Entretien avec un livreur à domicile.

Raconte en quelques mots. Pourquoi Uber Eats ?

Le seul avantage, c’est que tu travailles pour ton propre compte et il n’y a pas de transfert d’argent. Il y a une location de compte. C’est l’alternative la plus facile pour gagner de la thune parce que les restaurants n’engagent pas des sans-papiers.
Du coup en Suisse, le plus facile, c’est de travailler pour Uber Eats.

Comment tu as su ça ? Comment tu en es arrivé là ?
J’ai contacté quelques clandestins, posé des questions à 2-3 livreurs. “Bonsoir je veux bien travailler, est-ce qu’il y a possibilité de louer un compte ?” et après, ça va super vite.

Quelles sont les étapes ?
Primo, tu dois avoir le compte d’un résident en Suisse qui a un casier judiciaire vierge, acheter un sac Uber, louer ou acheter un véhicule.

Comment ça se passe le travail

Il faut savoir où se garer pour avoir un maximum de livraison, par exemple la place des Terreaux à Bel-Air ou la gare de Lausanne. C’est stratégique. Tu piges qu’il y a des zones où tu vas recevoir plus de notifications. Par contre, si j’ouvre l’application hors du centre-ville, y a quasi rien. Parce que l’application calcule quel livreur est le plus proche du restaurant.
Vu que de toute façon on est mal payés, je préfère faire des petites courses de genre 7km qui me paie 6 balles plutôt que de faire une livraison de 10km qui me paie 12 balles. Je t’explique : si tu fais une livraison courte, alors tu reviendras plus vite à ta place, alors que si tu vas loin ça va te mettre plus de temps de revenir et tu vas louper des notifications.
Et si tu fais plus de livraisons, tu as plus de chances d’avoir des pourboires.
Alors quand je reçois des livraisons trop loin, j’annule.

Quels sont les problèmes que tu rencontres ?
Je n’ai pas de compte, j’en loue un pour 100chf la semaine. Il y a souvent des vérifications pour les selfies frauduleux ou des signalements par des clients, pour le motif de partage de compte. C’est des vérifications au hasard et ça m’ennuie trop.

C’est quoi un selfie frauduleux ?
C’est-à-dire que comme tu n’es pas le proprio du compte, tu ne peux pas faire le selfie [de vérification] toi-même. Des fois, ils te demandent de faire un selfie immédiatement, mais je ne la fais pas immédiatement. Je contacte le propriétaire du compte, mais ça peut prendre facilement une heure. S’il est sur Lausanne, je peux faire vite sinon ça peut prendre jusqu’à quatre heures.

Quand demandent-ils une vérification par selfie ?
Au pif, des fois, ils [Uber Eats] demandent trois fois à la suite. Et c’est pour ça qu’ils ont fermé le compte que j’utilisais.

Une fois que tu as le compte, comment ça se passe ?
J’ai réussi à avoir le compte d’un ami. J’ai fait pratiquement 100 livraisons et sur ces 100 livraisons, j’ai reçu 13 signalements de partage de compte. J’ai reçu des bonnes notes pour la livraison, l’efficacité et tout, mais y a des personnes qui m’ont signalé pour partage de compte. Ils ont dit que ce n’était pas la même personne que sur la photo de profil qui devait faire la commande.

Ils t’ont dénoncé ?
Oui, ils m’ont dénoncé. C’est pour ça qu’uber a fermé le compte.

Donc tu loues un compte à quelqu’un ou c’est un ami qui prête son compte ?
C’est un cercle de location.

Tu veux dire que les cercles de location s’adressent aux personnes sans papier ? C’est-à-dire que les personnes qui louent ces comptes-là ne sont pas des amis, ce sont des gens qui se font de la thune ?
Mais bien sûr, y’a pas d’ami dans cette situation, y’a pas d’ami, c’est un business.
En plus, tu ne peux pas y échapper parce que toute la thune va aller sur son compte bancaire. Il faut garder une bonne relation pour ne pas être arnaqué ou volé, parce que chaque lundi, ils [Uber Eats] font le virement bancaire et c’est le propriétaire du compte qui doit aller retirer l’argent. Du coup, il faut trouver la bonne personne avec qui travailler pour éviter toutes sortes d’arnaques.
Il faut un propriétaire de compte avec qui tu as un peu un lien, avec qui tu as des amis en commun. Tu dois savoir où il habite. Tu ne loues pas un compte aléatoirement.

Au contraire des autres entreprises, Just Eat ou Eat qui fonctionnent de manière contractuelle, à Uber Eats les employés sont en “freelance”.

C’est quoi la différence ?
C’est que Just Eat te pait un salaire fixe chaque début de mois. Tu peux faire mille livraisons par jour ou juste 2 livraisons. Ils te paient pour tes heures de travail. Par contre à Uber Eats, si tu ne travailles pas ou si tu ne reçois pas de livraison, tu reçois 0 franc.

Du coup, tu rencontres beaucoup de gens qui sont dans ta situation ?
Oui il y a des gens gentils et corrects qui te disent comment faire, à quoi faire gaffe et qui font ça depuis 3 ans.

Au-delà d’une fermeture de compte, tu risques quoi ?
Uber Eats, ils ferment juste le compte, mais il y a aussi un risque que la police me choppe avec une facture de commande.

Cela veut dire que je suis en plein travail et que je ne suis pas déclaré. Du coup s’il y a un contrôle aléatoire…
Oui, si tu te fais choper par la police, faut éviter d’avoir le bon de commande du client, il faut tout nier, dire que c’est ta bouffe et que c’est pas une livraison.
Parce que sur le bon, c’est bien marqué que c’est une livraison pour madame/monsieur X avec le livreur Y du restaurant X à l’adresse Y. Tout ça est mentionné sur le bon qui est imprimé juste avant que tu commences ta livraison et est agrafé avec la commande par le restaurateur.

Et si tu te fais chopper par la police ?
L’avantage, c’est qu’ils n’ont pas le droit de fouiller ton téléphone pour ouvrir l’application. Mais s’ils te choppent avec une facture, ils ont une preuve que tu travailles sans être déclaré. C’est ça le risque.
Uber Eats, ils peuvent juste fermer le compte, mais le risque, ça reste la police dans la rue.

Et là, tu attends pour ouvrir un nouveau compte ?
Oui. J’aimerais trouver un ami de mon cercle qui serait un peu proche et pouvoir checker avec lui au moment des retraits d’argent.
J’ai essayé de travailler avec des inconnus, mais il y a de la concurrence.