Histoire - Mémoire

Des syndicats en renouvellement

L’histoire des syndicats suisses, vieille de cent ans, semble s’accélérer. Depuis la fin des années 1980, on assiste à une restructuration profonde du paysage syndical jusqu’à lors considéré comme marqué par des relations de travail non-conflictuelles. Au delà de l’opposition fondamentale de beaucoup d’autonomes au principe de l’organisation des syndicats ou de l’adhésion théorique de certain-e-s anarchistes au syndicalisme révolutionnaire, il est nécessaire de connaître les syndicats pour construire une critique intelligente. D’autant plus que les questions du travail et de la production sont trop souvent délaissées par “nos” milieux alors qu’en Suisse environ 81% des personnes recensées font partie de la population active, soit les personnes qui ont un travail déclaré ou qui sont inscrites en tant que demandeur-euse-s d’emploi. S’il est peut-être vrai que le jour de la révolution on arrêtera tou-te-s d’être salarié-e, le travail ne disparaîtra pas pour autant. Et surtout, ce jour n’est pas encore arrivé camarade.

Des syndicats corporatistes

Pour comprendre les évènements récents, il faut malheureusement revenir sur la construction historique des organisations syndicales. Les principaux syndicats actuels ont moins de quinze ans d’existence mais ils sont issus de fusions d’organisations parfois très différentes.
Le Fédération suisse des typographes fut, en 1858, le premier syndicat à se constituer en tant que tel en Suisse. Mais qu’est-ce qu’un syndicat ? C’est la réunion des travailleur-euse-s afin de défendre leurs intérêts. Formellement, les syndicats sont des associations. Ils correspondent relativement bien, selon le vœux marxien, à un agent de transformation de la société capitaliste en une société sans classes. Une société de libre association des travailleur-euse-s.
En Suisse, les syndicats se constituèrent d’abord par corps de métiers. On retrouvait des éléments corporatistes dans les premières revendications des syndicats... Et aujourd’hui encore comme lorsque les ramoneur-euse-s souhaitent baisser le salaire minimum des jeunes en échange d’une augmentation de celui des plus ancien-ne-s. À cause de cette tendance corporatiste, il y a eu pendant longtemps en Suisse un syndicat par profession ou par secteur. Ou plutôt deux. En effet, à côté des syndicats dits socialistes on retrouve les syndicats jaunes, les syndicats chrétiens. Au fil du temps, il y a eu plusieurs vagues de fusion ou de rapprochement entre les organisations des travailleur-euse-s. Les premières au début du 20e siècle notamment avec la création de la Fédération suisse des ouvriers sur métaux et horlogers (FOMH - FTMH à partir de 1972) et qui fut l’un des syndicats les plus influents au sein de l’Union Syndicale Suisse (USS), la faîtière des syndicats dits socialistes. Plus récemment avec la création des syndicats Syna (1998), Unia (2004) et Syndicom (2011).
Pour comprendre l’évolution des syndicats, on peut prendre comme exemple le secteur du bâtiment. La Fédération des Ouvriers du Bois et du Bâtiment (FOBB) fut créée en 1922. En 1974, elle se renomma le Syndicat du bâtiment et du bois (SBB). En 1993, cette dernière fusionna avec la Fédération suisse des travailleurs du textile pour créer le Syndicat de l’Industrie et du Bâtiment (SIB). Le SIB disparut 10 ans plus tard quand il fusionna avec la FTMH, l’autre grand de l’USS pour créer Unia. Le SIB était souvent présenté comme un syndicat plus combatif que les autres.
Historiquement, le SIB, et même Unia, sont les successeurs de la Fédération des Ouvriers du Bois et du Bâtiment (FOBB) qui à Genève était liée à la Ligue d’Action du Bâtiment, un groupe qui menait des actions directes contre les patrons.
Parmi ces membres, Bösiger et Tronchet, figures anarchistes en Suisse romande. Si Bösiger se détourna du syndicalisme par la suite, Tronchet continua son travail de militant syndical et adhéra au Parti socialiste en 1944, ce qui confortait sa place de secrétaire syndical mais ne l’empêcha pas de relancer le Réveil anarchiste en 1968. Il mourut en 1982 plus de cinquante ans après ces premiers fait d’armes et la grève sauvage de mai 1928. Les syndicalistes étaient alors le plus souvent des travailleur-euse-s qui accomplissaient cette fonction en plus de leurs heures de travail. Contrairement à une certaine image propagée, les grèves étaient alors presque aussi nombreuses en Suisse que dans les autres pays d’Europe de l’ouest.

