
* Un texte du Comité pour l’extension des courants d’airs paru à l’occasion de la levée du port du masque obligatoire en France cette semaine. Il rappelle quelques évidences et quelques outils simples de protection.
* Le site du Collectif Cabrioles 12 qui propose une réflexion dense sur l’idée d’autodéfense sanitaire et relaie des textes autour de cette question.

Le bricolage statistique de la semaine : le décompte des PIMS

Le PIMS n’est pas qu’un cookie fourré à la confiture, c’est aussi le Pediatric Inflammatory Multisystem Syndrome, soit un syndrome qui touche les enfants infectéexs par le covid-19 et qui consiste en une réaction excessive du système immunitaire qui produit un effondrement des organes environ trois à six semaines après l’infection au covid. La plupart des enfants touchéexs sont hospitaliséexs et la moitié d’entre elleux en soins intensifs.

On avait relayé l’absence de décompte centralisé des occurrences de ce syndrome en Suisse. Un article de NZZ Magazin sur lequel nous revenons ci-dessous révèle un fait intéressant. Selon l’immunologue Johannes Trück de l’Hôpital pédiatrique de Zurich, les cas de PIMS sont actuellement sous-estimés en Suisse. En effet, seuls sont enregistrés comme tels les syndromes qui sont consécutifs à une infection au COVID établie par un test PCR ou une sérologie. Si l’infection préalable n’est pas établie, le syndrome est enregistré comme un syndrome de Kawasaki dont les symptômes sont identiques. Mais, indique Trück, alors que les pédiatres zurichois diagnostiques normalement cinq syndromes de Kawasaki par an, ils en ont diagnostiqué 22 en 2021.

Bien sûr, cette augmentation des cas de syndrome de Kawasaki peut être liée à tout autre chose que la pandémie de COVID et c’est ce que ne se priveront pas de souligner les assureurs et les autorités sanitaires et politiques qui ont tout intérêt à minimiser les conséquences d’une pandémie qu’ils ont renoncé à essayer d’endiguer.

Statistiques allemandes

Une étude allemande publiée par la revue médicale The Lancet montre qu’il est possible, en développant des registres unifiés et en stabilisant les définitions, de consolider les statistiques des causes de décès et de les discuter sur une base rationnelle pour mieux comprendre les dynamiques de la pandémie. L’Allemagne s’est dotée d’un tel registre, rassemblant les résultats d’autopsies de patient.exs décédéexs des suites d’atteintes cardio-respiratoires.

Comme nous avons eu l’occasion de le mentionner à plusieurs reprises ici, les autorités sanitaires suisses semblent rejeter l’idée d’investir dans une infrastructure statistique digne de ce nom qui permette d’améliorer la connaissance des conséquences de l’infection sur la population.

« Ils seront tous contaminés par le virus un jour ou l’autre »

Ce sont les mots de l’immunologue Johannes Trück à propos des enfants dans un article de synthèse de NZZ Magazin : : traduction française paru cette semaine. A l’image de cette déclaration, l’article est d’un grand fatalisme. Il faut vacciner les enfants pour leur éviter des complications PIMS ou long covid] et pour casser les chaînes de contamination de l’école vers les familles. Pour le reste, aucune mesure de sécurisation des salles de classe n’est évoquée.

En Europe, la levée des mesures de protection ça donne quoi ?

En Norvège où le gouvernement a levé toutes les mesures de protection, le nombre de morts par jour est cinq fois plus élevé qu’au pire moment de la pandémie.

En Angleterre, là où le gouvernement se prépare à mettre fin aux tests Covid de masse gratuits à partir de la fin du mois, après avoir levé les restrictions légales fin février, le personnel des hôpitaux est à nouveau malade et absent en plus grand nombre. Cette semaine, d’après le NHS, le nombre d’employéexs des soins aigus ne travaillant pas à cause du Covid a augmenté de près d’un cinquième. La proportion de l’ensemble des absences du personnel liées au covid a augmenté de 27% à 30% au cours de la semaine dernière. A Londres, cette semaine il était estimé qu’une personne sur 18 avait le Covid et qu’environ 5.6% des habitantexs avaient testé positif.vexs la semaine précédente.

En France, quel bilan après la semaine sans l’obligation du port du masque à l’école ? Plus de 52’000 élèves ont le Covid et environ 3’200 classes ont dû fermer

En Suisse, la Task Force constate, dans l’évaluation de la situation épidémiologique du 14 mars, que depuis trois semaines, le nombre de personnes infectées par le Covid augmentent. Les plus touchéexs ont plus de 60 ans. Le nombre d’hospitalisations augmente également. Les causes : la propagation du variant BA.2 et la levée des mesures de protection depuis le 17 février 2022.

SI les gouvernements ne discutent pas sérieusement les augmentations des cas Covid, ni celles des hospitalisation et encore moins des morts et des Covid Long en devenir, en revanches d’autres acteur.icexs le font.

