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Incendie du foyer des Tattes, il y a six ans déjà…

Il y a six ans déjà, dans la nuit du 16 au 17 novembre 2014, un incendie se déclarait au foyer des Tattes, le plus grand lieu d’hébergement pour requérant.e.s d’asile de Suisse. Dans cet incendie, Fikre Seghid, un Érythréen de 29 ans, trouvait la mort par intoxication et des dizaines d’habitant.e.s étaient gravement blessé.e.s.

Genève |

Lors de l’incendie, des personnes prises au piège ont été contraintes de sauter par les fenêtres des bâtiments. Lorsque ensuite ces personnes se sont retrouvées hospitalisées, ni l’Etat ni l’Hospice général ne se sont souciés d’elles. Certaines sont même sorties de l’hôpital sans chaussures... la totalité de leurs affaires ayant été perdues dans le bâtiment incendié. Dans les semaines qui ont suivi, la police genevoises s’est acharnée sur les victimes, en les incarcérant et en cherchant à les expulser. Nous joignons à ce texte une version imprimable d’une brochure de témoignages recueillis auprès des victimes de l’incendie que nous avions distribuée lors de la manifestation commémorant les 5 ans de ce tragique événement en 2019 et qui raconte ce qu’elles ont subi. Le livre, Les Tattes incendie et autres cauchemars, comprenant ces témoignages sera également bientôt disponible dans certaines bibliothèques municipales et petites librairies afin qu’ils soient diffusés plus largement à Genève.

La justice genevoise déclarait à l’hiver 2014 qu’une enquête était ouverte pour faire « toute la lumière » sur ce drame. L’année dernière, sous la pression de collectifs solidaires des victimes, le Ministère public affirmait que « l’enquête [était] à bout touchant » et que « la procureure [rendrait] son avis de prochaine clôture de l’instruction avant la fin de l’année ». (Le Courrier, 14 novembre 2019). Où en est-on aujourd’hui ? Aux dernières nouvelles, on attend toujours... Et toujours pas la moindre reconnaissance ni indemnisation alors que la responsabilité de l’Hospice général et de l’Etat dans ce drame a été pourtant largement démontrée.

Après tant d’années d’injustice, il est permis de se demander ce qu’on peut encore attendre d’un système politique et judiciaire qui affiche un tel mépris pour les victimes. Nombre de ces dernières souffrent encore des séquelles de l’incendie. Certaines, écoeurées, ne veulent plus s’exprimer sur le sujet, estimant que tout a été dit. Lorsqu’il s’agit de la vie de jeunes personnes étrangères, l’appareil judiciaire semble adopter une lenteur cynique qui détonne avec l’empressement dont il fait preuve lorsqu’il s’agit de criminaliser, d’enfermer ou d’expulser des personnes dont le seul délit est d’avoir cherché refuge en Suisse.

Cet incendie et le traitement méprisant réservé à ses victimes par les autorités genevoises et leur institution de service social, l’Hospice général, sont un symbole tragique de la violence systémique qui s’abat sur les personnes à qui la Suisse refuse l’asile. A l’heure où le mouvement Black Lives Matter secoue les Etats-Unis et trouve un large écho en Europe, est-il nécessaire de rappeler que cette violence, qu’elle soit étatique ou sous-traitée à des entreprises de sécurité privées, s’abat systématiquement sur des personnes racisées ?

Ce type de drame mortel est le symptôme aigu d’une politique de rejet et d’exclusion. En 2010, six ans avant l’incendie, Joseph Ndukaku Chiakwa, un requérant d’asile nigérian, décédait ligoté sur le tarmac de l’aéroport de Kloten lors de son expulsion. En 2017 à Lausanne , trois ans après l’incendie, Lamine Fatty, un requérant d’asile Gambien, mourrait dans une cellule de la Blécherette sous les yeux de la police, après avoir été arrêté « par erreur ». En 2019, à Genève, Ali Reza, un requérant d’asile afghan de 18 ans, se donnait la mort dans le foyer de l’Étoile où il résidait, après avoir été tabassé par des agents de sécurité. En 2014, les personnes requérant.e.s d’asile étaient logées dans des foyers surpeuplés, insalubres et insécures. En 2020, elles sont soumises à des conditions de vie quasi carcérales à l’intérieur de centre fédéraux. Dans les deux cas, elles subissent la ségrégation sociale et spatiale et le harcèlement des polices, qu’elles soient publiques ou privées. Alors que la construction d’un centre fédéral au Grand-Saconnex démarre, les récits des violences vécues dans les centres fédéraux déjà existants en Suisse affluent. Ce bâtiment de haine ne doit pas voir le jour à Genève. ¨

Pour rendre politiquement justice aux victimes de l’incendie des Tattes ainsi qu’à toutes les victimes des violences racistes que charrie la politique migratoire suisse, la priorité est de transformer radicalement ce système d’ « asile » inhumain, pour reconnaître à chacun.e le droit de vivre où elle/il le veut, ou, de façon plus réaliste dans un monde encore soumis aux pillages et à la violence capitalistes, où elle/il le peut.

En attendant, nous continuons d’exiger que les autorités genevoises reconnaissent leur responsabilité dans ce drame et indemnisent les victimes.

Justice et dignité pour tou.te.s !
Ce système doit tomber, il a déjà fait trop de morts.

Le Silure, Genève, 16 novembre 2020

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