La paix du travail et la professionnalisation des syndicats

Cette situation n’a pas perduré. Le tournant eut lieu durant la présidence de Konrad Ilg à la FOMH. Il y accèda en 1917 et garda le poste jusqu’à sa mort. Parallèlement, il mena des activités politiques. Régulièrement élu dans des parlements à tous les niveaux du système politique fédéraliste suisse, il fut vice-président du Parti Socialiste Suisse entre 1928 et 1936. Dans les manuels d’histoire, on se souvient de lui comme de l’artisan de la paix du travail et de la professionnalisation des syndicats.
On date le début de la paix du travail du 19 juillet 1937 lorsque Ilg arriva à imposer à son syndicat un accord qu’il avait négocié presque seul avec le patronat. Cette convention fut signée dans un contexte difficile pour l’industrie d’exportation suisse à cause du protectionnisme qui a courrait en Europe. Aussi, il ne faut pas surestimer sa portée et son importance. Toutefois, ce fut à la première convention collective de travail (CCT), par ailleurs une des plus pérennes, à consacrer le concept de paix du travail. Soit la mort de la lutte, le dépôt des armes par les syndicats, le renoncement à toutes actions - à fortiori les grèves - pour entrer dans le jeu de la négociation. A tel point que, d’un certain point de vue, la négociation est devenue le but principal des syndicats. Ilg, en bon social-démocrate, détestait les communistes et tout ce qui risquait de le déborder sur sa gauche. Aussi, il maintenait une discipline stricte au sein de la FOMH en renvoyant tout élément trop radical à ses yeux ou suspecté de sympathie communiste. Pour les historiens officiels : « il réagit énergiquement contre tout noyautage de la part d’éléments d’extrême-gauche. » Les syndicalistes ont développé alors ce que les universitaires appellent un « savoir-faire ». Un savoir-faire horizontal dans la négociation avec le patronat mais aussi un savoir-faire vertical dans la capacité à imposer les accords à la base. Il convient aussi de replacer l’accord de 1937 dans un contexte plus large. La FOMH connut une importante chute des effectives dans les années 1920 à cause des désillusions de la politique syndicale conjuguées aux effets de la fin de la guerre sur le marché du travail et de la répression de la grève générale de 1918. [1]. Le patronat a alors concédé aux syndicats un moyen détourné de se financer. Mais à quel prix ? Le maintien des postes de secrétaires syndicaux dépend alors directement du respect de la convention. Cela incite évidemment à la retenue. On peut aller jusqu’à dire que dans certains secteurs la paix du travail est acheté par le patronat non pas par des concessions vis-à-vis des travailleur-euse-s mais par des postes de secrétaires syndicaux.

