Migrations - Frontières

Sur la situation actuelle des migrant*es sur la route des Balkans

En mars 2019, le groupe Augenauf et le point de contact de Sans-Papiers Bâle ont mandaté un membre d’Augenauf à participer au voyage de la délégation du Forum Civique Européen à la frontière bosno-croate. En voici le rapport.

Bosnie-Herzégovine |

Des milliers de migrant*es sont actuellement bloqué*es en Bosnie-Herzégovine (B-H). Depuis la fermeture du “corridor humanitaire” sur la route des Balkans entre la Serbie, la Hongrie, la Croatie, la Slovénie et l’Autriche au printemps 2016, la migration n’a pas cessé ; elle s’est déplacée en Bosnie-Herzégovine. À partir de là, les gens essaient de passer par la Croatie et la Slovénie (voir carte).

Déplacement de la route des Balkans

Il y a un peu plus d’un an, début 2018, les migrant*es atteignaient le canton d’Una Sana, au nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine, et ainsi Bihać et Velika Kladuša. Au début, seule la population locale soutenait les migrant*es qui s’installaient dans un premier temps dans un parc à Velika Kladuša pour ensuite être envoyés dans un champ à l’extérieur de la ville. Dans le champ, l’accès à la nourriture est irrégulier et l’élimination des ordures et des eaux usées inadéquate. A partir de mars 2018, des volontaires internationaux et bosniaques arrivent de plus en plus nombreux à Velika Kladuša, afin d’améliorer la situation catastrophique de l’approvisionnement des réfugié*es. On estime que 23 000 migrant*es ont traversé la Bosnie-Herzégovine en 2018.

Huit camps en Bosnie-Herzégovine

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM), financée par l’UE, se charge d’assurer une partie des services de base à partir de mi-2018. Elle supervise huit camps dans tout le pays, tous situés dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine - le pays est divisé en deux entités, la Fédération de Bosnie-Herzégovine et la Republika Srpska - dont quatre dans le canton nord-ouest d’Una Sana. Trois camps sont situés à Bihać ou aux alentours, alors que le quatrième, appelé Miral, est à Velika Kladuša. Ces camps sont cependant conçus pour trop peu de personnes ce qui conduit systématiquement au refoulement de nombreux réfugiés. Le gouvernement du canton d’Una Sana a ainsi fixé à 3000 le nombre maximum de migrant*es admi*es au printemps de cette année.

Route par les balkans 2018 - Laurent Geslin

Infrastructures déficientes des camps

Les camps sont mal gérés et sous-équipés : au camp Miral, par exemple, 780 migrant*es ont accès à 47 toilettes et 30 douches à l’intérieur, tandis qu’au camp Bira près de Bihać 92 toilettes et 44 douches sont disponibles pour 2040 personnes. Les migrant*es de Miral nous expliquent que la nourriture est souvent insuffisante et peu fraîche, que les soins médicaux du Conseil danois pour les réfugiés ne sont pas suffisants, que la vie privée n’existe pas et que le lavage des vêtements est un gros problème. Selon les représentant*es de l’OIM, deux machines à laver industrielles sont disponibles, mais la municipalité n’a pas encore fourni de raccordement d’eau. Il y a aussi des raisons politiques à cela : Ils ne veulent pas de réfugié*es à Velika Kladuša et veulent réduire leur nombre dans le canton de Una Sana.

Conditions d’hébergement indignes

En février 2019, Gorana Mlinarević et Nidžara Ahmetašević, deux militantes et scientifiques de Sarajevo, ont rédigé un rapport sur la situation des migrant*es en Bosnie-Herzégovine pour la Fondation Heinrich Böll. Dans ce rapport, elles affirment que les conditions d’hébergements sont inférieures à toutes les normes de dignité humaine. C’est pourquoi, surtout à Velika Kladuša, de nombreuses personnes vivent à l’extérieur du camp, dans des logements privés, dans des maisons squattées ou sont sans abri. Soit parce qu’elles ne veulent pas entrer dans le camp, soit parce qu’elles n’y sont pas admises.

Entrée du camp Miral in Velika

Des refoulements violents en Croatie pour que les Européen*nes se sentent en sécurité

La Croatie expulse immédiatement la majorité des personnes qui tentent de franchir la frontière sans pouvoir y demander l’asile. C’est une violation de la Convention de Genève sur les réfugiés. Des refoulements violents de réfugiés sur le territoire croate s’étendent à l’intérieur du pays et font souvent partie de déportations en chaîne depuis la Slovénie et l’Italie. Selon l’ONG du Zagreb Centar za mirovne studije (Centre for Peace Studies, CMS), la police croate est soutenue par Frontex depuis le début de l’année 2019. La frontière Croatie-Bosnie est ainsi devenue une zone extrêmement contrôlée. De cette manière, la Croatie veut prouver qu’elle est digne d’être admise dans l’espace Schengen.

