Antiracisme - Luttes décoloniales Violences policières MIKE Justice pour Mike Kiboko

Suivi du procès des policiers qui ont assassiné MIKE - Renens, 12-14 juin 2023

Ces comptes rendus sont des retranscriptions partielles de ce qui s’est passé lors de l’audience, nourris par les discussions en groupe durant les restitutions publiques du procès, le soir.

Lausanne |

Mise à jour


Retranscription de la lecture du verdict du jeudi 22 juin

Les lois sont détestables, le procureur fait du spectacle
Mais les valeurs que prône la rue sont respectables

Sinik

Le verdict du juge est tombé. Les six policiers qui ont tué sont acquittés, et leurs frais de justice indemnisés pour plusieurs centaines de milliers de francs. Ce verdict, on s’y attendait dès le premier jour du procès. Dès les premiers jours de l’enquête même. Le déroulement de la procédure, la manière dont se sont passés les débats, le choix sélectif des témoignages et des preuves, l’abandon par le procureur des charges, tout nous menait à cette conclusion. Mais l’on ne peut nier que d’assister à cette mascarade provoque dégoût, rage et tristesse face à une justice pour laquelle la vie de certaines personne n’a aucune valeur. Lors de la prononciation de l’acquittement, beaucoup d’entre-nous étaient abasourdi.exs. Même si nous nous y attendions, le fait de le vivre, de se retrouver directement confronté.exs à la violence des mécanismes de la suprématie blanche, ça nous a pris aux tripes et laissé.exs dans un état de sidération.

Nous souhaitons tout d’abord rappeler notre immense soutien à la famille de Mike Ben Peter. Nous avons assisté ensemble pendant deux semaines à une escroquerie insoutenable.

Nous souhaitons tout d’abord rappeler notre immense soutien à la famille de Mike Ben Peter. Nous avons assisté ensemble pendant deux semaines à une escroquerie insoutenable, une expériences connue hélas par chaque familles de victimes de violence policière entrainées brusquement dans l’engrainage de l’injustice.

Devant la salle, l’attente est terrible. On se toise mutuellement. On remarque que dans les rang des bootlickers, ils ont fait des choix vestimentaires particuliers. Beaucoup portent des marinières striées de bleu, des femmes portent des rubans bleu autour de leur sac à main, on remarque petit à petit, des ceintures bleues, des bracelets.
Ils essaient de créer une culture, une idéologie policière, un soutien visible. C’est degueulasse. La Thin blue line a été décrit dans les medias comme une organisation de soutien à la police, récupérée par la suprémacie blanche. Alors que la police assure le maintien de cette même suprémacie en étant son bras armé, un tel “mouvement” détaché du racisme de la police n’existe pas. Et en revendiquant cela, ils affichent leur appartenance à la droite extrême.

Cela dure presque deux heures, une durée inhabituellement longue qui évoque une prise d'otage du public. Le juge impose son pouvoir et l'irrevocabilité du racisme du tribunal."

Le président entreprend la lecture du jugement, qui fait 50 pages. Cela dure presque deux heures, une durée inhabituellement longue qui évoque une prise d’otage du public. Le juge impose son pouvoir et l’irrevocabilité du racisme du tribunal.

Il commence avec un régime de justifications, rappelant au public qu’il ne souhaite pas, avec ce jugement, avoir une approche du « tout juste ou tout faux », expression qu’il utilisera plusieurs fois au cours de son allocution. Il lit ensuite l’état de fait du jugement et ajoute que Bridget, la veuve de Mike Ben Peter, et son frère, ont déposés et témoignés avec « une dignité impressionnante ». La condescendance de cette phrase, pour ensuite poursuivre sur une décision d’acquittement, n’inspire rien d’autre que du dégoût.

(Le juge) décrète l'absence totale de faute de la part des accusés et nie le lien de causalité entre le tabassage, le plaquage par 6 flics et la mort de Mike.

