Garder un haut niveau d’attention
À cent ans de la prise de pouvoir de Benito Mussolini en Italie, qui servit de modèle et ouvrit les portes à une vague de régimes autoritaires responsables du massacre de la Seconde Guerre mondiale, les droites extrêmes européennes sont encore capables d’exploiter le mécontentement face à une situation économique, sociale et environnementale catastrophique. Les récents résultats des élections italiennes et suédoises sont clairs : même les partis héritiers d’anciennes formations ouvertement néofascistes et néonazies d’après-guerre sont en mesure de gagner, malgré tout, avec un large appui de leurs corps électoraux respectifs.
Certes, ces partis œuvrent depuis plusieurs années à faire peau neuve pour endosser une tenue convenable, sur le modèle de Marine Le Pen en France. Et même si c’est la faute aux « modérés » de toutes sortes d’avoir permis cette réhabilitation institutionnelle, les méthodes et l’attrait populiste de fascistes du XXIe siècle nous interrogent et nous questionnent. Car leurs propos ne sont pas moins dignes de préoccupation, défendant une idée d’Europe barricadée derrières ses privilèges, un ordre social fondé sur une conception réactionnaire de la famille et des relations entre les êtres humains, ainsi que des rapports sociaux violemment opposés à toute perspective égalitaire et de libération.
La Suisse, comme les pays voisins, n’est pas à l’abri des conséquences de ce cycle autoritaire, qui se manifeste aussi dans le renouveau d’activités de la constellation néofasciste et néonazie auquel on assiste depuis quelque temps. C’est le cas notamment à Lausanne, comme l’illustre le texte qui suit, écrit par l’Action antifasciste de la ville romande.
La critique vis-à-vis de la gestion politique de la pandémie de Covid-19 a sans aucun doute fourni l’occasion à une pléthore de groupuscules d’extrême droite de regagner de la place, non seulement dans les médias mainstream, mais également au sein des couches populaires (et pas que) de la population. La manière dont cela aura un impact sur la force des propos réactionnaires, xénophobes et anti-féministes est encore à déterminer. C’est pourquoi il est nécessaire de garder un haut niveau d’attention sur les activités et les transformations de ces groupes, sans bien sûr faire de chaque tag le début d’une ère nouvelle, mais sans non plus reléguer tout cela à l’expression du folklore des « nationalistes » de chez nous.
Cette brochure se veut donc un pas dans cette démarche de réflexion, qui passe forcément par une connaissance précise de la réalité.
Retours sur les évènements de lutte antifasciste à Lausanne. Collection automne/hiver 2021-22
La première action de suprémacistes blanc·he·s que nous avons pu recenser est l’arrêt du Metro 2 Grancy vandalisé avec des sprays rouges, noirs et blanc et des pochoirs de croix grammées, des « sieg heil », et des « kick the niggers out » fin janvier 2021.
En juin 2021, le collectif Nemesis, originellement créé en France, débarque en Suisse en mentionnant « Dame Helvetia » pour « garantir ta sécurité ». Le collectif suisse a le même programme que le collectif français, un pseudoféminisme dit « identitaire ». [1] Elles font les mêmes actions que leurs comparses françaises, des collages sur les affichages publiques et des apparitions lors des manifs féministes sur lesquelles nous reviendrons. À ce jour, le collectif est, paraît-il, constitué d’une douzaine de membres, ce qui ne l’empêche pas d’apparaître dans différents articles de journaux, certains plus critiques que d’autres. Nemesis propage régulièrement des statistiques racistes censées révéler des « faits » sur les violences sexistes et sexuelles.
Le 21 septembre 2021, une manif appelée par les différents collectifs d’étudiante·x·s contre le pass sanitaire se trouve récupérée par les figures notoires de l’extrême droite romande. La volonté de présence de groupes de fafs a été signalée. Le message ayant tourné, différents groupes se sont organisés pour aller voir ce qu’il se passait vraiment. Les organisateurice·x·s de cette manifestation ont aussi été prévenu·e·x·s, sans grande réaction de leur part face à cette peste brune foulant les rues de Lausanne. Durant la manif, on pourra voir des gadsdens flags, des pancartes à connotation antisémite et entendre des slogans comme « toute le monde déteste les communistes ». À la suite de la manif, on trouve des croix gammées au pochoir sur plusieurs murs se trouvant sur le parcours du cortège, des étoiles de David marquées « non vacciné » distribuées dans la rue et dans les transports publics en référence aux personnes juives marquées durant la Seconde Guerre mondiale.
