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[Genève] La place de Jared Diamond et de la famille Latsis à l’UNIGE

Lundi 28 novembre se tient à Uni Bastions la conférence “Que pouvons-nous apprendre des sociétés traditionnelles ?”, précédée d’une cérémonie de remise du Prix Latsis Universitaire 2016. Le biologiste évolutionniste et géographe Jared Diamond, âgé de 79 ans, recevra un prix destiné à des “chercheurs universitaires de moins de 40 ans”. Alors, qui est Jared Diamond et qu’est-ce que la Fondation Latsis qui lui décerne un prix ?

Genève |

Qui est Jared Diamond ?

Jared Diamond est la référence préférée de Nicolas Sarkozy en matière de "culture" et d’"écologie". Le discours à Dakar de Sarkozy en 2007, où, parmi d’autres atrocités, il dit que "Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. […] Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès" est une conséquence politique de la pensée de Jared Diamond. Cette pensée sursimplifie les enjeux mondiaux et propose des solutions dangereuses à des problèmes complexes.

L’ouvrage de Diamond se révèle un véritable bestseller, notamment par son argumentaire accessible et facilement appropriable et par les questionnements universels auxquels il fournit des réponses. Le caractère innovant de son travail se veut, encore, dans la méthode scientifique qu’il souhaite utiliser : faire de l’Histoire mondiale une science comme les autres, une science exacte, empirique, vérifiable et capable d’édicter des modèles sociaux avec lesquels on peut faire des prédictions. Il développe alors la théorie du déterminisme géographique qui stipule que ce n’est que l’environnement géographique qui détermine la qualité de l’activité humaine dans une société.

Jared Diamond se demande pourquoi une société devient dominante, quels facteurs la font progresser technologiquement. Ne se voulant pas raciste, il élimine rapidement les critères de race, d’intelligence innée et de prédispositions biologiques en tant qu’éléments qui déterminent la puissance d’une société. Néanmoins, cela ne l’empêche pas de développer une approche qui explique les inégalités entre sociétés d’une perspective biologique : pour lui, la domination européenne sur le monde est due à la dotation en facteurs environnementaux les plus avantageux sur le continent. Pour Diamond, l’Eurasie, en tant que plus grande zone continue de climat « tempéré » présenterait les caractéristiques les plus favorables au développement de l’agriculture, et ainsi du système immunitaire humain et du dynamisme historique ( c’est-à-dire le "progrès") [1]

Or, pour Diamond, la société occidentale est menacée par une surpopulation ainsi que par les conséquences de son propre progrès : l’épuisement de ses ressources et par conséquent, la destruction de son environnement, qui, rappelons-le, est la raison de sa domination (c’est le serpent qui se mord la queue). C’est à cause de ce "stress" que les humains s’entretuent, mènent des révolutions et deviennent terroristes. Toutefois, malgré ses aspirations déterministes, toujours selon Jared Diamond, nous, habitantEs de l’Occident, avons la possibilité d’intervenir dans cette destinée [2].

La solution annoncée se trouve dans son dernier livre, The World Until Yesterday : What Can We Learn from Traditional Societies ? où Jared Diamond "retourne" chez les Aborigènes (terme qu’il emploie sans cesse), peuple qui ne posséderait pas de technologies puisqu’il aurait échoué à domestiquer la nature, et à devenir agriculteur. Mais Diamond découvre que ce peuple a beaucoup de choses à nous apprendre, car notre société de l’Occident est au point de s’effondrer, tandis que la leur pas. Jared Diamond nous fait savoir que les Aborigènes sont un peu comme nous : ils sourient, ils pleurent et ils ont peur. Après s’être lancé dans un récit aventurieux de son séjour, il voit cette pupulation s’être développée différemment quant à l’éducation des enfants, à la vieillesse, à la justice et notamment face au risque. Il propose alors, comme solution aux risques que l’Occident encourt, un pillage culturel, une sorte d’adoption de pratiques, sans pour autant opérer de changements fondamentaux à la société de l’Occident. Car, quand même, le plus grand risque pour l’Occident serait de régresser en une société traditionnelle. En passant, il regrette les atrocités du passé colonial (comme Sarkozy), mais trouve normal que les sociétés traditionnelles aient un contact avec les sociétés gouvernés par des États.