Des syndicats sous pressions

Toutefois le modèle a des limites et des nuances. L’économie suisse a subie les mêmes pressions et les syndicats ont rencontré les mêmes problèmes que dans les autres pays dits développées. Le recul des emplois dans l’industrie à partir des années 1970 et la tertiarisation des emplois dans ce secteur au travers de l’augmentation des divisions de recherche, d’administration et de marketing ont privé les syndicats de leur bassin de recrutement de prédilection. L’augmentation du recours par les employeurs au travail sur appel et le temps partiel contraint a fragilisé les employé-e-s et les syndicats. Les emplois créés le sont dans des secteurs où il n’y a pas de culture syndicale. A cause des nouvelles formes de travail, les syndicats n’arrivent plus à renouveler leurs membres.
En plus de ces tendances de fond sur plusieurs décennies, plusieurs chocs ont bouleversé l’économie suisse et, plus largement, les économies d’Europe de l’ouest. La construction d’un marché économique commun, ainsi que les différents accords de libre échange européen ou de l’OMC ont fait sauter les frontières protectionnistes. Les États-nations ont désormais plus de difficulté à protéger une industrie contre la concurrence étrangère, y compris dans des secteurs jusqu’à lors considérés comme non-exposés. Encore faut-il que les gouvernements le veuille réellement. Certains considèrent en effet la division internationale du travail depuis les années 1970 comme la mise en place par les responsables politiques des désirs de certains grands conglomérats. [2] Parallèlement à cette ouverture des marchés à la concurrence, la crise économique des années 1990 a particulièrement frappé l’Europe et a eu un effet dramatique sur l’emploi avec 200’000 postes supprimés dans l’industrie en Suisse. Lors des précédentes crises, la Suisse avait exporté son chômage à l’étranger du fait du statut précaire des travailleur-euse-s migrant-e-s et des contrats de saisonniers. On a également assisté à une très forte diminution de l’emploi des femmes. Du fait de l’abolition du statut de saisonnier au milieu des années 1990 et de la plus grande place des femmes dans le marché du travail, la Suisse connut pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale un taux de chômage incompressible. L’économie suisse est aujourd’hui plus que jamais disproportionnée avec un secteur bancaire et des services financiers qui pèsent démesurément. Les emplois de productions diminuent. La polarisation du marché du travail entre les hauts revenus, notamment ceux des cadres dans cette économie caractérisée par l’inflation des postes de contrôle, des fonctions non-productives, et les bas revenus, ceux des nouveaux prolétaires des services qui passent d’un contrat à durée déterminée à un travail sur appel, des employé-e-s agricoles immigré-e-s ou des sans-papiers dans les hôtels de luxe. Si demain les flux financiers et marchands étaient arrêtés, la population suisse ne survivrait pas longtemps tellement elle dépend de l’extérieur. En cela, l’économie suisse représente bien un cas particulier en Europe de l’ouest. La part des emplois non-productifs y est extrêmement élevé.
A côté de la détérioration du marché de l’emploi, d’autres changements sont apparus au début des années 1990. L’offensive néo-libérale a atteint la Suisse comme le reste de l’Europe au cours des années 1980. Le patronat se montra plus dur dans les négociations quand il ne refuse pas simplement de signer les conventions. On peut y voire les effets de l’évolution du capitalisme qui tend à diminuer les marges par la concurrence ce qui se répercute par une pression accrue sur les coûts de production. Et le facteur de production sur lesquels le patronat a une prise certaine est le coût du travail. En 1999, la convention nationale de la métallurgie fut finalement ratifiée. La FTMH fit des concessions mais n’obtint finalement rien en échange. Les appels à manifester ne mobilisèrent pas. Habitué-e-s à travailler sans militants et sans les travailleur-euse-s qu’ils-elles représentent, les secrétaires syndicaux n’ont pas réussi à créer un rapport de force. Ces dernier-ère-s ont changé. Désormais, ils-elles sont moins souvent issu-e-s de la profession. On embauche d’avantage des universitaires.
Parmi les plus emblématiques, Christiane Brunner candidate au Conseil Fédéral en 1993. Devenue syndicaliste après avoir passé une licence en droit, elle représente parfaitement cette nouvelle génération de diplômé-e-s qui se hissent jusqu’au sommet de la bureaucratie syndicale. Membre du PS, elle joua sur deux tableaux, syndical et politique, avec un talent certain. Sous l’impulsion des ces yuppies (Young urban professionnals, bobos en anglais), on assista au cours des années 1990 à une médiatisation croissante des conflits de travail et à une redéfinition des frontières entre les champs politique et syndical qui étaient jusque là marqués par le principe de subsidiarité : ne pas légiférer, pour maintenir les différences sectorielles de l’économie suisse notamment divisée entre l’économie domestique et l’économie d’exportation. Aussi le code du travail suisse ne protège quasiment pas les travailleur-euse-s, le peu d’acquis sociaux relatifs au travail se situent principalement dans les conventions. Avec le durcissement des négociations et l’affaiblissement des conventions, les syndicats ont perdu de leur influence. C’est peut-être pour cela qu’ils se montrent plus entreprenant sur la plan politique par une utilisation accrue des outils de la démocratie directe [3]. La dernière initiative populaire en date fut lancée par l’USS en faveur de l’instauration d’un salaire minimum légal. Elle symbolise bien la nouvelle politique syndicale par l’investissement du champ politique et le changement de paradigme enregistré. Désormais, l’USS laisse de côté la subsidiarité et propose un salaire minimum national unique [4].

