Écologie - Antiindustriel

La stratégie d’Extinction Rebellion est-elle la bonne pour sauver la planète ?

Extinction Rebellion a une stratégie très claire : la désobéissance civile non-violente de masse. Ils affirment que cette stratégie est prouvée être la plus efficace. Leurs mobilisations ont réussi à montrer qu’elle.il.s sont capables d’entraîner la participation massive d’un grand nombre de personnes prêtes à être arrêtées. XR a-t-elle trouvé la seule tactique capable d’enfin entraîner le changement nécessaire ?

Leur tactique est dans les présentations, dans l’organisation des actions, dans les interviews des co-fondateurs, dans la FAQ de leur site et dans leurs 10 principes et valeurs :

« 2. Nous basons notre mission sur ce qui est nécessaire. Mobiliser 3,5% de la population pour déclencher un changement de système  »

« 9. Nous sommes un réseau non-violent. En utilisant une stratégie et des tactiques non-violentes comme moyen le plus efficace de provoquer le changement. »

S’il y a une référence sur pourquoi la non-violence est la seule stratégie, c’est invariablement "Why civil resistance works : The strategic logic of nonviolent conflict " ou une autre des présentations ou travaux d’Erica Chenoweth qui sont toutes issues d’une étude antérieure datant de 2008. Cette étude peut-elle déterminer la seule tactique valable ?

Chenoweth et Stephan ont construit un échantillon de quelque 323 campagnes de résistance. Ce sont toutes des campagnes anti-régime, anti-occupation ou des campagnes sécessionnistes. Alors que beaucoup de gens à XR ne militent pas pour renverser un régime mais pour un changement de mode de gouvernement, en transférant le pouvoir du Parlement aux assemblées citoyennes, dans une logique de menace climatique imminente et d’absence de réaction des régimes actuels. Hallam, cofondateur et architecte central de la stratégie d’XR, est plus clair : si le gouvernement n’accepte pas les demandes, alors le slogan devrait être "renversons le gouvernement".

« Renversons le gouvernement, dites-vous ?
J’argumenterais que le slogan -"renversons le gouvernement" (ou quelque chose de similaire) – sonne incroyablement bien (et est donc très crédible)... Il libère une énergie et une imagination politique énorme. C’est ce qui a alimenté l’explosion rapide du soutien à Extinction Rebellion. La rébellion est ridicule, mais c’est précisément pour cette raison qu’elle est séduisante.
 » (Hallam 2019:23)

Les 323 campagnes de résistance examinées par l’étude sont dirigées contre des gouvernements nationaux uniques.
Il est peu question de mouvements de ce type dans des démocraties occidentales industrialisées : ETA (organisation armée basque indépendantiste), l’IRA (organisation paramilitaire nationaliste irlandaise), etc. La seule campagne citée dans le rapport qui a tenté de renverser une démocratie occidentale industrialisée est l’Espagne de 1936-39 (le renversement violent et réussi du gouvernement républicain par les fascistes).

Les mouvements sociaux et économiques sont explicitement exclus. Droits des femmes, égalité, droits civiques, environnement et mouvements pour la paix : tous sont exclus de l’étude.

Il n’y a pas d’exemples de campagnes thématiques ou internationales. L’étude ne s’intéresse qu’à l’acteur étatique. Dans ce contexte le succès d’une campagne est défini par la capacité du nouveau régime à être reconnu internationalement – pas par un changement de politique. L’étude ne porte pas sur les acteurs non étatiques : il ne traite pas des entreprises, des multinationales, des organisations intergouvernementales ou d’autres acteurs tels que la Banque mondiale, le FMI, l’OCDE, le forum économique mondial, etc. Il ne se penche pas sur les traités internationaux, où les États et les acteurs non étatiques qui peuvent exercer - et exercent - des pressions les uns sur les autres à partir de différentes positions de pouvoir.

Tout comme les cas abordés de l’étude, la stratégie d’XR est nationale. Bien que des groupes se forment dans d’autres pays, chacun d’entre eux cible uniquement son propre gouvernement. Bien que des entreprises puissent parfois être la cible d’une action, c’est toujours dans le but d’attaquer le gouvernement d’un seul État.