Le 7 novembre 2021, on trouve en ville des stickers du groupe Résistance helvétique, supposément dissous, qui appellent à ne pas se faire vacciner, à ne pas porter le masque, etc. Le groupe a depuis repris des activités (en supposant qu’iels les aient un jour arreté) et publie maintenant sur son site internet (resistance-helvetique.org) notamment à voter Eric Zemmour aux présidentielles françaises de 2022.
Le 25 novembre, Nemesis suisse s’incruste à la manif de la Journée internationale de lutte pour l’élimination des violences sexuelles et sexistes. Accompagnées de plusieurs hommes cisgenres, elles essaient de défiler avec une banderole portant le slogan raciste : « Violeurs suisses = prison ; violeurs étrangers = expulsion ». Leur banderole leur est vite enlevée, puis elles quittent la manif. Plus tard dans la soirée et dans les jours qui suivent, une action médiatique s’ensuit, où elles et leurs followers s’acharnent notamment sur le compte de la Grève féministe Vaud et harcèlent en ligne des participante·x·s de la manif, dénonçant ce qu’elles qualifient de « violences contre les femmes », qui auraient été commises contre elles. Le 29 novembre, une banderole demandant justice pour Hervé, homme noir assassiné par la police à son domicile à Bex en 2016 et dont le flic tueur a été acquitté et même indemnisé par l’Etat, a été lacérée au couteau.
Début décembre 2021, des étudiant·e·x·s et militant·e·x·s antifasciste·x·s du gymnase du Bugnon prennent l’initiative d’enlever des stickers conspirationnistes et antivaccinalistes collés au sein de leur lieu d’études. Peu après avoir décollé ces stickers, iels reçoivent des messages de menace sur les réseaux sociaux, de la part d’autres étudiant·e·s issu·e·s de mouvements d’extrême droite.
Le 3 janvier, après que la façade de l’Espace autogéré a été repeinte à la mode antifasciste, elle a été saccagée au gros spray chrome. Rien de bien intelligent et de bien compliqué, l’action a été rapide. Parmis les choses recouvertes et les dessins on notera le « anti » de « antifasciste » recouvert, une croix celtique par dessus le drapeau violet et noir des anarca-féministes, entre autres utilisée par les suprémacistes blancs américains, la rune nordique d’Odal, signifiant « propriété, domaine, famille, prosperité ou héritage » puis reprise par l’armée nazie, par le RuSHA, acronyme de Rasse- und Siedlungshauptamt (« Bureau pour la race et le peuplement », qui s’occupait de contrôler la généalogie des gens pour leur délivrer un passeport de « pureté raciale » et d’autoriser ou non les mariages… rien que ça : un brin paradoxal pour des gens qui luttaient contre le pass sanitaire quand même…). Ce symbole est largement utilisé par les néonazis du monde entier, car plus ambigu que la croix gamée, mais tout autant parlant quant à leurs affiliations politiques. [2] Il y avait aussi le « WP », qui signifie White Power (« Pouvoir des blancs », vieux slogan du Ku Klux Klan) et les noms des personnes assassinées par la police en Suisse recouverts à la fat-cap, le « En Suisse aussi la police tue » recouvert en partie pour ne laisser que le « En Suisse ».
En vrai le lendemain à 13h30 plus rien n’était visible et à 18h30 tout était comme avant, comme si rien ne s’était passé, peut-être même mieux qu’avant.
Le 19 janvier est la date de mise en ligne du premier article du site internet « satirique », la Hallebarde. Ce groupe rédactionnel semble être composé de trois ou quatre personnes seulement, qui publient principalement des articles de ouins-ouins transphobe, anti-gauchiste et de soutien à des groupes fascistes d’ailleurs, comme Junge Tat en Suisse alémanique. Depuis avril iels collent leurs stickers de propagande dans la rue, principalement à Lausanne.