Le juge reprend les dépositions des prévenus pour établir son verdict, et continue ainsi la longue lecture de ce qui s’est selon lui passé ce soir-là. Très vite, il parle du meurtre de Mike ben Peter en utilisant le terme de « malaise ». Puis il lit certains extraits des deux rapports d’expertises. Il réitère plusieurs fois la question suivante : "est-ce que Mike Ben Peter serait mort ce soir-là s’il n’avait pas été interpellé par les policiers ?" À cette question, le juge s’en remet à la réponse des experts, selon lesquel il ne serait pas possible de le savoir. Il conclut aussi à une absence de violation du devoir de diligence, en expliquant que le manuel de police n’avait pas été transmis correctement aux policiers, même s’il existait. Il décrète l’absence totale de faute de la part des accusés et nie le lien de causalité entre le tabassage, le plaquage par 6 flics et la mort de Mike. On entend l’exaspération dans la salle d’audience.

Plusieurs personnes se lèvent en signe de protestation. Quelqu'un.x.es crie « LA HONTE » avant de quitter la salle.

On ne parvient plus à retenir nos réactions lorsque la compression de la cage thoracique est écartée, même en cofacteur, des causes possibles de la mort de Mike. L’attitude autoritaire et infantilisante du président ne calmera le public que jusqu’au prononcement officiel de l’acquittement des prévenus. C’est à ce moment-là que plusieurs personnes se lèvent en signe de protestation. Quelqu’un.x.es crie « LA HONTE » avant de quitter la salle. L’émotion est vive et l’incompréhension se fait ressentir, on remarque que l’avocat de la famille est également ému.

Les différents collectifs de soutien à la famille de Mike Ben Peter se regroupent dehors, devant l’entrée du Tribunal correctionnel, pour exprimer leur soutien et honorer la mémoire de Mike Ben Peter. Brigdet, la veuve de Mike Ben Peter, et son frère sortent sous les applaudissements des différents collectifs et soutiens, vétu.exs de blanc pour reconnaître et accompagner le deuil de la famille.

Un membre de l’État-major de la police apparait alors avec un téléphone pour signifier aux protestataires qu’ielles sont filmé.exs lorsqu’ielles crient « police raciste, justice complice ! » ou « Assassins ! Assassins ! ». Mais le gradé ne restent pas longtemps car certain.exs se dirigent vers lui, téléphone en main, pour lui montrer que lui aussi est filmé. Une majorité des soutiens se rend ensuite dans le tribunal en signe de protestation et pour huer les policiers assassins, forçant ces derniers à sortir par le garage.

Nous serons partout : dans la rue, sur les murs, dans les médias, et devant les tribunaux.

Quand on se prend un mur, ça rappelle au monde que ces murs-là existent. Et que des murs, on s’en prendra encore et encore. Mais ça nous rappelle aussi qu’on est déterminé.x.es, et que notre responsabilité dans ce monde est d’abattre tous les murs ensemble.
Nous appelons à se tenir prêt.x.es pour les prochaines mobilisations. Nous serons partout : dans la rue, sur les murs, dans les médias, et devant les tribunaux.
Aux personnes qui le peuvent, une cagnote est en train d’être mise en place pour soutenir financièrement la famille de Mike et pour que la lutte continue.

Face aux mensonges judiciaires et à l’injustice du pouvoir, n’oublions pas que ce sont ces rassemblements, notre organisation, notre force collective, nos cris de rage et de colère, nos larmes de douleurs, qui sont notre Justice . En témoigne la route accomplie ensemble jusqu’à ce procès.
Face aux campagnes de bashing menées par l’Etat à l’encontre de ses victimes, souvenons-nous toujours qu’ils mentent.

Toutes nos pensées vont à la famille de Mike, à toutes les victimes de crimes d’Etats et à leur famille et leurs proches.

Mike Ben Peter REST IN POWER, pour la vérité, ton nom est notre slogan !!

Restitution du quatrième jour, lundi 19 juin

1 Le réquisitoire du Ministère Public
2 La plaidoirie de Simon Ntah
3 Stratégies de la défense
4 Le procès de la police

Le procureur a prononcé une volonté d’acquittement lundi, ce qui ne constitue pas le verdict final que le juge annoncera aujourd’hui à 14h30 à Renens.

Lundi, on a écouté en premier la plaidoirie du ministère public puis celle de la partie plaignante, Me Ntah, puis des 6 avocat.es de la défense.
Le ministère public représente l’état dans le tribunal. Il est composé de procureurs dont la mission est d’investiguer les faits. En fait, c’est les policiers qui bossent pour lui qui font l’enquête. C’est lui qui décide des chefs d’inculpations sur lesquels les juges vont devoir statuer.