L’étude

L’étude originale analyse un échantillon de 323 campagnes qui répondent à un ensemble de critères strict (Chenoweth & Stephan 2008). Elle les catégorise par succès, succès partiel ou échec et les qualifie de non-violents ou violents. Cet échantillon n’inclut pas l’IRA jusqu’en 1968, donc pas d’insurrection de Pâques, pas de guerre civile ou d’indépendance irlandaise. Les jeunes-turcs d’origine et leur révolution dans l’Empire ottoman ne sont pas non plus inclus. La création de la République de Weimar à partir de la Révolution allemande ne l’est pas non plus, ni la révolution d’octobre des bolcheviques, bien que les rebelles kirghizes et kazabeles avant eux et les anti-bolcheviques après eux le soient. La désobéissance civile de masse largement non-violente et la révolution égyptienne de 1919 ne sont pas considérées, ni les 2’000’000 personnes qui militèrent sans succès pour l’indépendance de la Corée face au Japon dans le cadre du mouvement du 1er mars de 1919. Une liste des 323 campagnes actuellement dans l’étude est disponible en ligne sous le nom NAVCO dataset 1.1 (Chenoweth & Stephan 2011b).

Les campagnes non-violentes du livre incluent la Première Intifada en Palestine, plusieurs autres campagnes comprennent un coup d’État militaire, telles que la tentative de changement de régime au Panama en 1987-89 qui fut soutenue par l’armée américaine, ainsi que la Hongrie en 1956. La non-violence est définie ici comme des "tactiques principalement non violentes". Dans le cas de la première Intifada par exemple, le texte explique que 97 % des tactiques utilisées étaient non-violentes. Les campagnes violentes comprennent des tactiques telles que des bombes, des incendies criminels, des enlèvements et des assassinats.

A partir de cet échantillon, Chenoweth conclut que 57 % des campagnes non violentes ont été couronnées de succès (dans le livre, ce chiffre est 53 %), comparativement à 26 % des campagnes violentes (Chenoweth et Stephan 2008:8). XR en déduit que c’est la preuve que la non-violence "a deux fois plus de chances de succès" que l’action violente, même s’il est clair que, même dans les limites de l’échantillon, elle ne fait pas autorité pour toutes les campagnes, rendant cette conclusion invalide.

La focalisation d’XR sur l’État-nation et le changement de son régime se reflète également dans ce livre. Certaines des contraintes que l’étude se donne à elle-même semblent se retrouver dans la stratégie d’XR. L’étude a un objectif spécifique limité : elle atomise les succès et les échecs des différentes campagnes en dehors de leur contexte historique. Toutes les campagnes sont placées dans de belles petites boîtes. Chacune d’entre-elle évaluée comme si elles étaient survenues en dehors de tout contexte, comme si l’histoire antérieure n’avait aucun effet sur la façon dont les gens voient un événement actuel. Un accent trop important est mis sur la forme particulière d’action de ces campagnes. Cette vision a néanmoins clairement été formatrice du choix de la seule tactique qu’XR acceptera.

La politique ne fonctionne pas comme dans les jolies boîtes atomisées des campagnes de l’étude. Prenons l’exemple du Ghana. L’étude attribue uniquement à la période de négociation entre Nkrumah et l’État britannique, entre 1951 et 1957, la réussite de la transition non-violente du Ghana de la colonie britannique à un État indépendant. Laissée de côté est l’émeute de 1948 qui a déclenché la création d’une commission britannique qui proposa l’assemblée et les élections, ce qui est aussi laissé de côté, ce sont les luttes en cours que Nkrumah encourageait et qui l’ont fait connaître entre 1948 et 1951, de sorte qu’il a remporté les élections et le pouvoir au sein de la nouvelle assemblée, à partir de laquelle il a été en position de négocier.