Le 5 février 2022, des stickers « Defend Europe » et « Junge Tat » sont retrouvés sur la façade de l’Espace autogéré. En mars 2022, des tags mentionnant « mort aux communistes » avec les noms de familles de deux politicien·nes de gauche ont été repérés à la place de la Louve. Le 8 mars, Nemesis tente, sans succès, de s’incruster encore une fois en manif, cette fois pour la Journée internationale des luttes féministes. Le 26 mars, Nemesis tente encore une fois de s’illustrer, en distribuant au MAD une centaine de bracelets supposés révéler la présence de GHB.
Le 2 avril 2022, lors de la manifestation « Justice pour Nzoy », personne noire tuée par balles à la gare de Morges par un flic le 30 août 2021, des néonazis sont venus en bordure de la manif pour faire des saluts nazis, pendant qu’ils étaient repoussés, l’un d’eux à sorti un couteau, et a été ensuite embarqué par la police. Le 6 avril, une banderole « Justice pour Nzoy » est retrouvée lacérée devant l’Espace autogéré.
Le 18 juin, la Hallebarde organise son premier évènement semi-public à Lausanne. Leur programme était une messe traditionnaliste catholique à la chapelle St-Augustin, vers Béthusy, suivie d’une conférence de l’Abbé Raffray, prêtre catholique intégriste qui appelle les cathos à prendre les armes pour repartir en croisade contre les wokistes et d’autres ; et une deuxième conférence de Jean-Eudes Gannat, militant néofasciste français et fondateur de l’Alvarium qui apparait régulièrement dans des manifestation d’extrême-droite. Les conférences se sont déroulées à La Blanche, salle de conférence disponible à la location dans la maison de la société d’étudiants de droite, Zofingue Vaud, à l’Avenue Tivoli 28.
Le 14 juin 2022, Nemesis retente de s’incruster à la manif de la Grève féministe avec une banderole « Pour nos mères, nos sœurs et nos filles » cette fois-ci. Elles seront enjointes à quitter la manif sur le champs par deux personnes à vélo. Les identitaires portent plainte pour harcèlement contre l’une des personnes qui les a suivies en dehors de la manifestation pour s’assurer qu’elles se cassent.
Le 9 août 2022 après une “longue pause”, la façade de l’Espace autogéré est à nouveau vandalisée au spray chrome et noir. Le « anti » de antifasciste est recouvert, une croix celtique recouvre le drapeau et une inscription « 148 » apparaît. [3] Les noms des gens tués par la police sont recouverts. Le 27 août, du sale de nouveau sur la façade de l’Espace, avec des croix cetiques, le « 14 words », phrase de ralliement des nationalistes blancs de David Lane, membre du Ku Klux Klan, le « NS » (national-socialiste) accompagné de la rune de Tyr (une flèche verticale, logo par ailleurs de la Junge Tat), ainsi que des runes d’Odal, un [Arthur de] « Gobineau » en référence au théoricien français de la soi-disant supériorité de la race aryenne, des « 88 » (hh : « Heil Hitler »), des « Loz natio » et des « SS ». Les fafs s’en vantent à nouveau sur le canal Telegram Ouest casual (un agrégateur de fafs de toute sorte) en posant devant leur “oeuvre”, iels étaient six sur la photo, dont une fille, avec leurs visages floutés, plus lae photographe. Iels prétendront dans leur vantardise que des antifas auraient fuit devant elleux, alors que nous n’avons pas réussi à arriver à temps pour les recevoir comme il se doit (et ne sommes pas au courant d’autres personnes s’étant trouvées dans la possibilité de le faire).
En octobre 2022 les fafs continuent de mettre leurs stickers à vomir dans notre ville, la Hallebarde continue de publier des textes fascisants deux fois par semaine comme « critique » de la société actuelle.
Nous restons vigilante·x·s et attentifs·ve·x·s face à leurs activités nauséabondes.
Le fascisme ne passera pas, ni à Lausanne, ni ailleurs.