Le réquisitoire du Ministère Public

Abandon des charges
Le procureur plaide en premier et annonce que les règles de prudence et de professionalisme ont été globalement respectées selon lui :
1) les flics ont respecté le manuel de l’institut suisse de police qui fait référence en la matière
2) rien ne permettait de réaliser que Mike agonisait, ses cris n’étant pas interprétables comme des cris de douleur
3) L’obésité de Mike n’était pas décernable dans le feu de l’action, d’autant qu’il portait une grosse veste.

Bon prince, Le procureur reconnaît toutefois un manquement aux règles de prudence :
Selon la timeline de l’intervention telle que le procureur la lit, Mike a été maintenu trois minutes au sol, alors qu’il y a un risque de décès à partir d’une à deux minutes. Il constate donc un manque d’analyse de la situation de la part des agents qui ont attendu que Mike tombe en arrêt cardiaque pour le changer de position.
Passionné par les hypothèses, le procureur énonce que le décès aurait pu intervenir même si les flics n’avaient pas agi de cette façon, du moins l’inverse est impossible à prouver. Il rappelle que, selon l’expertise médico-légale, le décès est d’origine multi-factorielle. On appréciera la rhétorique : “Le lien de causalité naturelle entre l’intervention et la mort est impossible à établir. Il n’est pas impossible que Mike soit mort même sans l’intervention”. Aussi le Procureur décide d’abandonner les charges et de recommender aux juges l’acquittement des 6 policiers.

Instruction des flics
La question de la formation laisse perplexe. Le procureur a en effet évoqué l’audition d’un instructeur, ayant enseigné plusieurs années à Savatan. Ce dernier lui permet de construire une réflexion autour de “l’art du métier”. Cet instructeur aurait alors beaucoup insisté sur la différence entre l’enseignement théorique et “les règles de l’art”, à savoir ce qu’il se passe vraiment sur le terrain. Mais qu’est ce que cela nous apprend in fine sur la formation policière ? Que l’enseignement, n’est pas basé sur les manuels et que personne ne peut vérifier objectivement son contenu sans avoir été physiquement à Savatan. Les profs semblent avoir la liberté de dire n’importe quoi sans que la société civile ne puisse aller vérifier si “la doctrine policière” a été respectée. Ce point soulève encore une fois l’absence criante de toute instance de contrôle externe du travail de la police : une des revendications du collectif Kiboko depuis des années.

Les cris
Le Procureur joue sur les mots pour essayer de faire croire que les cris ne pouvaient être interprétés clairement. La ligne de défense est toujours la même : faire passer Mike pour un homme violent, quitte à soutenir plusieurs versions contradictoires et des hypothèses absurdes, pour justifier désespérément que leurs actes étaient proportionnels.

Responsabilité du premier intervenant
Dans une totale dilution des responsabilités, le procureur dédouane le premier intervenant, chef d’intervention, et premier flic à avoir usé de la force de manière disproportionnée.
Il défend que le surpoids de Mike, qui aurait du pousser le policier à faire preuve de précautions, n’était pas visible. “sur la photo vous pouvez constater que nulle part on voit la silhouette d’Alfred Hitchcock comme on la représente au cinema”.
Le procureur ose finalement douter de la véracité des coups de genoux portés à Mike, en citant l’absence de certitude quant à la cause des lésion aux parties génitales. Pourtant, le policier en question confesse lui même avoir donné trois coups dans les parties génitales de Mike.

La partialité du procureur
L’acte d’accusation est particulièrement court : il fait en tout et pour tout 6 pages dont 2 d’annexes. D’habitude ce document doit décrire précisément de quoi sont accusés les prévenus qui en plus sont au nombre de 6. Les faits doivent être décrits minutieusement. La responsabilité de chaque prévenu doit être spécifiée pour chaque acte. Le procureur est censé attaquer ces prévenus qu’il accuse d’homicide par négligence et pour cela il a donc besoin de précision. Ici rien de tout cela. On ne sait pas quels coups ont été donnés, quelles sont les lésions, ni quelle responsabilité relative à ces coups chaque flic endosse.
Comme durant les trois jours précédents, le procureur n’a instruit qu’à décharge et s’est complétement aligné sur la version de la défense. Il déclare en toute franchise qu’il n’avait aucun élément lui permettant de contredire la version des policiers. Il décide ainsi de fermer sciemment les yeux sur les incohérences entre les témoignages, sur la multiplication des déclarations clairement mensongères et sur l’évidente collusion entre les policiers qui ont eu 4 heures pour se coordonner avant leur première déposition. Le procureur balaie du même coup les multiples témoignages crédibles des témoins oculaires, ce qui est peu surprenant considérant qu’il n’a rien fait pour récolter ces récits, notamment en organisant une enquête de voisinage.