Pour l’Afrique du Sud, deux périodes distinctes sont étudiées. La première s’arrête en 1961, au moment même où Nelson Mandela entre dans la clandestinité pour fonder l’Umkhonto we Sizwe (MK), la branche armée de l’ANC. Elle est décrite par l’étude comme non-violente et est considérée comme un échec, même s’il est fait allusion au fait qu’ "elle a considérablement développé la sensibilisation internationale au système d’apartheid sud-africain, ce qui a fini par entraîner des embargos commerciaux mondiaux et des boycotts contre l’État" (Chenoweth & Stephan 2011b:97). La deuxième période commence en 1984. Il y a entre ces deux périodes un écart de 23 ans de lutte militante, violente et armée qui est laissé de côté, tout comme les autres événements de cette période. Le soulèvement de Soweto en 1976, au cours duquel 10’000 à 20’000 écoliers noirs sont sortis pour protester - et plusieurs centaines ont été tués ? Les campagnes internationales de boycott ? La forte pression internationale sur le régime qui était à son apogée au milieu des années 80 ? Tout cela n’est pas abordé par l’étude. Lorsque l’ANC a suspendu - mais pas arrêté - la lutte armée en 1990 lors des pourparlers avec les autorités sud-africaines, ce n’était pas parce que leur tactique avait échoué, mais parce qu’elle avait réussi. "Le but de la lutte armée a toujours été d’amener le gouvernement à la table des négociations, et maintenant nous l’avons fait" (Mandela 1992:774). Néanmoins, l’étude attribue la fin de l’apartheid à une "Campagne de défiance" non-violente entre 1984 et 1994.

Les "boites" de l’étude peuvent aussi isoler la mobilisation de son environnement. Le cas du Timor oriental est étudié dans le livre où Chenoweth décrit comment les guérilleros Falintil ont cessé les combats et se sont retirés dans les montagnes. Ils n’avaient pas abandonné leurs armes. Le livre cite ensuite l’un des manifestants en disant : "Les Falintil étaient un symbole important de résistance et leur présence dans les montagnes a contribué à remonter le moral des troupes" (Chenoweth & Stephen 2011:4).

L’étude du cas des Philippines mentionne également que la violence était présente, mais la considère comme une mobilisation distincte même lorsqu’elle mentionne qu’un autre scientifique "soutient que les stratégies de résistance violente et non violente étaient complémentaires" (Chenoweth & Stephan 2011:169). Le livre considère que ces tactiques violentes n’ont aucun rapport avec les autres tactiques déployées sur la seule base de la vision que les aut.rices.eurs ont des événements.

La liste pourrait continuer. Se baser sur cette étude ne "prouve" certainement pas que la non-violence est la stratégie la plus efficace.

Le cas des Philippines met en lumière une autre caractéristique inhérente à la prémisse de l’étude. Le soutien d’autres Etats est inclus comme une des possibilités de succès d’une campagne. Il peut s’agir de sanctions, de soutien matériel, mais aussi d’invasions armées. Comme l’objectif des campagnes choisies est un changement de régime, il peut être considéré comme atteint lorsqu’un nouveau gouvernement est reconnu comme légitime, ou lorsque l’indépendance d’un État est reconnue. Le président Marcos aux Philippines était soutenu par les États-Unis, et par l’armée, au moment de la campagne suivie par l’étude il perd de ce soutien en raison de la faillite de l’économie, les institutions financières internationales font pression et il ne se conforme plus aux exigences américaines.

L’étude d’origine analyse les campagnes selon 4 hypothèses qui peuvent être paraphrasées comme suit :

  • Bénéficient-elles de la suppression de l’État ?
  • Conduisent-elles le personnel de sécurité à faire défection comme mesure de la perte de soutien important du régime ?
  • La campagne bénéficie-t-elle d’un soutien international ?
  • Le soutien international est-il utile à la campagne ?

Les États puissants sur la scène internationale, l’armée et le monde des affaires ne cherchent souvent pas à atteindre un objectif politique qui pourrait les perturber. Ils veulent conserver leur pouvoir lorsqu’un régime ne fonctionne plus dans leur intérêt. L’étude peut catégoriser les objectifs d’une campagne (antirégime, antioccupation...) (Chenoweth & Stephan 2011:7) mais elle ne peut rien analyser à propos de la nature des (tentatives de) changements de pouvoir.

Le soutien des États puissants et de l’armée - et donc de leurs intérêts - est inhérent au succès tel que défini dans l’étude. En même temps, l’étude exclut les campagnes sociales et économiques qui pourraient remettre en question ces intérêts dans un pays. Bon nombre des cas qui pourraient servir d’exemples pour les campagnes d’XR et d’autres campagnes similaires sont exclus.