L’épidémiologiste Antoine Flahault critique sur Twitter les décisions politiques de lever les mesures de protection et affirme :

« Les pays européens sont en train de constater les premiers effets de la désinvolture de leurs politiques vis-à-vis de la gestion de la pandémie. La récente gestion de la pandémie est calamiteuse car a conduit à une succession de stop&go sans stratégie ni coordination à l’échelle européenne : Une veille sanitaire coûteuse et peu fiable ; Des mesures levées sans boussole ; des personnes]. vulnérables laissées à l’abandon. »

Il qualifie les choix des gouvernements européens de « compétition grotesque et irrationnelle à la levée des mesures sanitaires ». Une fois de plus, il appelle à traiter de la question de l’air dans les espaces intérieurs :

« Face à la répétition d’une crise sanitaire où le coronavirus se contracte en lieux clos, mal ventilés et bondés, rien n’a été entrepris pour tenter d’améliorer la qualité de l’air intérieur. On y passe 90% de notre temps, il s’y passe 95-99% des contaminations. »

Dans la Tribune de Genève, il invite à la vigilance :

« Outre les personnes vulnérables et les enfants avec des comorbidités qui ne peuvent pas être vaccinés, le reste de la population risque de faire un Covid long. Le masque, particulièrement conseillé pour protéger les plus fragiles, permet aussi de réduire la charge virale infectante, ce qui a pour tous un effet sur la gravité de la maladie et sur la probabilité de Covid long. »

Le directeur de recherche au CNRS et spécialiste des coronavirus, Bruno Canard, interrogé dans Marianne, répond à la question de savoir si les mesures ont été levées trop tôt, à cause de l’agenda politique :

« Bien sûr ! ...] la réalité est qu’il ne faut pas laisser tomber les mesures barrières. Il faut garder le masque et mettre en place des politiques d’aération strictes dans les lieux fermés. D’autant que la vaccination peine face à BA.2. Peut-être que les formes graves de sous-variant sont contrôlées mais la vaccination n’empêche ni la contagion ni la transmission. ...] Ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera peut-être plus dans deux mois. ...] Il faut s’adapter au moment présent, réajuster les lois et les dispositions sans délai. Il s’agit de faire comprendre que ce n’est pas se renier, pour le politique, de dire cela, c’est simplement s’adapter intelligemment. Or le politique ne le fait pas parce que ça lui coûte électoralement… »

Notons que face à l’augmentation des cas de Covid, quelques gouvernements reviennent au port du masque à l’intérieur ou décident de ne pas lever cette mesure de protection. En Europe, l’Italie va maintenir l’obligation du port du masque sur les lieux de travail et plus généralement à l’intérieur jusqu’au 30 avril, une mesure qui pourrait être prolongée. En Autriche, le gouvernement va réintroduire l’obligation du port du masque FFP2 à l’intérieur deux semaines après l’avoir abolie . Cette semaine, le gouvernement écossais a reporté la fin du port obligatoire du masque au mois d’avril.

Des scientifiques que les politiques et les médias rejettent ou chérissent

Si certaines scientifiques peinent à faire entendre leurs versions de la pandémie aux gouvernements et à être relayéex dans les médias, à l’instar de l’épidémiologiste Deepti Gurdasani, d’autres comme le médecin Didier Pittet se voient encore dérouler un tapis rouge. Ainsi comme le relève Libération, le gouvernement français

« minimise toujours l’importance de la transmission aéroportée du Covid-19. Pas plus tard que ce vendredi matin, le compte Twitter du ministère de la Santé a publié un énième spot en faveur du lavage des mains. Une conséquence d’avoir choisi Didier Pittet, l’inventeur du gel hydroalcoolique, comme président de la mission d’évaluation de la politique française anti-Covid. »

A Genève aussi on subit son aura, lorsque qu’on se voit recommander par l’autorité de santé locale de garder les bons réflexes et que ceux-ci ne consistent pas à porter un masque à l’intérieur sauf en cas de symptômes] mais qu’en revanche on est encore encouragéex à nous laver les mains...

L’argent ira ailleurs

Un article du New York Times décrit comment aux États-Unis le gouvernement s’apprête à réduire les fonds destinés à des outils de préventions et de soin du Covid et ce que ça implique concrètement :

« les responsables fédéraux ont déclaré qu’ils devraient commencer à réduire de plus de 30 % les livraisons d’anticorps monoclonaux aux États la semaine prochaine. Le gouvernement a obtenu 20 millions de pilules antivirales, mais les commandes supplémentaires sont en attente. D’ici le mois de juin, les efforts du gouvernement fédéral pour s’assurer que les entreprises continuent à produire suffisamment de tests seront à court d’argent, ce qui mettra en péril la capacité de production pour la fin de l’année.