La police tue, le procureur acquitte.
Habituellement, un procureur abandonne ses accusations dans des cas très particuliers et en raison de changements drastiques des faits, si par exemple il reçoit une nouvelle preuve. Dans ce procès, il n’y a pas eu de tel changement. Toutes les analyses et études prises en compte dans le dossier étaient déjà en sa possession.
Il est évident que le procureur Laurent Maye n’a jamais souhaité mener la condamnation des policiers, au même titre que son prédécesseur. Me Ntah l’a lui-même signifié à la Cours : “quand le Ministère public se permet de me dire que cette affaire ne sera jamais plaidée, cela montre qu’il y a eu conclusion hâtive”. Mais alors pourquoi lancer une accusation pour ensuite l’abandonner ? Pour quelles raisons n’a-t-il pas classé directement l’affaire il y a 5 ans ?

“Justice delayed is justice denied”....
On peut d’abord s’imaginer que le ministère publique nourrissait un espoir que l’affaire se tasse, et la lenteur injustifiée de l’enquête corrobore cette hypothèse. Le procureur a en effet joué les prolongations sans raison valable : il n’ a pas mené d’instruction en plus depuis 3 ans, n’a pas ré-auditionné les prévenus ou enquêter d’avantage.

La stratégie politique du Ministère Publique
Ensuite, le Ministère Publique a très certainement craint la réaction du Tribunal Fédéral. Ce dernier n’aurait sans doute pas approuvé un non-lieu dans une telle affaire. On se rappelle de l’affaire Skander Vogt, que le personnel de la prison de Bochuz avait laissé agoniser dans sa cellule en 2010. En réponse à la plainte déposée par la famille de la victime, le procureur avait décidé d’ordonner un non-lieu (qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre en justice les prévenus). Mais Le Tribunal Fédéral avait désapprouvé la justice vaudoise, ce non-lieu s’appuyant sur la présomption d’innocence.
Dans l’affaire de Mike, Laurent Maye a anticipé la réaction du TF. Ce dernier lui aurait en effet très certainement ordonné de faire un procès. Conséquences : vives critiques à l’encontre de son Ministère, que l’on aurait accusé de vouloir étouffer l’affaire. Le procureur a donc souhaité éviter des remous médiatiques et semé le doute sur ses intentions.

La plaidoirie de Simon Ntah

Vision d’ensemble

Ntah ouvre sa plaidoirie en posant une question très simple : quelqu’un qui n’est pas violent peut-il légitimement être tué par la police ?

Il explique qu’il faut juger l’intervention comme un tout, un cumul de gestes d’une violence démesurée et totalement disproportionnée. Une fois saisie dans son ensemble, on peut bel et bien voir dans l’intervention un meurtre par dol éventuel.
La défense a tout intérêt à essayé de découper l’intervention en une suite d’actions isolées : porter un coup, maintenir une épaule, plier une jambe, etc. La stratégie a plusieurs intérêts : d’abord, aucune de ces actions n’est létale en elle-même, ensuite toutes sont légitimement décrites dans les manuels si on les prend isolément et, enfin, cela permet de diluer la responsabilité du meurtre entre les flics, sur le mode : est-ce que le fait de tenir une jambe a jamais tué quelqu’un ? Enfin en jugeant six individus séparément et non une patrouille de police, il est plus facile d’affirmer l’absence d’un racisme systémique dans la police.

Les coups de genoux, une intervention qui part mal
D’abord, la décision d’intervenir par un premier flic est le fruit d’une envie d’action, en dehors de tout ordres directs de sa hiérarchie.

