Répression - Enfermement Migration

La prison comme outil de contrôle social et racial

Ce mois ci Renversé s’intéresse aux questions carcérales à Genève et invite pour en parler le nouveau collectif genevois Parlons Prisons. À cette occasion, le collectif publie chaque semaine un extrait de : “Brisons les murs. À quoi servent vraiment la prison et la justice”, son texte fondateur.

Dans l’article de la semaine dernière, nous constations ensemble que les fonctions prétendues de la prison (la dissuasion, la neutralisation, la réinsertion et la punition) ne sont majoritairement pas remplies ou perpétuent un système dont nous ne voulons pas. Dans l’article de cette semaine, nous parlerons du fait que la prison remplit un autre objectif : celui d’être un outil de contrôle social et racial.

Genève | Suisse romande |

Le “Que punit-on” cache le “Qui punit-on”

La prison est un outil utilisé afin de criminaliser les personnes économiquement affaiblies par un système capitaliste et raciste. Les personnes noires, arabes, personnes des Balkans, roms et latinas en sont les premières cibles. Ce processus de criminalisation effectue un tri racial qui isole, précarise, discrédite une catégorie de personne et ainsi justifie les violences que le système carcéral produit.

Les principaux crimes et délits conduisant à faire de la prison en Suisse aujourd’hui ce sont les vols, le séjour illégal, le recel – soit la revente de produits volés – et les stups (tout ce qui est lié à la drogue). Mis à part quelques enquêtes qui font la une des médias, la police arrête principalement les personnes les plus exposées : celles qui passent beaucoup de temps dans la rue parce qu’elles y travaillent, et/ou n’ont pas d’autres endroits où aller.

À Genève, celui (car ce sont dans l’immense majorité des hommes) que cherche à punir la justice c’est l’homme non-suisse et/ou non-blanc pauvre. On choisit de cibler des personnes et non pas des infractions : la police n’arrête pas aléatoirement les personnes blanches dans la rue — ou rarement et cela ne fait pas système —, mais elle arrête les personnes racisées. On parle ici de contrôles au faciès ou de profilage racial. En Suisse, cette pratique est si présente que l’on met en garde les personnes racisées qui souhaiteraient venir visiter notre prétendu havre de paix. En effet, celles-ci pourraient se retrouver victimes de fouilles et contrôles policiers.

La répression ne cible pas l’étudiant·x·e blanc·x·he qui vend de l’herbe depuis sa maison à côté de ses études. Parce qu’il est blanc et que la police est raciste, donc que sa blanchité le rend insoupçonnable ; parce qu’il a une maison ; parce qu’il n’a pas forcément besoin de se mettre dans des situations dangereuses puisqu’il dispose souvent d’autres ressources pour subvenir à ses besoins. Puisqu’elle cible une immense majorité de personnes racisées (suisses ou étrangères), la prison est l’outil répressif ultime d’un pouvoir intrinsèquement raciste et de classe. Les autorités pénales enferment ceux qu’elles considèrent comme indésirables. Elles n’arrêtent pas les riches non, elles arrêtent les pauvres.

Mauro Poggia, Conseiller d’État chargé du Département de la sécurité, de la population et de la santé à Genève a récemment rappelé que 70% des détenus à Genève « n’ont aucun lien avec le territoire », et qu’ils « doivent donc être enfermés ».

Dans le cadre du système pénal, la peine ferme est la continuité, et l’étape quasi finale, de ce tri racial qui est effectué dans un premier temps par la police. C’est ensuite au tour des procureurs·x·es puis des juges de condamner les personnes différemment en fonction de leurs origines sociale et raciale. Le système pénal désigne et perpétue l’existence d’une population de personnes considérées comme indésirables et ne méritant pas de vivre libres, de personnes emmurées vivantes.

Mauro Poggia, Conseiller d’État chargé du Département de la sécurité, de la population et de la santé à Genève a récemment rappelé que 70% des détenus à Genève « n’ont aucun lien avec le territoire », et qu’ils « doivent donc être enfermés ».