Il n’y a pas assez d’argent pour garantir des achats suffisants de vaccins de rappel spécifiques à un variant, s’ils sont nécessaires, ont déclaré les fonctionnaires fédéraux. Et si ces pénuries touchent tous les Américains, les personnes non assurées courent des risques particuliers car un programme fédéral de remboursement des prestataires pour les tests, les traitements et les vaccinations des personnes non assurées pourrait prendre fin début avril. ...]

Même les expertexs de la santé qui disent s’être habituéexs au cycle d’expansion et de ralentissement du financement des pandémies se disent choqués que l’argent se tarisse si peu de temps après que le pays ait défini des plans pour s’adapter à une nouvelle normalité. Cet argent, ont-iels dit, était essentiel pour éviter des fermetures à grande échelle et, au contraire, pour détecter les vagues suffisamment tôt pour que les responsables de la santé puissent recommander des masques ou augmenter les dépistages dans certaines zones et aider les hôpitaux à se préparer. » (notre traduction)

Inégalités sociales : causes passées et futures de problèmes de santé publique et mondiale

Dans un article du journal médical BMJ, le médecin états-unien spécialiste des maladies infectieuses et de la santé globale Abraar Karan revient sur quatre erreurs de cette pandémie. L’une a trait aux inégalités sociales sous-jacentes qui ont nourries la pandémie et qui persistent. Il écrit à ce propos :

« les personnes les plus vulnérables sont à nouveau laissées pour compte. Alors que les obligations relatives aux masques sont rapidement levées, nous, médecins, continuons à prendre en charge des patientexs qui doivent rester masquéexs en raison de conditions de santé sous-jacentes. Nombreux sont celleux qui se demandent ce qu’il adviendra d’elleux - par exemple, le masquage "à sens unique" suffira-t-il à les protéger des infections ?

De même, je me souviens du début de la pandémie, lorsque les personnes qui remplissaient nos services d’urgence étaient principalement des travailleur.eusexs de première ligne, souvent issuexs de communautés ethniques minoritaires, qui ne disposaient pas de protections personnelles ou professionnelles adéquates. Je suis inquiet de constater que les facteurs sous-jacents qui permettent aux pandémies de s’intensifier n’ont pas été abordés.

Si nous sommes confrontéexs à un autre variant mortel ou à un nouveau virus respiratoire complètement différent, je m’attends à ce que les mêmes groupes de personnes souffrent d’abord avant que la maladie ne se propage à tous les secteurs de la société. Nous ne sommes pas en sécurité si nous ne donnons pas la priorité aux personnes les plus vulnérables.

Comme le disait l’anthropologue et médecin] Paul Farmer, "L’idée que certaines vies comptent moins est à l’origine de tout ce qui ne va pas dans le monde". En passant rapidement à autre chose après cette pandémie sans s’attaquer aux inégalités sociétales qu’elle a exposées, nous ne sommes pas plus protégéexs des menaces sanitaires mondiales qu’avant, seulement encore plus mal orientés. » (notre traduction)

Le néolibéralisme a en horreur la dépendance relationnelle

Pour finir, on partage quelques extraits d’un article paru sur le blog de la LSE :

« La pandémie de Covid-19 a rendu la nécropolitique - la politique de la vie et de la mort - incontournable. En s’appuyant sur les travaux d’Achille Mbembe, Hamish Robertson et Joanne Travaglia affirment que, comme lors des crises précédentes, le Covid-19 révèle un grand nombre d’hypothèses cachées qui sous-tendent les systèmes de santé nationaux. »

Iels se penchent sur :

« la façon dont les personnes vivant dans des situations de grande dépendance et de vulnérabilité sont fréquemment caractérisées et sommairement rejetées. Comme l’ont fait valoir les bioéthiciennexs féministes, les systèmes capitalistes en général, et néolibéraux en particulier, ont une profonde antipathie pour les personnes dépendantes et même pour le concept même de dépendance relationnelle, d’où les mauvaises conditions de rémunération et de travail associées au travail de soin marchandisé. Le concept de marchandisation est profondément ancré dans nos systèmes de santé, car très peu d’entre eux sont dotés de ressources à la hauteur des besoins réels de la population en matière de santé. Au lieu de cela, nous voyons des récits implicites et explicites sur la nécessité de rationner les ressources, ce qui, en fin de compte, signifie le rationnement des traitements et des soins. »

Et de conclure :

« Il est clair que certaines personnes sont plus à risque que d’autres, que les personnes qui étaient vulnérables auparavant le sont encore plus maintenant. Une partie de cette vulnérabilité est une conséquence non pas de leur catégorisation individuelle ou de santé sociale les personnes âgées, les personnes handicapées, les malades chroniques], mais de notre nécropolitique dominante et de nos positions non examinées à l’égard de ces arrangements nécropolitiques. Le Covid-19 nous oblige toutexs à nous interroger de très près sur ces arrangements, le défi politique du monde post-Covid-19 sera de saisir ce moment nécropolitique, avant que la situation ne revienne à ces relations et hypothèses établies - jusqu’à la prochaine crise. » (notre traduction)

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