Les fusions et les derniers développements

Mais l’état actuel des syndicats est aussi lié à leur restructuration. Unia, le plus grand syndicat du pays, représente 196’000 membres soit un quart des syndiqués ou affiliés à d’autres organisations de travailleur-euse-s [5]. L’USS a environ 377’000 membres (la moitié des personnes membres d’une organisation de travailleur-euse-s en Suisse), ce qui signifie qu’Unia est majoritaire au sein de l’USS. Au début 2011, Syndicom fut créé suite à la fusion de Comedia qui regroupait les professions des médias et le Syndicat de la Communication où sont notamment affilié-e-s une bonne partie des employé-e-s de La Poste. Avec 45’000 membres, Syndicom fait partie des cinq grands grands syndicats derrière Unia (196’000) et Syna (62’000) les deux syndicats interprofessionnels, mais au même niveau que le SEV, syndicat du personnel de transports (46’000) et devant le Syndicat suisse des Services Publiques (SSP)(35’000). Avant la création de Syndicom, il fut même question de fusionner les trois syndicats du secteur public pour créer une organisation de 145’000 membres. S’il avait vu le jour, ce syndicat aurait regroupé presque 40% des membres de l’USS et aurait pu peser presque autant qu’Unia dans les décisions de la faîtière.
Parallèlement à ces fusions, l’USS a entrepris une politique d’ouverture qui a abouti à l’adhésion du Syndicat Interprofessionnel des Travailleur-euse-s (SIT) implanté uniquement à Genève mais aussi de l’Association Suisse des Employés de Banques (ASEB). Ce phénomène de concentration n’est pas sans poser problème. A Genève, le SIT et le SSP, en concurrence dans certains corps de métiers, sont en opposition ouverte. Unia est aujourd’hui un syndicat relativement hétérogène avec certaines sections cantonales souvent en opposition avec le direction centrale. De plus le SIB et la FTMH avaient une culture syndicale relativement opposée. Il n’a donc pas été facile de faire travailler ensemble tout le monde dans la nouvelle organisation. Même s’il ne peut pas être relié à la fusion SIB-FTMH, le récent épisode du licenciement d’un secrétaire syndical d’Unia Genève rappelle les différences qui peuvent exister au sein d’un syndicat même lorsque celui-ci est réputé des plus combatifs.
Il faut garder un minimum de dialectique pour interpréter ces évolutions. La concentration des syndicats n’est pas synonyme d’unité. L’homogénéité existante et portée par les secrétaires syndicaux ne s’est pas évaporée avec les rapprochements des organisations. Parallèlement à la concentration il y a donc une phénomène d’hétérogénéisation des syndicats.
Au même titre que les différentes grèves qui ont eu lieu à Genève ces deux dernières années, ce licenciement souligne les différences entre les secrétaires syndicaux. Pourtant, leur rôle est crucial puisqu’il n’y a pas dans l’histoire suisse récente d’exemple de grèves ou d’autres mouvements conséquents liés au travail qui n’aient pas été soutenu par les syndicats. C’est en effet le syndicat qui le plus généralement paye les grévistes durant les heures non-travaillées. Et les syndicats, même s’ils sont confrontés à des problèmes de recrutements des secrétaires syndicaux comme des syndiqués, sont encore souvent paralysés par une direction bureaucratique. Ce jugement est évidemment à nuancer au cas par cas. Il existe de très importantes différences entre les syndicats mais surtout entre les secrétaires syndicaux y compris au sein d’une même organisation.