L’impitoyabilité sans tabous

Au cours des derniers mois et des dernières années, borderviolence.eu a documenté et publié environ 500 cas documentés de violence contre des fugitifs. Un triste exemple est le décès de Madina, six ans. Elle était en route avec sa famille entre la Serbie et la Croatie lorsqu’elle a été interpellée sur le territoire croate. La famille afghane a reçu l’ordre de rentrer en Serbie à pied et dans l’obscurité sans être autorisée à demander l’asile dans l’UE. La famille a suivi la voie ferrée. Madina a été heurtée par un train de marchandises et est morte. La médiatrice croate et l’avocat de la famille ont porté plainte contre la police croate. Dans la région frontalière Croatie-Bosnie, les excès violents sont dirigés contre les hommes, les femmes et les enfants, qui partent souvent la nuit pour ce qu’ils appellent “going on the game”.

Harcèlement, humiliation, torture

Si de nombreux cas de violence excessive avec matraques, etc. sont documentés, les policiers croates ont également conçu des méthodes de torture moins visibles pour torturer les migrants. En hiver, ils brûlent leurs sacs de couchage, volent leurs chaussures et les renvoient en Bosnie-Herzégovine pieds nus - y compris des enfants - parfois sur des kilomètres et/ou dans des rivières glacées, ou laissent la climatisation de leurs voitures de police bien froide et puissante en hiver, de sorte que les migrant*es emmené*es avec eux prennent froid. Les migrant*es arrêté*es reçoivent l’ordre de se déshabiller totalement et de retourner en Bosnie en marchant devant la voiture de police croate. Les hommes musulmans sont humiliés devant leurs fils et les femmes musulmanes se font arracher le foulard devant leur famille. Les téléphones portables sont tellement détruits qu’ils ne peuvent tout simplement pas être réparés ; ainsi, non seulement la vitre est brisée, mais l’ouverture pour le chargeur est également endommagée. Le Centre d’études sur la paix à Zagreb, qui a documenté nombre de ces attaques et accompagne les personnes touchées, décrit ces cas de violence excessive et inhumaine comme de la torture. Les excès violents des douaniers croates ont déjà été rendus publics dans les médias fin 2018 et dans deux rapports détaillés de la Fondation Heinrich Böll et d’Amnesty International début 2019.

Atmosphère hostile aux migrant*es et à leurs soutiens

Les migrant*es ne sont cependant pas les seul*es à se heurter à des obstacles. Dès 2018, des politicien*nes de la commune de Velika Kladuša et du canton d’Una Sana commencent à se faire entendre contre les migrant*es. Après un an, les populations locales et les volontaires internationaux sont épuisés et ne savent pas dans quelle mesure ils peuvent offrir leur aide sans être poursuivis. Néanmoins, de nombreuses personnes font preuve de solidarité avec les migrant*es et s’impliquent d’une manière souvent moins visible, en les accueillant temporairement chez elles, en leur offrant la possibilité de recharger leurs téléphones, de laver leurs vêtements et leur corps et en leur offrant de la nourriture.

Initiatives de la population

Dès le printemps 2018, deux groupes (SOS Team Kladuša et No Name Kitchen, NNK) se sont établis sur place pour compléter les installations insuffisantes de l’OIM. De cette façon, ils assurent également l’approvisionnement des personnes qui ne sont pas dans le camp de Miral. Des volontaires de différents pays de l’UE les soutiennent dans cette tâche. Un restaurant géré par des citoyen*nes est financé en partie par la Dutch Lemon Foundation et prépare 350-420 repas par jour, quand les finances le permettent. Dans le même bâtiment se trouve un magasin de l’équipe SOS Kladuša où sont distribués des vêtements, des sous-vêtements, des chaussures et des articles non alimentaires comme du savon. Une grande partie provient de dons de toute l’Europe, les choses urgentes sont achetées localement grâce à des dons pécuniers. Dans une maison avoisinante, les migrant*s reçoivent également les soins médicaux d’urgence.

Criminalisation de l’aide

Début mars 2019, les activités de l’équipe SOS et de la cuisine No Name ont dû être abandonnées pendant plusieurs semaines pour diverses raisons. L’Autorité des étrangers, qui fait partie du Ministère de la sécurité de Bosnie-Herzégovine, a finalement expulsé la plupart des volontaires étrangers du pays. La raison : ils avaient été bénévoles pour une organisation non enregistrée en Bosnie-Herzégovine et n’avaient pas présenté les documents nécessaires. Les volontaires rapportent cependant qu’ils ont fait tout leur possible pour présenter les documents nécessaires, mais que l’Autorité des Etrangers les a laissés sans nouvelles pendant plusieurs semaines, de sorte qu’ils ont recommencé leur travail. En conséquence, ils ont été expulsés pour une durée pouvant aller jusqu’à un an. Une liste correspondante du ministère de la Sécurité montre à quel point la quantité de documents à soumettre est absurde. Cette politique de criminalisation du volontariat peut, par analogie, siniquement s’apparenter aux obstacles que les Bosniaques rencontrent lorsqu’ils veulent obtenir un visa pour rester en Europe.