« Les données ne comprennent pas les grandes campagnes sociales et économiques, telles que le mouvement des droits civiques et le mouvement populiste aux États-Unis. Pour être incluse dans l’ensemble de données de NAVCO, la campagne doit avoir un objectif politique majeur et perturbateur, comme la fin d’un régime politique en cours, une occupation étrangère ou une sécession.  » (Chenoweth & Stephan 2008:15)

Une autre restriction est que la campagne doit avoir des dirigeants clairement identifiés.

« Mais pour cette étude, seuls les événements avec des dirigeants clairs, des dates de début et de fin, et des exigences claires sont pris en compte.  » (Chenoweth & Stephan 2008:16)

Cela souligne en outre que des campagnes particulières sont sélectionnées et analysées en isolation par rapport aux autres, ce qui élimine la complexité des mouvements réels et la dynamique de l’histoire.

3,5 pour cent ?

Une dernière note sur quelque chose qui n’est ni dans l’étude ni dans le livre. Il est souvent affirmé qu’il suffit de 3,5% de la population pour garantir le succès d’une campagne de désobéissance civile non-violente de masse. C’est d’ailleurs ce qu’affirme l’un des principes d’XR.

Chenoweth explique sur l’un de ses sites web en 2017 qu’elle a conçu ce chiffre pour un atelier d’activistes et que sa conférence TED (en 2013) en est la seule « trace publiée ». Un article de la BBC (Robson 2019) explique qu’on détermine la taille d’une campagne à partir du plus grand nombre de personnes visiblement actives à un moment donné. Les trois plus grands événements "non-violents" réussis de l’étude – la révolution philippine contre Marcos en 1983-86, la révolution chantante en Estonie en 1989 et la révolution des Roses en Géorgie en 2003 - sont suivis par la quatrième plus grande campagne qui n’a pas réussi. Toutes ces campagnes avaient mobilisé plus de 3,5% de la population, Chenoweth a donc simplement pris ce chiffre comme point de référence. Sur la base l’échantillon étudié et de la probabilité : ce chiffre n’est pas significatif.

Utiliser l’étude comme modèle pour un projet politique ?

Extinction Rebellion est souvent décrite comme un mouvement. Selon les termes du site Web d’XR, il a été "mis en place en tant que projet" par le réseau Rising Up. C’est aussi l’organisme qui signe tous les communiqués de presse pour le Royaume-Uni. Hallam - membre de Rising Up et co-fondateur d’XR - a rédigé un livret dans lequel il trace de manière explicite une ligne directe entre l’étude de Chenoweth et la tactique d’Extinction Rebellion :

« Le réseau Rising Up a été mis sur pied pour remettre en question ce conservatisme - le refus des militants d’envisager de nouvelles stratégies et tactiques. L’espoir était qu’en essayant des tactiques qui "ne fonctionneront pas" selon la sagesse militante conventionnelle, nous trouverions quelque chose qui fonctionnerait. Une découverte clé ici est que la désobéissance civile de masse fonctionne mieux que toute autre stratégie. Ce n’est pas un hasard, car les principales recherches en sciences sociales sur le sujet ("Why civil resistance works") démontrent que la désobéissance civile à participation de masse est la stratégie la plus efficace pour faire tomber un régime. » (Hallam 2019:30)

D’après sa lecture de l’étude, la cible est clairement le gouvernement. "Ils se concentrent sur le gouvernement, et non sur des cibles intermédiaires - le gouvernement est l’institution qui établit les règles de la société et a le monopole de la coercition pour les appliquer." (Hallam 2019:7.) L’étude ne porte bien sûr que sur les campagnes ciblant le gouvernement. Le désir d’Hallam de "traiter la police de manière polie lorsque nous sommes arrêtés et une fois au poste de police, de discuter" (Hallam 2019:31) fait fortement écho aux sections du livre de Chenoweth qui parlent de changement de loyauté du personnel de sécurité.