Vers un rééquilibrage ?

Les problèmes de renouvellement du personnel politique et syndical illustre bien les effets de la culture du compromis mais certainement encore mieux le piège dans lequel les syndicats se sont embourbés. Afin de maintenir leur existence, ils ont scellés avec les conventions collectives l’arme qui les a détourné de leur vocation initiale, l’organisation des travailleur-euse-s. Entre deux négociations, les syndicats se cantonnent trop souvent à la défense individuelle des travailleur-euse-s et les occasions d’organiser ne sont pas nombreuses. Ils se suffisent à eux mêmes, ne nécessitent pas de militants. Seulement des membres qui payent des cotisations afin que des secrétaires syndicaux reçoivent leur salaire pour tenir le rôle d’assistant juridique et de délégué à la négociation. Un programme peu attractif pour les syndiqués comme pour les syndicalistes. L’arrivée d’une nouvelle génération de secrétaires syndicaux ne suffira certainement pas à résoudre ce problème. Les syndicats suisses restent peu combatifs et habitués à la négociation, même si cette image globale ne devrait pas nous faire perdre de vue les différences importantes qui existent entre les syndicats, les secteurs et les secrétaires syndicaux et nous faire passer à côté de luttes. Toutefois, un rééquilibrage est probable. Du fait de la perte d’influence des conventions, du durcissement des négociations, les bureaucrates n’ont d’autre choix que de réorienter leurs moyens d’actions. C’est pourquoi, avec le phénomène de fusion, les changements au niveau des actions entreprises par les syndicats constituent l’autre principale nouveauté du paysage syndical. Un peu plus de grèves, beaucoup plus d’intervention en vue d’une législation. Au point que certains secrétaires syndicaux, notamment dans des secteurs peu syndiqués comme la vente, considèrent les référendums d’abord comme un moyen de recrutement avant d’être une lutte, certes réformiste, à mener. Les syndicats sont à la croisée des chemins. D’un côté, le phénomène de concentration syndicale a partout et toujours été lié à des relations de travail calmes, de l’autre, le modèle de partenariat social n’a jamais été autant remis concrètement en cause par les patrons comme par les syndicats depuis les années 1930. Quelle que soit la direction que prennent les syndicats ces prochaines années, la situation actuelle semble être une période de transition suite aux changements que les organisations n’ont pas encore finis de digérer.

