Répression - Enfermement Manifestation

Répression et intimidation d’activistes climatiques en Suisse : Faussement accusée de violence contre agent de police au Block Friday

​​​​​​​Le 29 novembre 2019, la Grève du Climat et Extinction Rebellion - deux groupes d’activistes pour le climat - se sont réunis pour organiser une action, à Fribourg (Suisse) à l’occasion du Black Friday : le Block Friday. Nous voulions agir face à la surconsommation dans le contexte de la crise climatique que nous vivons actuellement, et démontrer que la société doit prendre ce sujet beaucoup plus au sérieux.

Fribourg |

Notre but était de faire une action qui devait entrer dans le dialogue médiatique et atteindre un grand nombre de personnes pour les faire réfléchir. Dans la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement, qui menace la survie de l’humanité, nous sommes convaincuexs qu’il est légitime de faire usage de la désobéissance civile et nous étions prêtexs à prendre des risques légaux pour lutter contre la destruction de notre planète. 

Nous avons donc bloqué l’entrée principale du “Fribourg Centre”, un centre commercial important dans cette région, en dénonçant l’incitation à la surconsommation et sa complète absurdité en ce moment. Comme les personnes pouvaient entrer par d’autres portes et circuler librement dans le centre, il s’agissait d’une action symbolique. Nous étions conscientexs que cette action n’allait pas directement réduire les émissions carbones d’une manière directement calculable, mais nous voulions inciter un changement de mentalité dans la société.

Avant l’action, nous nous sommes retrouvéexs pour un briefing légal et pour préparer tout le monde à l’action. Entre autres, nous avons appris comment nous tenir l’unex à l’autre pour résister aux agents de police s’ils essayaient de nous enlever de force. Nous n’avions pas discuté de la possibilité de rester jusqu’à la fermeture du centre commercial, car il était prévisible que la police viendrait nous expulser avant. Donc je me suis mentalement préparée à résister jusqu’à ce que la police nous enlève.

Lors de l’action, plusieurs groupes bloquaient l’entrée principale et quelques personnes s’étaient enchaînées à des caddies. Vers 17 heures, nous nous sommes installéexs et nous avons chanté des slogans. D’autres activistes répondaient aux questions des passantes et leur expliquaient l’action. Nous avions réussi à bloquer cette entrée, mais peu de temps après, la police est arrivée et nous a dit de partir. Comme nous sommes restéexs, les policiers ont installé des rubalises autour de nous, soit disant pour éviter des conflits entre les passantes et nos groupes. Cela a duré deux heures, jusqu’à la fermeture du centre commercial.

Une fois le centre commercial fermé, les passantes et la présence de témoins se faisant plus rares, la police a commencé à nous enlever, l’unex après l’autre. Quelques personnes sont parties volontairement, d’autres avec peu de résistance. Notre groupe a été enlevé par la police en dernier. On n’était plus que trois personnes à se tenir ensemble. On avait décidé de rester jusqu’à la fin. Et trop d’émotions m’empêchaient de réfléchir aux conséquences de cette décision. Je me suis donc tenue à la personne à côté de moi. Et c’est la seule chose que j’ai faite : je me suis seulement tenue à cette personne.

Lorsque j’ai lu un article sur le Block Friday dans un journal quelques jours plus tard, où il était écrit qu’une activiste avait mordu un policier, j’étais très surprise. Je ne savait pas de quoi iexls parlaient. Quand j’ai reçu un mandat de comparution de la police cantonale exigeant un enregistrement de mesures signalétiques “dans le cadre d’investigations policières concernant violence envers les fonctionnaires”, j’ai d’abord été choquée. Je ne savais vraiment pas pourquoi j’avais reçu cette lettre. Puis, j’ai réalisé que cet article dans le journal se référait probablement à moi.

D’un coup, j’étais donc accusée de “violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires”. J’ai dû donner mes empreintes digitales, engager un avocat, aller à une audition au poste de gendarmerie du canton de Fribourg, prendre part à une audition devant le ministère public et aller au Tribunal de la Sarine. Et, entre tout ça, m’occuper de ce procès avec mon avocat, mes parents, etc. 

Je ne comprends pas du tout pourquoi ce policier m’a accusée de l’avoir mordu. Je n’ai vraiment aucune idée de ce qui a pu arriver pour lui faire penser que j’avais fait ça. Soit il pensait vraiment que je l’avais mordu, soit il l’a totalement inventé. Je me demande aussi pourquoi il était si certain que c’était moi qui l’avais mordu. Comme seule “preuve”, il avait une vidéo dans laquelle on ne voit personne le mordre. En plus, il a dit à l’auditoire qu’il avait une marque rouge sur sa main pendant plusieurs heures, mais il n’avait aucune photo ni aucune autre preuve de cela. 