L’Assemblée citoyenne - une des trois exigences de XR - est la solution proposée par Hallam parce qu’il pense qu’elle attirera le public le plus large possible. Les assemblées citoyennes "feront appel aux valeurs libérales et révolutionnaires" (Hallam, 2019:62). Pour s’adapter à l’étude, il faudrait qu’elles soient reconnues à l’échelle internationale. De plus, tout comme l’étude, cet objectif souffre potentiellement du fait de considérer un changement de régime dans son sens le plus limité, et sans analyser les relations de pouvoirs existants ou futurs. Le changement climatique affecte déjà les gens de manière inégale au sein d’un État-nation, mais de manière plus importante encore à l’échelle mondiale. Cette disparité ne fera que s’accentuer à mesure qu’elle s’aggravera. XR a pour principe de ne blâmer personne individuellement, et bien que cela puisse créer une atmosphère agréable, il y a des gens qui veulent perpétuer la croissance qui cause la destruction du climat. Ce sont les individus et les groupes qui ont le pouvoir, et ce n’est pas un pouvoir gouvernemental ou lié aux États-nations. Un changement de processus est-il suffisant pour garantir le changement politique requis ? Ceux qui ont le pouvoir sont connus pour stopper ou inverser les changements qui les perturbent.

Comme Hallam le développe, on ne peut pas simplement prendre une situation historiquement similaire et la placer dans le contexte actuel :

« nous devons examiner en détail en quoi la situation actuelle et le plan proposé sont semblables ou différents de ce qui s’est fait auparavant. De petites différences et l’introduction de nouveaux éléments peuvent modifier considérablement les résultats dans un système social complexe. Ce problème est aggravé lorsque des dogmes idéologiques priment sur les faits scientifiques. Nous devons examiner la rétroaction empirique de façon objective. » (Hallam 2019:16)

Ce qui devient clair, c’est que les situations historiques n’ont pas été examinées dans le but de trouver des similitudes. Au lieu de cela, il semble que les trois dogmes (tactique unique, désobéissance civile de masse, non-violence) ont été examinés de manière à trouver des similitudes même sans base historique empirique dans le système social complexe passé et présent.

En pratique

Extinction Rebellion est une organisation basée sur la pratique, avec une tactique claire et un ensemble d’objectifs convenus dès le départ. La seule référence invoquée pour justifier sa tactique est l’étude de Chenoweth. Mais c’est aussi une organisation qui travaille dans la réalité de la situation actuelle, donc naturellement tout n’est pas suivi à la lettre.

XR donne une conférence de présentation, qui est reprise et adaptée par les groupes locaux. Elle met généralement l’accent sur le taux de succès plus élevé de la tactique non-violente, mais poursuit en étendant les succès à d’autres campagnes non couvertes par le livre en laissant entendre qu’elles seraient également non-violentes. Il y a une diapositive avec six ou sept images censées illustrer le succès des campagnes ou des militants non-violents. Cette diapositive comprend les images emblématiques d’une suffragette qui n’est pas nommée, de Martin Luther King, de Gandhi et de Nelson Mandela, ainsi que de trois autres personnes sans que beaucoup de contexte soit donné.

Comme nous l’avons déjà mentionné, Nelson Mandela n’était pas seulement l’un des fondateurs de l’aile militaire de l’ANC (MK), mais il a refusé pendant tout son temps en prison et pendant les négociations avec le gouvernement de renoncer à la violence, il en a fait l’éloge comme tactique et reconnu que - même lorsque le MK était inactif - “l’aura de la lutte armée avait une grande signification pour beaucoup de gens” (Mandela 1994:702).

Gandhi apparaît dans l’étude en tant que participant à la campagne indienne contre la domination britannique (1919-1945), mais il y avait un certain nombre de facteurs extérieurs et différentes stratégies dirigées par d’autres personnes en parallèle. Tant et si bien que Chenoweth ne voit qu’un “succès limité des manifestants dans l’éviction de la domination britannique” et “Les manifestations, sans être la seule raison pour laquelle les Britanniques se sont retirés de l’Inde, ont joué un rôle important dans la désignation du système colonial britannique comme indésirable et l’unité relative de la population indienne”. (Chenoweth & Stephan 2011b:124).

Les campagnes des autres personnes figurant sur la diapositive ne sont pas mentionnées dans le livre. Les suffragettes ont fait des marches, du lobbying et de la désobéissance civile, mais elles sont bien connues pour leurs attaques à la bombe et leurs campagnes d’incendies criminels. Elles ont suspendu leur campagne en 1914, non pas parce qu’elles tournaient le dos aux actions violentes, mais parce qu’elles ne voulaient pas interférer avec la guerre qui débutait.