Toute aide pertinente est rendue impossible

Face à cette situation, SOS et NNK ont été contraints en mars à cesser de travailler avec des volontaires étrangers. En outre, les fonds pour le restaurant en provenance des Pays-Bas ne sont pas arrivés, ce qui a entraîné l’impossibilité pour les migrant*es de manger. Les volontaires qui étaient officiellement des touristes à Velika Kladuša ont essayé de distribuer des vêtements, des chaussures et de la nourriture de manière décentralisée, mais ils se trouvaient dans une zone grise légale. Dans ces circonstances, la répartition a fonctionné davantage selon le principe du hasard ou du “premier arrivé - premier servi”.

Tâches non définies

Les autorités gouvernementales et les organisations internationales ne semblent guère en mesure d’améliorer la situation. Il ne faut pas oublier que la Bosnie-Herzégovine est un pays politiquement instable et parmi les plus corrompus d’Europe. Pour Gorana Mlinarević et Nidžara Ahmetašević, cela tient au fait que la Bosnie-Herzégovine est encore marquée par les dysfonctionnements de l’après-guerre. Le pays atteint rapidement ses limites, même en cas de petite “crise” humanitaire - en moyenne, il n’y a qu’environ 5 000 migrant*es dans le pays. La communauté internationale, qui continue d’exercer une influence politique en Bosnie-Herzégovine et qui constitue l’un*e des nombreux acteurs et actrices dans le domaine de l’aide humanitaire aux réfugié*es, en est également conjointement responsable. Comme nous l’avons constaté nous-mêmes, la responsabilité est rejetée d’un pays à l’autre, entre les autorités locales, cantonales et fédérales et aux organisations internationales. L’UE, consciente de cette situation précaire mais peu connue de l’opinion publique, ignore complètement les problèmes des réfugié*es et de la population locale.

La responsabilité de l’UE

Les élections au Parlement européen qui se tiendront fin mai 2019 entraîneront-elles des améliorations à la frontière bosno-croate ? Nous ne sommes pas optimistes. Néanmoins, la pression politique doit être maintenue et intensifiée. Les accusations portées contre la police croate par la médiatrice croate et l’ONG CMS de Zagreb sont également primordiales. Il y a toutefois aussi un besoin de volontaires, qui seraient prêt à travailler idéalement pendant quatre semaines avec la population locale. Et enfin, les dons en argent et en nature : Pantalons, pantalons de sport en tailles S et M, T-shirts à manches longues et courtes en S, M et L, chaussettes, caleçons boxeurs, chaussures de toutes tailles, notamment 41, 42, 43, sacs de couchage, sacs à dos, ceinture et smartphones. Cela peut sembler mineur étant donné l’ampleur du problème, mais à Velika Kladuša, toute aide est la bienvenue.

Si vous pensez faire du bénévolat à Velika Kladuša, veuillez contacter No Name Kitchen à l’avance pour savoir quand il serait judicieux de vous engager.

Dépôts sur le compte courant postal suisse portant la mention “Bosnie-Herzégovine” :
Forum des citoyens européens
Bâle
PC 40-8523-5
IBAN CH240900 0000 4000 8523 5

Exigences du FCE à l’égard des autorités politiques

Aux frontières extérieures de la Croatie, la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, la Convention des droits de l’homme et les règlements de l’UE sur la conduite des procédures d’asile sont bafoués. Plusieurs ONG, journalistes internationaux et Amnesty International ont publié des rapports détaillés. Tout est suffisamment documenté, les autorités européennes doivent maintenant agir.

Le FCE l’exige :

  • La cessation immédiate des violences physiques et psychologiques commises par la police croate avec le soutien et l’équipement de l’Agence européenne des frontières Frontex.
  • La divulgation de l’opération Frontex à la frontière Croatie-Bosnie. Combien d’argent et de ressources techniques et humaines seront utilisées pour bloquer la frontière, et comment ? Les contribuables européen*nes ont le droit de savoir.
  • Une solution paneuropéenne pour les fugitifs dans les pays du sud de l’UE et aux frontières extérieures de l’UE.

Des pays comme la Bosnie-Herzégovine et la Grèce ne doivent pas être laissés seuls face à la nécessité d’approvisionnements ; les réfugié*es ont droit à une nourriture adéquate, à des soins médicaux, à l’hygiène, à des lieux sûrs pour dormir et à des conseils juridiques. L’Europe doit organiser des programmes de réinsertion pour les arrivant.e.s. Le manque de volonté politique ne doit plus coûter de vies humaines.

Des règles absurdes pour les volontaires internationaux (Ministère de la Sécurité de Bosnie-Herzégovine). “En mars 2019, le Service des affaires étrangères du Ministère de la sécurité de Bosnie-Herzégovine a publié des règlements détaillés que les volontaires internationaux doivent respecter avant de pouvoir soutenir de quelque manière que ce soit les migrant*es. Voilà la lettre.”


De : Bulletin Augenauf no 101 Mai 2019

Notes

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