La CUAE, le syndicat étudiant de l’université de Genève, fonctionne comme un boomerang. Elle connaît des périodes calmes, où elle reste sage et tolérante, et puis périodiquement, au gré des thématiques, des circonstances politiques et des forces, elle se rend compte qu’on se fout quand même bien d’elle, des étudiant.e.x.s et des précarisé.e.x.s de manière générale, et elle décide de réagir en conséquence. Face à l’inaction des autorités et le mépris de classe qui les caractérise, elle oppose une combativité spontanée et légitime qui, à chaque fois, surprend, choque, et insurge, mais finit par payer.
Dernier exemple en date, l’occupation de la cafétéria d’Uni Mail [1] en novembre, pour lutter contre la précarité alimentaire de tou.te.x.s et pour un changement radical de modèle de restauration universitaire. Pendant deux semaines, on a servi chaque jour de la semaine en moyenne 600 repas à prix libre et on a prouvé qu’un autre modèle de cafétéria était non seulement possible mais également nécessaire. On a remis la précarité alimentaire au centre de l’attention politique et médiatique et on a réaffirmé qu’il n’y a qu’un syndicalisme combatif qui peut faire changer les choses.
Dès cette semaine, les étudiant.e.x.s peuvent manger des repas à 5 CHF dans les cafétérias universitaires, grâce à des subventions que l’état a bien fini par lâcher. C’est une vraie avancée contre la précarité alimentaire dans nos unis. Et si on a obtenu ça, c’est grâce à une mobilisation forte et combative de la population étudiante. Ça faisait un petit moment que l’université n’avait pas vu autant de résistance de la part de ses immatriculé.e.x.s, et c’était beau à voir.
Si on a obtenu ça, c'est grâce à une mobilisation forte et combative.
Des repas à 5 CHF, c’est un bon début mais nous sommes loin de ce que nous espérions obtenir initialement. Pour rappel, nous exigions des repas à 3 CHF tout de suite, pour tout le monde et pour toujours. Ce qui veut dire que notre revendication a été méprisée sur deux aspects au moins. D’abord, ce sont des repas à 5 CHF et non à 3 qui sont mis en place. L’état a craché presque un million de franc pour subventionner la mesure et le rectorat nous a assuré que ce serait impossible de compléter cette somme pour atteindre des repas à 3 CHF. En vérité, c’est plus un manque de volonté qu’une véritable impossibilité. Mais une fois de plus le rectorat démontre, au mieux, qu’il n’a pas conscience des conditions dans lesquelles vivent les étudiant.e.x.s ou, au pire, qu’il ne fait que mépriser leurs besoins légitimes.
Ensuite, l’accès à ces repas subventionnés est restreint strictement à la communauté étudiante au lieu d’être pour tout le monde. “L’ouverture sur la cité” dont se targue l’institution ne reste qu’un slogan vide de conséquences concrètes.
"L'ouverture sur la cité" dont se targue l'institution ne reste qu'un slogan vide de conséquences concrètes.
Un slogan dont l’inconséquence manifeste contraste cruellement avec tout le soutien à l’action très concret que nous avons reçu et que nous recevons toujours de la part de collectifs, partis, syndicats, d’individu.e.x.s et étudiant.e.x.s isolé.e.x.s, etc. Soutien qui montrait une fois de plus l’urgence de notre combat contre la précarité et un besoin partagé par une très grande partie des étudiant.e.x.s de se réaproprier les espaces dans lesquels iels étudient.
C’est un besoin qui s’est exprimé avec force à l’université de Genève au cours du mois de novembre mais c’est un besoin qui est présent dans tous les lieux de formation qui répondent aux lois d’un capitalisme marchand et d’une néolibéralisation des études. C’est pourquoi nous appelons à reprendre en main tous nos lieux de formations avec des actions comme l’occupation des cafétérias ou ce que vous jugerez pertinent.
Nous appelons à reprendre en main tous nos lieux de formations avec des actions comme l'occupation des cafétérias.
Une autre de nos revendications portait sur l’internalisation des cafétérias universitaires. Pour cela, le rectorat a “généreusement” accepté de monter des groupes de travail qui songent à une éventuelle internalisation, se gardant bien de s’engager ou ne serait-ce que de montrer une volonté politique de faire avancer ce dossier. La preuve en est qu’il vient de refuser de suspendre la signature du nouveau contrat des cafs de Mail et Dufour, qui doit être finalisée d’ici janvier. Il refuse également que les syndicats traditionnels se mêlent aux groupes de travail sur l’internalisation parce qu’ils ne sont apparemment pas représentatifs de la communauté universitaire.
On sent bien que le rectorat commence déjà à se foutre de notre gueule et que sa stratégie ressemble pas mal à un enfumage général. On ne lui demande pourtant pas la lune, mais simplement d’agir en fonction des besoins de toutes les personnes travaillant entre ses murs, des étudiant.e.x.s aux employé.e.x.s des cafétérias.
Internaliser les cafétérias universitaires n’est pas une mesure révolutionnaire. En Allemagne, la plupart des cafs sont financées par de l’argent public et c’est même les syndicats étudiants qui gèrent leur fonctionnement. Ça permettrait simplement de nous éloigner des logiques marchandes et autoritaires qui pourrissent notre école, un lieu qui doit tendre vers un maximum d’accessibilité, de partage et d’horizontalité. Si une internalisation est couplée à une autogestion des travailleur.euse.x.s et à une participation des étudiant.e.x.s dans les décisions concernant les cafs, alors on ira dans la bonne direction.
Mais le rectorat ne semble pas avoir toutes les clefs d’analyses en main. Si la CUAE fonctionne comme un boomerang, ça ne veut pas dire que la période entre chaque mouvement reste toujours la même et qu’après une forte mobilisation on doit s’attendre à une longue période de calme. Il n’a peut-être pas compris que c’est justement quand on roule trop les étudiant.e.x.s et la CUAE dans la farine, sa spécialité de toujours, que cette période se rétrécit et que le retour du bâton est le plus fort. A la CUAE, on en a toujours eu marre du syndicalisme mou et collabo. On préfère quand les luttes avancent et paient.
Mais on est conciente.x.s que l’université reste un cadre privilégié pour certains modes d’action offensifs. Les enjeux d’image de l’institution bloquent toute répression trop ostentatoire et ça fait des siècles que les flics de l’état n’ont pas le droit d’entrer sans autorisation dans les bâtiments. C’est aussi le contexte suisse qui explique cette situation, dans un pays qui a relégué la guerre sociale à un tabou et qui s’efforce constamment de l’invisibiliser. D’autant plus qu’on est arrivé.e.x.s à un moment spécial, en plein renouvellement de contrat des cafétérias, ce qui laissait peu de marge de manoeuvre à l’entreprise exploitante pour faire la maligne. Autant dire que ça facilite clairement la tâche. Mais raison de plus pour ne pas se priver de l’occasion.
D’ailleurs, l’appétit vient souvent en mangeant. L’opportunité ouverte par l’occupation et le rapport de force qu’elle a créé sont trop belles pour qu’on les laisse passer. En effet, cette mobilisation a fait beaucoup de bruit et a rassemblé beaucoup de monde. Et les possibilités stratégiques pour la suite de la lutte sont encore nombreuses. Pour l’instant, le rectorat a encore les cartes en main pour lancer une réelle discussion sur une internalisation concrète et rapide des services de restauration ainsi que sur les implications de celle-ci sur la vie universitaire. Il a intérêt à se mettre à table au plus vite, sinon on n’hésitera pas à remettre le couvert !