Les quatre fonctions de la prison
Les quatre fonctions du système carcéral soutenues par le discours dominant (dont l’Etat est le principal acteur) sont la dissuasion, la neutralisation, la réinsertion et la punition. Ces quatre fonctions ne sont majoritairement pas remplies, et dans les cas où elles le sont, elles ne font que reproduire ce système dont nous ne voulons pas.
Ces fonctions sont à la fois des fonctions morales, c’est-à-dire qui définissent les comportements acceptables ou non dans la société, mais également des fonctions pratiques, qui sont appliquées et utilisées quotidiennement par les tribunaux, les procureurs·x·es, les juges et la police (et les avocats·x·es). Ces fonctions morales et pratiques existent dans l’ensemble des sphères de la société (école, travail, famille, ...) et sont perpétuellement adaptées en fonction des contextes sociaux.
Dissuasion
Il y a deux formes d’effet dissuasif produites par la prison. D’un côté, la "dissuasion générale", c’est à dire l’influence de la peur de la peine sur le passage à l’acte des personnes. De l’autre côté, il y a la "dissuasion spécifique", c’est à dire comment l’expérience carcérale affecte la récidive des personnes sortant de prison. [1] Pour comprendre l’effet de la dissuasion générale, beaucoup de facteurs sont à prendre en compte Mais il est probable que le spectre de la prison décourage certaines parties de la population à commettre des actes délictueux. En revanche, en ce qui concerne l’effet de dissuasion spécifique, il suffit de regarder à quel point les taux de récidive sont élevés chez les personnes qui sortent de prison pour remarquer que son effet dissuasif est très faible sur les personnes qui la subissent.
il suffit de regarder à quel point les taux de récidive sont élevés chez les personnes qui sortent de prison pour remarquer que son effet dissuasif est très faible sur les personnes qui la subissent.
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Il est rare que des délinquants fiscaux finissent derrière les barreaux, l’effet dissuasif de la prison concerne peu les classes supérieures. En revanche, il fonctionne sur les personnes qui ont une situation de vie acceptable, un travail et un logement, c’est-à-dire des personnes des classes laborieuses. Le spectre de la prison et la dureté des peines peuvent les détourner de la délinquance. Mais pour le sous-prolétariat [2], constitué en grande partie de personnes racisées [3] et/ou issues de l’immigration, l’effet dissuasif de la prison est quasiment nul ; les enjeux de survie sont plus importants que la peur de la peine. D’ailleurs, les chiffres sur le taux de récidive montrent que la prison a tendance à “spécialiser” dans la délinquance celleux qui y séjournent plutôt qu’à les en détourner.
Mais pour le sous-prolétariat, constitué en grande partie de personnes racisées et/ou issues de l’immigration, l’effet dissuasif de la prison est quasiment nul ; les enjeux de survie sont plus importants que la peur de la peine.
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Neutralisation
L’un des concepts fondateurs de l’appareil carcéral c’est la neutralisation, autrement dit : l’empêchement de la capacité de nuire par l’enfermement ; l’action immédiate de mettre une personne hors d’état de nuire.
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Mais la neutralisation produite par le système pénal voit ses limites dans la temporalité et l’espace. Au lieu de neutraliser les violences produites par certains délits, elle se concentre sur la neutralisation des personnes en les enfermant dans un espace précis et délimité, hors de la société, durant une période donnée. Seul l’aspect punitif est considéré, sans perspectives d’avenir ni pour les détenus ni pour rendre la société meilleure. Le système carcéral est présenté, de manière insidieuse, comme la seule perspective de reconnaissance d’un préjudice subi ou de réparation. La réalité est toute autre. Cette neutralisation momentanée dans un endroit défini amène d’autres problématiques, intramuros par exemple.
Au lieu de neutraliser les violences produites par certains délits, elle se concentre sur la neutralisation des personnes en les enfermant dans un espace précis et délimité, hors de la société, durant une période donnée.
