Un accueil carcéral
L’établissement public d’un mensonge nécessite tout d’abord la capacité de s’accaparer brutalement la parole – en témoignent le fourgon de police et la dizaine de policiers en tenue anti-émeutes présents pour « sécuriser » cette conférence de presse. Il nécessite aussi un discours bien huilé. Tentative de décryptage.
Lorsque le Secrétariat d’État au Migration (SEM) nous explique que le centre sera « ouvert », il faut comprendre que les requérant.e.x.s n’y seront enfermés physiquement « que » de 17h à 9h du matin. Pour les mineur.e.x.s non-accompagné.e.x.s (RMNA) ce régime de semi-détention sera encore plus strict puisqu’à chaque sortie ces dernier.ère.s devront, d’une part, annoncer chez qui iels vont et, d’autre part, pouvoir attester du fait qu’une personne de Caritas se porte garante de la sortie. Sans trembler, le SEM ne se prive d’ailleurs pas d’expliquer que si le centre est en effet partiellement « fermé », c’est « par respect pour la sphère privée des résidents ».
Comme en prison, les requérant.e.s d’asile devront effectuer des travaux d’intérêt général payés 3.75 CHF de l’heure. Selon le SEM, il s’agit là d’un moyen d’encourager « le contact » entre les requérant.e.x.s d’asile et la population locale. En bon pompier pyromane, le directeur régional du SEM, M. Ruffieux, n’y voit là aucune contradiction. Ni avec les grillages entourant le centre, ni avec le fait que le centre lui-même soit littéralement coincé entre l’autoroute et les pistes de décollage de l’aéroport, dans une zone mal-desservie où aucun.e.x genevois.e.x ne met jamais les pieds.
Malgré les déclarations d’intention du Conseil d’État, il est d’ores et déjà clair qu’un certain nombre d’enfants seront écartés de l’école publique pour être scolarisés dans le centre,1 cloîtrés dans une semi-prison en apprenant la langue d’un pays qui les exclut quotidiennement. Le directeur régional du SEM ne tarit pourtant pas d’éloge sur ce système d’éducation ségrégationniste dans lequel il voit une façon "d’intégrer" progressivement des enfants non-francophones.
Ségrégation, surveillance omniprésente, fouilles, punitions, discipline infantilisante, etc. Que l’on ne s’y trompe pas : la fonction principale des centres fédéraux du SEM est de « gérer des populations », tels des stocks humains, déplaçables, corvéables et renvoyables. Pour ce faire, les autorités useront de violence et ne feront que peu d’états d’autres considérations.
Un centre de renvoi
Selon Mauro Poggia, « ce n’est pas un centre de détention, ce n’est pas un centre de renvoi non plus »... À croire que plus le mensonge est gros, plus ça passe.
Afin d’être très clair, il nous faut ici revenir sur un point. Le centre fédéral du Grand-Saconnex n’a pas été pensé comme indépendant. De l’aveu même du SEM, il a été pensé et placé à cet endroit précis parce qu’il présente "des synergies" avec le futur bâtiment voisin qui doit être construit dans le même mouvement, à savoir, les nouveaux locaux de la police de l’aéroport et leur prochain centre de détention administratif en vue du renvoi.2 Cette prison de 50 places et les locaux prévus pour remplacer l’actuel SARA (Service Asile et Rapatriement de l’Aéroport) jouxteront donc le centre fédéral de renvoi. Dans le centre de détention, les autorités ont notamment prévu des cellules directement reliées au tarmac de l’aéroport pour exécuter les renvois avec la plus grande efficacité. La mécanique est bien rodée.
Le discours l’est tout autant puisque durant toute la conférence de presse, aucune mention ne sera faite de ce centre de détention administrative en vue du renvoi. Jouant sur la perpétuelle division factice entre vrai et faux réfugié.e.x.s, M. Ruffieux du SEM en arrive tout de même à nous expliquer que "le renvoi d’une personne non-reconnue comme réfugiée, n’est rien d’autre qu’une forme de protection du réfugiés »...
Un centre symbole d’une politique raciste
Comme le relevait récemment le Courrier, “on aura beau la farder, la politique suisse en matière d’asile restera vérolée”. Tant d’efforts pour tenter de donner un visage humain à un projet symbole d’une politique raciste d’exclusion. Au-delà du symbole, s’il voit le jour, le centre fédéral de renvoi du Grand-Saconnex deviendra sans nul doute une des pièces maîtresses d’une politique qui broie les vies auxquelles la Suisse semble accorder de moins en moins de valeur.
GCCF (Groupe Contre le Centre Fédéral du Grand-Saconnex)
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Notes
1 Ce sera notamment certainement le cas de tous les enfants issus de familles dont la demande a été rangée dans la catégorie “Non-entrée en matière - Dublin”.
2 La détention administrative est une pratique qui permet d’enfermer jusqu’à 18 mois une personne en attente de son renvoi, sans qu’elle aie commis le moindre délit.