Dès les premiers jours de procès, sa défense portait sur sa chétivité par rapport à Mike. Dès lors, pourquoi ne pas avoir pris le temps d’appeler ses collègues avant d’intervenir ? Il a immédiatement eu recours à des méthodes violentes pour sois-disant compenser cette “différence de masse”.
Selon Me Ntah, les moyens déployés par ce premier flic, qui assène des coups de genoux, puis utilise un spray au poivre, relèvent déjà d’un usage disproportionné de la violence. Au début de l’enquête, et même durant les premiers jours de procès, ce flic a déclaré qu’il y avait eu “de multiples coups” puis ces multiples coups sont devenus “2 frappes contrôlées”. Alors que lors de la première audition il disait que ces coups “avaient plié la victime en deux”. Bizarrement, après 5 ans de procédure, ces mêmes coups “n’avaient eu aucun effet”.

Rien ici ne justifie l’usage de pareils méthodes, surtout pas un sachet contenant 9g de marijuana. Le manuel de police dit clairement que les coups de genoux sont interdits dans le cadre d’une interpellation comme celle-ci.

Le spray au poivre perd son effet en 5 ans
S’agissant toujours de ce même premier flic, celui-ci avait déclaré en 2018, le soir des faits, avoir “sprayé au torse puis remonté jusqu’au sommet du visage” et que cela avait eu “un effet rapide”, car Mike “avait mis ses mains sur son visage”. Cinq ans plus tard, il déclare devant le tribunal que “puisque Mike avait des lunettes et qu’il s’agissait d’un tir dirigé vers les yeux, il est probable que ce spray n’ait pas eu le moindre effet”. Ces sprays, selon le manuel, ont un effet sur la respiration et provoquent des douleurs s’ils sont dirigés vers les voies respiratoires. “Or, demande Me Ntah, que se trouve-t-il entre la cage thoracique et le sommet du visage ?” Cependant, d’après la défense, puisque ces sprays n’empêchent pas la respiration, ils ne peuvent pas être considérés comme ayant joués un rôle dans l’arrêt respiratoire : on retrouve encore la dilution des responsabilités.

Plaquage et clés de jambe, en 5 ans les jambes s’abaissent
Après avoir subit de multiples coups violents et avoir été sprayé, Mike se retrouve au sol assis, maintenu par ce premier flic. Là encore sa prise au cou décrite la nuit du meurtre devient, 5 ans plus tard, une prise à l’épaule. Les deux agents qui interviennent ensuite basculent Mike sur le ventre, ce qui a pour effet de bloquer le bras gauche du premier policier sous Mike. Il se retrouve donc étendu de tout son poids sur le dos de Mike, comme l’atteste les images de la reconstitution qui restent contestées par la défense. Celle-ci essaie de prouver au travers du récit des autres flics (qui retrouvent brièvement tout leur sens et leur mémoire) qu’aucun agent, à aucun moment ne se trouvaient sur le dos de Mike, mais étaient répartis autours de lui. Quelle que soit la version retenue par les juges, il n’en est pas moins que Mike était maintenu au sol. Deux agents ont déclarés avoir appuyé de tout leur poids sur les omoplates ou encore le triceps de Mike. Me Ntah demande à ce sujet : est ce que les omoplates ne se trouvent pas habituellement dans le dos ?

Un autre flic arrivera et maintiendra le visage de Mike plaqué au sol. Deux autres tentent de lui bloquer les jambes. Un dernier viendra sécuriser le périmètre.
Notons d’ailleurs que les versions des prévenus sont contradictoires sur la clé de jambe, et que celle-ci n’était de toutes façons pas nécessaire, vu que quatre flics maintenaient déjà Mike au sol.

Chacune de ces actions est “cohérente avec le manuel”, mais “sous certaines conditions”, notamment que la victime ne soit pas en train, ou, n’ait pas déjà subi diverses lésions, comme du spray ou des coups. Ces diverses opérations, et surtout leurs risques, sont analysés séparément dans le manuel. Ntah rappelle que c’est justement leur accumulation qui a provoqué un stress et une souffrance qui seront la cause du décès. Par ailleurs, on se demande comment dans une telle mêlée humaines leurs gestes aient pu si parfaitement correspondre aux gestes décrits dans un manuel que les 6 accusés déclarent ne jamais avoir tenu entre les mains.

