Les trois autrices et militantes débutent le texte en présentant deux voix qui s’opposent : d’un côté, Sheryl Sandberg, la directrice des opérations de Facebook, figure du féminisme d’entreprise et cheffe de file d’une clique de femmes de l’élite qui voient le féminisme comme un allié du capitalisme néolibéral et comme une voie d’accès à toujours plus de positions dominantes, à une « égalité des chances de dominer », c’est-à-dire d’exploiter, d’enfermer, de tuer. De l’autre, les militant.e.s de la huelga feminista (grève féministe), qui appellent à « la révolte et à la lutte contre l’alliance du patriarcat et du capitalisme qui veut nous rendre obéissantes, soumises et silencieuses. »
Les autrices posent la question suivante : « continuerons-nous à courir après l’égalité des chances de dominer alors que la planète est en flammes ? Ou allons-nous imaginer une justice de genre indexée à l’anticapitalisme – celle qui mènera à une nouvelle société au-delà de la crise actuelle ? » Ce manifeste décline les axes de cette deuxième voie, et explique comment ce « féminisme des 99% », en s’alliant avec les antiracistes, les écologistes, les militant.e.s pour les droits des travailleur.euse.s et des migrant.e.s – rejette les valeurs des 1% dont la lutte consiste principalement à accéder à de hautes fonctions de pouvoir. Les thèses défendues sont les suivantes :
1. Une nouvelle vague féministe réinvente la grève
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2. Le féminisme libéral est en faillite. Il est temps de s’en débarrasser
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3. Nous avons besoin d’un féminisme anticapitaliste - un féminisme pour les 99 % ;
4. Ce que nous traversons, c’est une crise de la société dans son ensemble - et la source du problème est le capitalisme
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5. Dans les sociétés capitalistes, l’oppression de genre est enracinée dans la subordination de la reproduction sociale à la production marchande. Nous voulons remettre les choses dans le bon sens ;
6. La violence de genre prend de nombreuses formes, toutes liées aux relations sociales capitalistes. Nous jurons de les combattre toutes
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7. Le capitalisme essaie de contrôler la sexualité. Nous voulons la libérer
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8. Le capitalisme est né de la violence raciste et coloniale. Le féminisme pour les 99 % est antiraciste et anti-impérialiste
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9. En luttant pour empêcher la destruction de la Terre par le capital, le féminisme pour les 99 % est écosocialiste
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10. Le capitalisme est incompatible avec une véritable démocratie et la paix réelle. Notre réponse est l’internationalisme féministe
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11. Le féminisme pour les 99 % appelle tous les mouvements radicaux à se rejoindre dans une insurrection anticapitaliste commune
Ce texte court (128 pages) se termine sur une postface qui explicite quelques notions théoriques du féminisme matérialiste, telle que la notion de reproduction sociale. Sur ce thème, on peut aussi approfondir en jettant un œil au le guide de lecture de Morgane Merteuil sur la reproduction sociale, certes complexe théoriquement mais complet et bien fait.
Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya, Nancy Fraser, Féminisme pour les 99%. Un manifeste, Éditions La Découverte, mars 2019.