Martin Luther King et les Freedom Riders en 1961, souvent mis en avant par XR, faisaient partie du mouvement américain pour les droits civiques. Un mouvement qui comprenait une variété de stratégies et d’actions : une réelle diversité de tactiques, comprenant les marches et les Freedom Riders, un soutien juridique et le programme de petits déjeuners pour les écoliers du Black Panther Party. De nombreux militants des droits civiques sortaient armés. En tout cas au début de la grève des bus de Montgomery, c’était aussi le cas de King. Plus tard, il a employé des gardes du corps armés. Les Deacons for Defense and Justice - un groupe armé d’autodéfense afro-américain – faisaient la sécurité dans une série de marches et de lieux, permettant à d’autres groupes de suivre formellement leurs paramètres de non-violence. L’une de ces marches fut la “March Against Fear” à laquelle King participa.

Parmi les leaders éminents du mouvement pour les droits civiques, il y avait non seulement King, mais aussi des gens comme James Baldwin et Malcom X. Dans les dernières années de sa vie, King commença à avoir des positions plus proches de celles de Malcom X. Attribuer le succès du mouvement pour les droits civiques à une personne ou une action est réducteur. Cela ne tient pas compte des rapports de force en jeu. Les autorités de l’État, y compris le président américain, parlaient à King. Est-ce à cause de son seul succès ? Est-ce parce que parler à King leur donnerait plus de crédit politique ? C’est là qu’intervient la fenêtre d’Overton (ensemble des idées, opinions ou pratiques considérées comme acceptables dans l’opinion publique d’une société) : Des gens comme Malcom X étaient plus radicaux, mais un pasteur chrétien de 35 ans était le point de contact le plus sûr pour l’administration américaine. Plutôt que de réduire le mouvement des droits civiques à une seule personne, à une seule action et de la proclamer comme la preuve du succès de la non-violence, nous pouvons apprendre de cette diversité de tactiques.

Trop souvent, la réalité désordonnée du passé est réduite à de belles images et à des citations inspirantes. Les exemples de la présentation d’XR aseptisent l’histoire pour promouvoir une tactique en se basant sur une histoire qui ne s’est jamais produite de la façon dont elle est présentée…

Aujourd’hui

Dans la réalité désordonnée d’aujourd’hui, les actions des groupes d’Extinction Rebellion ont attiré l’attention des médias. Avec d’autres groupes comme la grève du Climat, ils ont contribué à faire avancer la menace du changement climatique et de la perte de biodiversité dans le discours public. De nouvelles personnes ont pris part à leur première action directe, et ont été arrêtées. Quant à savoir si cette expérience est “le franchissement du Rubicon” comme le dit Hallam (2019:7), le temps nous le dira. Pour un engagement durable, l’espoir pourrait avoir besoin de s’appuyer sur quelque chose de plus concret que la “preuve” de la tactique la plus efficace, soit 3,5 % de la population et seulement quelques semaines nécessaires.

Diversité des tactiques

Il existe un nombre croissant de groupes XR nationaux et locaux, et il devient évident que ces groupes se diversifient de plus en plus, se détournant de certaines des lignes strictes établies par XR au Royaume-Uni. Certains groupes adoptent des approches différentes sur la question de savoir s’il faut ou non parler à la police après avoir été détenu ou arrêté. D’autres invitent activement les gens à participer aux actions d’autres groupes qui ciblent des entreprises qui jouent un rôle spécifique dans le changement climatique, la perte de biodiversité ou l’agriculture industrialisée.

XR Allemagne, dans sa présentation, souligne une autre campagne comme un exemple récent d’action directe réussie : les protestations contre les transports de déchets nucléaires à Gorleben. Les activistes de l’époque utilisèrent une variété de tactiques : marches et pétitions ; blocage des rues par des groupes de personnes assises, mais aussi avec des barricades de pneus en feu, ou en s’attaquant à la rue elle-même en creusant à côté ou en dessous d’eux ; en enlevant des panneaux de signalisation ; en bloquant la circulation ferroviaire en s’accrochant à des arbres, mais aussi en sabotant la signalisation ferroviaire et en déstabilisant les voies en enlevant des pierres, voire la section des voies elles-mêmes. Et bien sûr, en passant de force à travers les lignes de police pour arriver aux voies et à la route qui devaient être bloquées, souvent en utilisant des techniques élaborées. L’un des groupes mis en place pour percer les lignes de police était constitué d’agriculteurs locaux et de leurs tracteurs. Rien de tout cela n’était déconcertant pour les résidents locaux “non-militants”. Beaucoup de personnes âgées ont fourni aux camps d’action des crêpes aux bleuets, ou ont aidé en sortant les activistes détrempés de la rue, en les nourrissant et en les séchant, et en les remettant directement dehors pour continuer.