Zinz - Incarcéré (Prod L Produx)

En Suisse et ailleurs, la prison est largement devenue un outil de gestion de l’immigration dite "indésirable". Alors que le nombre de personnes suisses enfermées diminue de façon ininterrompue depuis 35 ans, ces dernières ont progressivement été remplacées par des personnes étrangères sans permis de séjour, des personnes requérantes d’asile déboutées et des "sans-papiers" que l’Europe refuse d’admettre sur son sol. La Loi sur les étrangers criminalise formellement leur statut. Elle prévoit des peines allant jusqu’à un an de prison ferme et fait concrètement apparaitre la prison comme l’antichambre de la machine à expulser (centre de renvois, détention administrative, aéroport). La "libération" se transforme alors en une deuxième peine : l’expulsion. En se focalisant ainsi sur une immigration issue des anciennes colonies et des marges racialisées de l’Europe, la prison participe concrètement à la reproduction d’une "suissité" et d’une "européanité" blanche. (voir graphique en annexe qui illustre le nombre de personnes étrangères et de personnes suisses en exécution de peine (hors préventive et détention administrative) avec l’évolution dans le temps.)

À Genève, le procureur général Olivier Jornot déclare d’ailleurs ouvertement « utiliser la Loi sur les étrangers pour pouvoir harceler les délinquants de rue. Car dans l’engagement opérationnel de la police, il est beaucoup plus facile de contrôler des personnes pour savoir si elles ont le droit d’être en Suisse que de prendre des dealers sur le fait. Difficile d’imaginer qu’une telle politique puisse, en pratique, prendre une autre forme que celle du profilage racial. En se basant sur le droit d’enfermer provisoirement quelqu’un dont on craint qu’il pourrait fuir le territoire Suisse (soit se soustraire à la justice étatique) les procureurs·x·es vont systématiquement enfermer provisoirement les personnes sans statut légal en Suisse ou sans adresse en Suisse. L’évaluation de ce risque de fuite n’est jamais personnalisée et systématiquement appliquée, les procureurs·x·es n’analysent pas la situation individuelle des personnes sans statut légal. Le fait que certains·x·es aient des enfants en Suisse, une famille, un travail, etc. et que la fuite ne soit donc pas un risque n’est jamais observé. Cette politique mène les personnes étrangères à avoir une probabilité de condamnation à une peine ferme neuf fois plus élevée que les suisses·x·sses (OFS,2018). Pour les personnes sans statut dans le pays qui les enferme, une fois en prison, les soutiens extérieurs sont souvent moins nombreux voire inexistants. Les souffrances et les privations liées à l’incarcération s’en trouvent d’autant renforcées.

À Genève, le procureur général Olivier Jornot déclare d'ailleurs ouvertement « utiliser la Loi sur les étrangers pour pouvoir harceler les délinquants de rue. Car dans l’engagement opérationnel de la police, il est beaucoup plus facile de contrôler des personnes pour savoir si elles ont le droit d’être en Suisse que de prendre des dealers sur le fait ».

En dehors du contrôle des immigrés identifiés comme des “menaces”, la prison fait indirectement office d’outil de subordination pour les autres, celleux qui lui échappent, y compris l’immigration dite “régulière” : le système d’immigration suisse étant profondément assimilationniste et méritocratique, tout statut peut théoriquement y être révoqué ramenant l’étranger déchu au statut “d’étranger enfermable”, “expulsable”. En ce sens, la prison (de même que l’expulsion) est une menace constante pour nombre d’immigrés, bien plus tangible que pour nombre de Suisses.

La semaine prochaine, dans le dernier article de ce thème du mois nous aborderons la question de la punition des proches de personnes détenues.

Interpellation

P.S.

Le texte “Brisons les murs. À quoi servent vraiment la justice et la prison” est à retrouver dans son intégralité sur notre site internet : Parlons Prisons

Notes

DANS LA MÊME THÉMATIQUE

À L'ACTUALITÉ

Publiez !

Comment publier sur Renversé?

Renversé est ouvert à la publication. La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site. Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions, n’hésitez pas à nous le faire savoir
par e-mail: contact@renverse.co