Nous avons aussi été plusieurs à être faussement accuséexs de “contrainte”, ce qui était complètement exageré au regard de cette action, parce que les personnes pouvaient passer par d’autres entrées, l’une d’elles étant située pas loin de l’unique entrée bloquée. Et on nous a aussi accuséexs de “contravention à la loi sur le domaine public”, simplement parce que c’était une manifestation qui n’avait pas été autorisée en avance par la police.

À la fin, j’ai été acquittée des fausses accusations de violence et de contrainte. Mais j’ai été condamnée pour “Infraction aux prescriptions ou mesures policières”, “Contravention à la loi sur le domaine public”​​​​​​​ et “Trouble à la tranquillité publique”. Arriver à ce jugement m’a non seulement coûté beaucoup d’argent, car j’ai dû payer les frais d’avocat, une partie des frais juridiques et une amende, mais cela m’a aussi énormément coûté en temps et en énergie. Toutes ces procédures ont duré deux ans.

Les fausses accusations par la police et les procureurs sont récurrentes, partout en Suisse. Il faudrait donc cesser de les considérer comme des exceptions isolées.

Est-ce qu’il est justifié de devoir traverser toutes ces épreuves uniquement parce que l’avenir de la vie sur cette planète nous tient à coeur et qu’on a participé à une action pacifique et symbolique avec l’espoir de faire avancer les choses 

Je trouve que c’est totalement inadéquat et j’ai même le sentiment que cela s’est passé comme ça pour m’intimider et me dissuader de participer à des actions qui sortent un peu du cadre légal. Dans mon cas, les conséquences étaient dures, surtout à cause de cette accusation infondée. De plus, les lois actuelles ne sont pas appropriées à la situation d’urgence climatique et doivent absolument être changées. Il est inadmissible d’autoriser tous ces actes polluants qui mettent en danger nos écosystèmes et nos bases de vie. Si l’on autorise ce genre d’actes, et qu’en même temps on punit sévèrement une jeune femme qui a participé au bloquage d’une porte de centre commercial parce qu’elle voulait agir contre la crise climatique, on doit vraiment se demander si tout va bien.

La loi devrait se concentrer sur restreindre les actes polluants, et pas sur restreindre les actes qui visent à créer un monde meilleur. Il faut des mesures politiques, décidées pour le bien de toute l’humanité. Et non pas choisir le chemin de la facilité ni ce que veulent les lobbys des entreprises. Les lois telles qu’elles sont actuellement, continuent de nous mener à un monde toujours plus rempli de problèmes et de souffrances, car elles ignorent qu’on se trouve dans une crise climatique. J’ai choisi de faire de la désobéissance civile, de faire des actions “illégales”, parce que ces lois sont injustes, inapropriées et parce que la situation est grave.

NOTES D’ACTUALITÉ SUR CE PROCÈS :

Les accusations de “contrainte”, d’abord imposées par la police et le procureur, puis par le juge de première instance, ont été ensuite contredites en deuxième instance suisse, à la Cour d’appel pénale du canton de Fribourg. Mais il a fallu encore lutter ensuite en troisième instance, au Tribunal fédéral, pour la confirmation de la libération des sept activistes climatiques de cette fausse accusation.

Comme détaillé sur le site des Avocat.e.s pour le Climat (16.11.2023) :
https://avocatclimat.ch/proces-block-friday-le-tribunal-federal-confirme-lacquittement-des-activistes-du-climat/

QUELQUES AUTRES EXEMPLES DUME TYPE EN SUISSE :

Article Manifester est un droit fondamental (22.09.2023), dans le n° 425 de solidaritéS, par Henri Vuilliomenet : “Notre camarade Nathalie Delbrouck a été injustement condamnée pour s’être opposée à son interpellation par une police violente lors d’une manifestation pacifique.”

Article ZAD de la Colline : suivi des plaintes contre la police (26.05.2022), sur Renverse.co : “Suite à l’évacuation de la Zad de la Colline, faussement présentée comme s’étant déroulée sans accrocs, deux plaintes pénales avaient été déposées contre la police. Presque un an après, les parties plaignantes sont enfin entendues, mais elles se retrouvent face à des tentatives d’intimidation, des pressions économiques, des preuves qui apparaissent et disparaissent...”

Reportage audio Police 4/5, de Vacarme RTS (15.01.2023), par Maya Chollet : “Les plaintes contre la police sont en nette augmentation depuis quelques années. Quand la police dérape, il y a, de l’autre côté, une victime qui restera marquée à vie. Mais les violences, l’abus d’autorité, l’usage excessif de la force et de la contrainte restent difficiles à dénoncer, en particulier lorsqu’on est sans-papiers.”

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