Le plaquage ventral, encore des paradoxes et hypocrisies
Alors qu’il a été martelé par la défense que l’usage du plaquage ventral et une technique banale, sans risque majeur, enseignée et donc autorisée, le pain quotidien du parfait agent, toutes leur argumentaire était destiné à prouver qu’ils n’ont pas eu recours à ce dernier. Ainsi, personne n’a relevé les jambes de Mike, personne n’a appuyé sur le torse, personne n’a exercé de poids sur le dos.
Étrangement, aucun des agents, à en croire leur déposition, n’a jamais pris la peine de noter ce que faisaient ses collègues alors qu’ils se trouvaient à quelques centimètres les uns des autres (leur mémoire est très sélective). Leurs avocat.e.s ont rappelé à de nombreuses reprises à quel point il était répété dans leurs fameux manuels qu’ils devaient se “monitorer” mutuellement, mais apparemment seulement quand ça les arrange.
La ligne de défense des policiers insiste beaucoup sur le fait qu’ils n’ont pas violé de principe de prudence. Cependant Ntah souligne à de nombreuses reprises que premier agent n’a pas jugé bon d’informer les autres, qui arrivaient au compte-goutte, des différentes violences perpétrées. Sa responsabilité individuelle est donc supérieure à celle de ces collègues.

Timeline
Un autre débat autour du plaquage ventral réside dans la durée de celui-ci. Le procureur estime celle-ci à 2min58s. Feignant la bonne foi, il admet que cette durée était de loin trop longue. C’est le même chrono que la défense utilisera, tout en essayant d’en déduire les secondes de mise sur le flanc, de tentative de vérifier si Mike respire. Des secondes... Mais seul Me Ntah évoque les 3 minutes qui précèdent l’appel radio qui annonce le menottage, le top départ de ce chrono qui s’étendra jusqu’à l’appel qui annonce l’arrêt cardiaque. Durant ces trois minutes justement, un flic est couché sur le dos de Mike, qui subit une clé de jambes, des coups dans les côtes et des pression au niveau du haut du corps alors qu’il est plaqué au sol, sur le ventre.

Causalité
Cette partie est soudain apparue comme cruciale étant donné que c’est là dessus que le procureur s’appuie pour abandonner les charges. C’est l’aspect scientifique, les conclusions des expert.e.s amenées par les deux analyses médicales sur les causes de décès qui sont invoquées. La question est formulée différemment par les parties : le procureur et la défense demandent si la position ventrale a causé la mort de Mike, Me Ntah relève que Mike n’a pas uniquement été plaqué au sol. Dans les facteurs qui ont causé la mort il y a aussi le cumul des coups dans les côtes, les coups dans les parties génitales, les clés de bras et de jambes, le poids exercé sur le corps, et l’usage du spray qui ont crée un stress tel qu’il a entraîné la mort. Ceci répond à la question de la causalité.
A ce titre on voit que la défense admet ou refute les diverses études selon ce qui l’arrange. Alors que la mort est souvent posée comme due au syndrome “excited delirium” qui a pourtant était écarté dès les premiers jours. Dans les deux analyses médicales effectuées, la conclusion est l’absence d’argument scientifique prouvant un lien direct entre la mort et le plaquage ventral. La nouvelle étude que Me Ntah a tenté d’ajouter au dossier par contre pourrait montrer ce lien, d’où l’acharnement de la défense à la décrédibiliser.
Ensuite, de dire que le caractère multifactoriel de la mort se compose aussi des cause intrinsèques soit la santé de la victime insinue comme on va le voir que Mike serait responsable de sa propre mort étant donné ses problèmes de santé.

Racisme systémique dans la police
Sous les mimiques agacées du président, Maître Ntah rappelle que la justice n’est “pas une bulle”. Il explique le racisme systémique dans la police, rappelle les morts aux USA et en Suisse. Ces dernières années dans les médias, on a pu entendre deux témoignages de policiers lausannois qui n’en pouvaient plus du racisme dans la police, et l’un d’eux a même quitté la profession pour ces raisons.
Enfin, Ntah utilise un très récent rapport sur la police de Minneapolis aux États-Unis qui conclu à un racisme systémique au sein de la police. Ce dernier se manifeste de deux façons : par le profilage racial et par l’usage disproportionné de la force. Me Ntah relève que la photo parue dans le cadre de l’émission Mise au Point sur laquelle un policier lève le pouce à côté d’un tag “RIP Mike” démontre la dimension systémique du problème au sein de la police vaudoise.

