Durant la nuit du 23 au 24 décembre, deux banderoles ont été déployées dans le quartier de Clendy-Dessous anciennement occupé par des militant.exs écologistes. Dessus, on pouvait y lire notamment “La rue tue - la propriété privée précarise les gens”. Pour rappel, plusieurs habitations du quartier avaient été occupées en octobre 2021 suite à une manifestation qui appelait à reprendre la ville et à un week-end improvisé dans les jardins menacés par un projet immobilier. Deux mois et demi plus tard, les lieux étaient évacués ; ils sont alors restés inutilisés une année durant, jusqu’au récent début des travaux ... Comme on l’annonçait justement dans notre dernier communiqué du 28 décembre 2021 “la justice, la police, et la municipalité, ont détruit un lieu de résistance et de vie pour laisser place à du vide”.
En décembre dernier, après avoir plaidé devant le tribunal l’imminence des travaux pour accélérer l’expulsion des occupant.exs, les propriétaires ont déboursé quelques 10’000 francs (selon l’entreprise mandatée pour l’occasion) pour rendre les lieux inhabitables. Et c’est bien ce qu’ils furent, inhabités, pendant près de 12 mois, malgré l’intensification de la crise du logement liée à la spéculation immobilière et la mise en avant du problème du sans-abrisme dans le canton de Vaud au travers des actions du collectif 43m2 notamment. Quand un bâtiment voué à la destruction est occupé, les propriétaires et les politiques s’accordent sur une illusion : celle que le droit à la propriété d’un seul individu passerait avant le droit au logement, à une alimentation saine et à la vie d’une trentaine d’autres individu.exs. Et puis, comme on le sait déjà, la propriété privée des uns rime toujours avec la précarité des autres : soit tu es contraint.ex à travailler pour verser chaque mois une partie conséquente de ton salaire à une personne qui ne fait rien d’autres que posséder, soit tu te retrouves à la rue.
Dans un récent arrêt [1] daté du 31 octobre 2022, le tribunal fédéral a donné raison à l’avocat qui nous avait représenté face aux propriétaires. Le jugement de faire évacuer les bâtiments a été reconnu comme nul ; il aurait dû comporter les noms des personnes qui devaient quitter les lieux pour être correct au yeux du droit. Au total, les propriétaires des bâtiments auront donc payé plus de 15’000 francs pour qu’un espace de vie reste vide durant une année, dont plusieurs milliers de francs rien qu’en frais juridiques, alors que des centaines de personnes dorment à la rue dans le canton de Vaud.
En effet, environ 5772 [2] refus ont été enregistrés dans les hébergements d’urgence, rien qu’à Lausanne, en 2021, ceci dans un canton qui compte 4735 logements vacants en excluant les logements non disponibles à la vente ou à la location qui restent vides, par exemple ceux qui, comme dans le cas du quartier de Clendy-Dessous, sont en attente de leur démolition. C’est ce qui, à raison, a poussé le collectif 43m2 à occuper les jardins de l’HETSL le 1er juin 2022 suite à des demandes officielles aux autorités restées sans réponse. Pendant un mois, 60 personnes à la rue ont donc été logées dans des tentes, soutenues par des militant.exs qui n’ont depuis cessé de revendiquer l’augmentation du nombre de place en hébergement d’urgence, le maintien de ces places à l’année et la dépénnalisation du camping sauvage. On pourraient également citer le collectif Jean Dutoit, actuellement dans une situation de logement très précaire, le collectif Personne à la Rue, les squats de la région et autres réseaux de solidarité qui offrent au final bien plus de lits aux sans-abris que ne le fait le canton.
Ainsi, face à l’obstination mortifère des autorités à ignorer la réalité du sans-abrisme, le Quartier Libre de Clendy, comme bien d’autres alternatives, proposait une solution adaptée et efficace. Ses bâtiments délaissés pour une durée indeterminée se prêtaient parfaitement pour de l’hébergement d’urgence mais aussi de l’accueil à plus long terme. Il y avait là bas la place pour une solidarité profondément humaine avec la possibilité d’y rester le jour, de cuisiner, de rencontrer des gens et participer à la vie collective.
D’ailleurs, le Quartier Libre ne se limitait pas à proposer et pratiquer une forme d’entraide dans un lieu de vie et de résistance. C’est toute la société qui y était questionnée depuis ces quelques parcelles. Par notre présence nous interrogions : A qui appartient la ville ? A celleux qui la possèdent ou à celleux qui l’habitent ? Nous y déployions une large critique de la manière dont les villes étaient gouvernées ; le profit plutôt que la démocratie radicale à la base les choix d’urbanisme. Dans cette idée, des assemblées de quartier étaient régulièrement organisées pour discuter de sujets allant de l’organisation du vivre ensemble au fonctionnement de l’économie en passant par l’agriculture et l’autonomie alimentaire. A ce propos, plusieurs arbres avaient étaient plantés et la friche avait été transformé en jardins maraichés cultivés collectivement. En résumé, en habitant le Quartier Libre, nous construisions une alternative concrête aux problèmes de notre temps. Bien qu’il aie été mis en pièces par les propriétaires et les politiques pour laisser la place à un projet antisocial et écologiquement irresponsable mené par des promoteurs richissimes, nous ne démordons pas : la lutte pour plus de justice climatique et sociale continue !