Prenons l’exemple d’une personne incarcérée pour des violences physiques contre autrui. Elle est certes neutralisée loin des yeux de la société, le temps de sa peine. Mais ce que l’Etat protège ici c’est précisément cette société. Cela démontre plusieurs réalités : tout d’abord, le détenu, bien que ce ne soit pas assumé officiellement dans notre pays, est exclu de la société et n’est plus considéré comme un citoyen. Ensuite, les violences sont neutralisées seulement pour l’extérieur de la prison, elles ne le sont pas à l’intérieur de la prison. Une personne condamnée pour une agression quelle qu’elle soit peut agresser d’autres détenus. Troisièmement, la neutralisation ne dure que le temps de la peine, il n’y a pas de prise en charge intramuros pour que l’agresseur ne récidive pas à sa sortie.
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Réinsertion
Une fois le principe de « neutralisation » à son terme, à la fin de la peine, se pose la question de la réinsertion. Car la prison n’améliore rien, au contraire, ses fonctionnements désinsèrent.
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Le travail, quand il y en a, semble plus servir à réduire les coûts de fonctionnement de l’administration pénitentiaire qu’à permettre aux personnes incarcérées d’imaginer un avenir professionnel une fois leur peine purgée.
La prison, et plus largement la punition, se donnent pour mission de transformer l’individu qui a enfreint la loi. Par l’enfermement et la discipline, il s’agit de rendre une personne apte à vivre en société. Elle doit intégrer cette société et être capable de vivre selon des valeurs morales établies : le travail, la famille et le respect de l’ordre. Ce projet de réforme de l’individu est caractérisé par un horaire très contraignant, une astreinte au travail, des heures de promenade, de repas et d’activités très courtes. Si la prison discipline, elle ne permet aucune autonomie, les moindres gestes du quotidien étant soumis à autorisation et contrôles. (...) Le travail, quand il y en a, semble plus servir à réduire les coûts de fonctionnement de l’administration pénitentiaire qu’à permettre aux personnes incarcérées d’imaginer un avenir professionnel une fois leur peine purgée. (...) Les offres de formation intramuros sont rares et limitées aux personnes incarcérées pour de longues peines, ce qui ne représente qu’une minorité de la population carcérale.
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À leur sortie de prison, les ex-personnes détenues sont rarement accompagnées par les services compétents (service d’insertion et de probation). Alors que la prison se donne pour but la réinsertion, elle est synonyme de perte de travail (ou de la perspective d’en obtenir à l’avenir), de l’arrêt d’une formation, de la perte d’un logement et de la difficulté de (re)nouer des liens sociaux.
Punition
Punir, c’est peut-être la seule chose que fait effectivement la prison. Mais qu’est-ce que punir si ce n’est de la vengeance stricte ? Quel intérêt pour un Etat de punir, de (se) venger ? Faire souffrir ? (...) La punition c’est la violence du puissant ! L’impuissant ne peut pas punir. La punition ne sert qu’à démontrer et exercer un pouvoir, et seulement celleux qui en détiennent peuvent l’infliger (un·x·e élève·x ne peut pas punir son ou sa prof, par exemple). La punition dans le système carcéral, c’est en fait, l’Etat raciste, classiste et sexiste qui inflige de multiples souffrances psychologiques et physiques qui ne profitent en rien aux personnes victimes de délits et de crimes, lorsqu’il y en a. Au lieu de se concentrer sur les besoins des personnes lésées et/ou victimes, le système pénal, dans son obsession répressive, ne porte son attention que sur la punition des auteurices.
Les victimes sont les oubliées du système pénal et c'est pourtant en leur nom que l'Etat tente de légitimer toute la violence qu'il inflige au travers notamment de la détention.
Les victimes sont les oubliées du système pénal et c’est pourtant en leur nom que l’Etat tente de légitimer toute la violence qu’il inflige au travers notamment de la détention. Elles sont dépossédées du tort qu’elles ont subi, avec la prison comme seule option que l’Etat leur met à disposition pour être reconnue comme victimes. L’imaginaire qui entoure l’idée de réparation passe par la punition du coupable. C’est une construction sociale soutenue par un ensemble de normes punitives.
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Nous avons abordé les failles et les limites des prétendues fonctions du système carcéral. La semaine prochaine nous découvriront à quoi les prisons servent vraiment.
Chanson de la semaine
Nelle mia ora di libertà, Fabrizio de André, 1973.