Notes

[1La première guerre mondiale a eu pour conséquence de rendre le patronat très dépendant d’une main d’œuvre plus rare. Les syndicats profitèrent de cette période pour mener des grèves et s’implanter plus massivement dans l’industrie. Avec la fin de la guerre, ce fut la diminution des grèves et le durcissement des négociations. Les conditions d’emploi se sont dégradées, les salaires ont stagné alors que les prix ont fortement augmenté. En 1918, le comité d’Olten, notamment formé de syndicalistes, soumit ses revendications au Conseil Fédéral. A Zurich, en octobre, les employés de banque se mirent en grève. Début novembre, la mission russe fut expulsée. A l’approche de l’anniversaire de la révolution bolchévique, le Conseil Fédéral était apeuré à l’idée d’une insurrection. Le gouvernement ordonna le déploiement de l’armée à Zurich et à Berne. La grève générale fut finalement déclarée le 12 novembre pour 24 heures par le comité d’Olten. Avant même son début, la grève fut déclarée illimitée par des syndicats. Elle fut bien suivie en Suisse alémanique, beaucoup moins au Tessin et en Suisse romande peut-être à cause des festivités liées à l’armistice. Le Conseil Fédéral mobilisa 100’000 soldats. La situation devint quasi-insurrectionnelle par endroit. La grève ne dura que trois jours, quatre à Zurich. On compta trois ouvriers et un porc morts et 3’000 soldats à cause de l’épidémie de grippe. Jules Humbert-Droz titra alors un de ses articles : « La grippe venge les travailleurs ». La paix du travail ne tomba pas du ciel. Par ailleurs, elle a instauré aussi le principe de la subsidiarité qui veut qu’on ne légifère pas beaucoup en matière de droit du travail laissant aux partenaires sociaux le soin de trouver des accords sectoriels lors de négociations.
Cette culture de la négociation était si présente à la FOMH que le président de l’époque, Ernst Wüthrich, déclara en 1963 : « la grève est la manifestation d’une volonté défaillante, d’une incapacité de s’entendre et de construire ensemble, le signe d’un manque de dynamisme au moment où cette vertu serait la plus nécessaire. » La FOMH/FTMH occupa la place de leader au sein de l’USS. Dès lors, la ligne conciliatrice de la FTMH s’est imposée au sein de la faîtière de tendance socialiste. Les syndicats chrétiens étaient, évidemment, encore plus réservés dans leurs actions. Aussi, depuis les années 1950 environ, les grèves en Suisse furent rares et courtes. Elles furent presque toujours sectorielles. Il n’y eut que très peu de grèves dites politiques, pas de grève offensive et pas de grève générale nationale depuis 1918. Mais surtout les grèves n’eurent lieu qu’en cas de rupture du partenariat social. Lorsque le respect de la convention n’eut plus lieu d’être. Lorsque celle-ci arriva à échéance et que les négociations n’ont pas abouties. Plus dramatiquement, lors de la cessation d’activité d’une usine souvent, de magasins récemment à Genève.
Au travers de ces conventions qui sont devenues dès les années 1950 le seul horizon, le paysage syndical suisse est policé par les liens, parfois financier, entre syndicats et patronat. En effet, dans certaines CCT de l’industrie ou du bâtiment des clauses prévoient des contributions professionnelles obligatoires. Les syndicats peuvent ainsi espérer des inscriptions massives puisqu’il ne coûte alors rien aux travailleur-euse-s d’y adhérer[[Les ouvrier-ère-s ont le choix de se syndiquer ou de payer la contribution professionnelle prévue. Le coût de se syndiquer est identique ou légèrement inférieur à celui de la contribution professionnelle obligatoire. Cela explique le taux de syndicalisation très important dans le secteur du bâtiment (gros œuvre). Mais ça ne prend pas en compte le risque de chômage, le travail au noir, le travail partiel ou sur appel. Les deux derniers étant moins fréquents que dans le secteur des services.

[2A ce sujet, lire notamment les premiers chapitres d’« Autonomie ! » de Marcello Tari paru récemment aux éditions de La Fabrique.

[3Référendums contre les libéralisations, initiatives populaires sur la réduction du temps de travail.

[4Le salaire minimum proposé est de 22.- de l’heure. Actuellement, il existe des emplois dans des secteurs non-conventionnés où des salaires minimaux négociés par les partenaires sociaux ont été édicté par l’État. A Genève, il s’agit notamment de salaires de 3466.- pour 40 heures ou 20.- de l’heure pour les esthéticiennes, 17,40.- de l’heure pour les ouvrier-ère-s agricoles non qualifié-e-s avec des semaines de 49 heures et la possibilité pour le-la patron-ne de retenir 990.- mensuellement pour le logement et la nourriture (brut). De manière globale 10% des salariés gagnent moins de 22.- de l’heure (300’000 femmes, 100’000 hommes).

[5Comme les associations de défense des intérêts des infirmier-ère-s, des enseignant-e-s, des employés de commerce, des cadres, des policier-ère-s etc. qui comptent environ 210’000 membres mais ne sont pas regroupés en une faîtière.

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