C’est la diversité des tactiques qui a permis aux gens de choisir la forme d’action qu’ils préféraient - y compris celles du groupe non violent X-tausendmal quer qui bloqua des voies ferrées pendant des jours. C’est une campagne qui a duré des décennies et qui a finalement été couronnée de succès.

Des activistes néerlandais d’XR ont participé aux actions de Ende Gelände en Allemagne en juin 2019, où différents groupes (fingers) ont appliqué différentes tactiques pendant plusieurs jours, allant d’un finger pour les personnes en fauteuil roulant et les jeunes enfants et ceux qui ne voulaient pas entrer sur le terrain de l’entreprise, aux fingers qui ont percé les lignes de police et occupé pendant 45 heures la mine de charbon ouverte. Pour le mois de septembre, Extinction Rebellion Pays-Bas mobilise des gens pour participer à une action de Free the Soil visant à bloquer une entreprise d’engrais. Entre-temps, des groupes XR locaux allemands font partie d’un vaste réseau de groupes qui soutiennent Sand im Getriebe qui appelle à bloquer le salon international de l’automobile IAA à Francfort en septembre.

Il est encourageant de voir que les gens qui sont mobilisés par les actions d’XR sont sur le terrain, se joignent à d’autres groupes dans cette lutte commune, et sont prêts à participer à des actions qui sont moins rigides, qui se concentrent sur différentes demandes pour arrêter le changement climatique et la perte de biodiversité, et/ou qui ont différentes formes de consensus d’action.

Disons la vérité

Comme nous l’avons souligné, l’histoire du changement est une histoire diverse. Une seule étude peut nous apprendre certaines choses, mais elle ne devrait pas être présentée comme la vérité, et elle ne peut pas donner la seule tactique pour réussir. En regardant l’histoire, on peut voir comment différents groupes ont travaillé ensemble et de façon autonome, avec des tactiques différentes pour atteindre des objectifs similaires. Il est clair que le pouvoir ne réside pas seulement dans l’institution du gouvernement et que le soutien et la résistance viendront de personnes en fonction de leur situation et de leur histoire. Il est possible d’analyser qui a ce pouvoir.

Si les gens ont les connaissances, ils peuvent prendre des décisions éclairées sur les actions ou les tactiques qu’ils veulent soutenir eux-mêmes. La diversité des tactiques dans ce contexte ne fait pas fuir les gens, mais permet d’exercer des pressions différentes.

XR elle-même n’a pas besoin de cibler tous les centres de pouvoir ni d’utiliser toutes les tactiques. Mais elle ne doit pas non plus prétendre qu’elle a la stratégie qui fonctionne. Elle peut soutenir des mouvements avec des tactiques différentes, et par exemple amplifier la voix de ceux qui sont déjà en train de faire campagne, car ils sont plus immédiatement menacés par les effets inégaux du changement climatique et par la perte de leur environnement.

Alors que les groupes XR travaillent maintenant avec des mouvements plus divers et que les groupes se transforment eux-mêmes, les présentations et les mots utilisés sont toujours les mêmes. Nelson Mandela, les suffragettes et leurs succès sont encore salués comme des victoires de la non-violence. La désobéissance civile non-violente de masse est toujours présentée comme la tactique la plus efficace. Une organisation dont la principale revendication est de “dire la vérité” ne devrait-elle pas dire la vérité à ses membres elle-même ?

Plutôt que de déformer l’histoire, disons la vérité. Nous savons que nous avons besoin de mouvements diversifiés pour défier le pouvoir.

P.S.

Traduction de l’article “Has XR the successful strategy to save the planet ?” de anna et arthur, publié le 16 août 2019 sur libcom.org : https://libcom.org/library/has-xr-successful-strategy-save-planet

Sources :

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