Qu’est-ce que est la Fondation Latsis ?

"La Fondation Latsis est une institution non lucrative d’intérêt public créée en 1975, qui décerne les Prix Latsis en Suisse depuis 1983", crée par Yannis Latsis, décédé en 2003. Le site web de la fondation ne nous donne aucun indice sur les critères qu’un candidat doit remplir afin de s’y présenter. La Fondation, créée par un proche de la famille royale britannique, n’aurait-elle pas comme vocation d’encourager une culture conservatrice au sein des institutions universitaires ? Ou, ne servirait-elle pas d’issue fiscale à cette famille milliardaire et influente ? L’un n’exclut pas l’autre.

La famille Latsis est menée aujourd’hui par son chef, Spyros Lastis, fils de Yannis et proche de Barroso, et réside à Genève. La famille possède en Suisse l’Hôpital La Tour. Elle contrôle aussi EFG Group (Europeen Financial Group), et en Grèce Hellenic Petroleum, CMM (Consolidated Marine Management Inc.), PrivatSea et Lamda Development [3].

La Fondation Latsis se retrouve depuis 2012 à détenir une partie du Groupe EFG. 43.5% de celui-ci, détenu jusque là par le frère et la sœur Latsis, se désolidarise de la banque grecque Eurobank afin que ce business familial échappe aux contraintes qu’impose aujourd’hui l’économie grecque. EFG passe alors aux 9 petits enfants Latsis mais aussi à la Fondation Latsis.

La famille Latsis et le déterminisme géographique

La famille Latsis est souvent qualifiée d’oligarque. Oligarchie signifie la gouvernance par un petit groupe. En effet, les Latsis ont la main mise sur la gouvernance de la Grèce car ils détiennent une partie importante de l’économie du pays, qui se retrouve aujourd’hui bradée aux colosses de l’économie mondiale. Cette vieille élite participe sans aucun scrupule à ce carnage brutal, rendu possible par des mesures étatiques, notamment à travers deux entreprises : Lambda Development et Hellenic Petroleum.

La première, active dans l’immobilier, est connue pour la construction d’un bâtiment d’une surface commerciale de 58.500 m2, conçu en 2001 comme “village de presse” pour les JO, et érigé sans permis de construction. En décembre 2003, un ouvrier (étranger et probablement sans assurance) y meurt car le chantier n’était pas éclairé pendant la nuit. Le statut du bâtiment est régularisé bien plus tard par une série de décisions parlementaires accompagnées, entre autres, d’un bonus de 425’531,91 euros de terrain supplémentaire cédé par l’État. Aujourd’hui, Lambda Development s’apprête à acquérir l’ancien aéroport d’Athènes, qui héberge actuellement de manière officieuse entre 4000 et 6000 réfugiéEs, afin d’y construire son 5e centre commercial en collaborant cette fois avec Fosun International (siégeant à Shanghai, Chine) et Al Maabar (siégeant à Abu Dhabi, Émirats arabes).

Hellenic Petroleum, et sa raffinerie dans la région d’Eleusis, ont été acquis pendant la dictature des colonels en Grèce. Dans un premier temps, la pollution de la mer a forcé les habitants de la région de passer de pêcheurs à ouvriers dans l’industrie. En 2015, un accident fait 3 blessés et 3 morts suite à une série d’explosions, et ceci sans que l’alarme se déclenche. Les communiqués de l’entreprise qui ont suivis ne font non seulement aucune référence aux victimes, mais précisent que “l’incident n’influencera pas le déroulement des travaux du shutdown de la raffinerie” et que “les finances de l’Entreprise ne seront pas perturbés”. Cet accident est le résultat d’un manque de mesures de sécurité et des conditions de travail (12, 14 ou même 16 heures par jour) mis en place pour accélérer les travaux et remettre la raffinerie en marche au plus vite.

En fin de compte, Jared Diamond serait probablement d’accord que la Grèce Antique ayant domestiqué le blé ait pu inventer la démocratie. Mais depuis que la production de blé a diminué, c’est à Spyros Latsis, bien nourri à Genève, de gérer les affaires dans son pays d’origine.

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