Conclusions
Alors que tous les témoins reconnaissent des cris de douleur, de souffrance, et d’agonie, les flics prétendent n’avoir entendu que des cris pour attirer l’attention, des cris de lutte, voir juste des sons. On ne peut décemment imaginer que cette souffrance n’aie pas été comprise et c’est là, dans cet inhumanité de ne pas avoir adapté leur comportement aux cris d’agonie de Mike, que réside la plus grande faute de ces brutes.
Dans sa dernière prise de parole, Me Ntah fait remarquer que cette déresponsabilisation est systématique, non seulement au sein de ce procès mais aussi dans bien d’autres plaidoiries de défenses de policiers auteurs de violences racistes. L’épisode que nous vivons est récurrent, vu et revu, partie prenante du cycle infernal d’un racisme systémique et institutionnel auquel il demande au président de mettre fin - ou au moins de ne pas y participer - en disant que cette fois on ne laissera pas faire, on ne laissera pas ce crime impuni.
Jamais un individu qui tente de prendre la fuite lors d’une arrestation ne mérite de se faire abattre.
Au même titre que les fragilités de santé d’un homme ne constitueront jamais un argument valable pour acquitter ceux qui ont mis fin à ses jours.

Stratégies de la défense

Vocabulaire scientifique et médical, la faute à la santé de la victime
La défense s’appuie sur la médicalisation de la violence en arguant que la mort est due au syndrome d’Excited Delirium. Ils tentent ainsi de mettre hors de cause l’immobilisation et l’asphyxie. Mais les résultats médicaux sont clairs : il n’y a pas de décompensation, pas d’agitation et pas de consommation de cocaïne. Quand bien même Mike avait présenté l’un de ces symptômes, l’argument selon lequel une intervention policière comporterait toujours un risque de décès est indéfendable : il s’agit en réalité de statuer sur la responsabilité des policiers. Les caractéristiques médicales de la victime ne peuvent avoir aucun poids proportionnellement à la violence des accusés.
Ainsi, puisque Mike a été tué alors qu’il ne représentait aucun danger, la défense s’acharne à trouver des raisons intrinsèques à la victime. Rappelons ici que lors de plusieurs cas notoires de violences policières, les victimes ont été tuées alors qu’elles étaient menottées ou immobilisées. La police et la justice essayent régulièrement de se disculper en prouvant que victime souffrait d’une maladie expliquant le décès. En suggérant que Mike avait une “particularité” au cœur, l’avocate Pelet incarne une fois encore cette tendance
Finalement, toujours selon Me Pelet, si Mike n’avait pas été mis en position ventrale, il aurait du recevoir une frappe de taser, technique qui a sois-disant remplacé la position du plaquage ventrale dans certains pays. L’avocate nous amène en réalité au sommet du paradoxe : comme le taser est dangereux pour les personnes ayant des problème de cœur, cette plaidoirie reconnaît de fait la causalité entre l’intervention et la mort de Mike. À travers ce qui ressemble à une opération politique, tous les moyens sont bons pour armer la police sans remettre en question la pratique du plaquage ventral. Mais dans son abîme, Pelet fini par nous montré où elle veut en venir : “les policiers ont évité de recourir a des moyen plus importants que leur mains nue”. Probablement sans s’en rendre compte, l’avocate se fait engloutir par l’absurdité du recours à cette phrase.

Criminalisation post-mortem
La plaidoirie de Me Favre, l’avocat d’un policier, commence part “il faut se rappeler qui était Mike”. La défense a beaucoup moins hésité ce lundi à salir le nom de la victime. Soit-disant parce que Bridget n’était pas présente aux plaidoiries. Mais en réalité, l’étau se resserre, et la défense a de moins en moins d’arguments à poser sur la table pour déjouer une réalité qui dérange.
L’un des avocats a donc tenté de retourner le tribunal en construisant le procès post-mortem de la victime. Tactique classique dans les affaires de violences policières : Lamin Fatty était un homme illégal en Suisse et Hervé Mandundu aurait tenté d’attaquer la police. Par dessus le marché, ils n’hésitent pas à remettre en question le rapport d’autopsie et les analyses sanguines qui indiquaient clairement l’absence de substance dans le sang au moment de sa mort. Mais la défense tient absolument à cette théorie ahurissante selon laquelle la cocaïne aurait “disparu de son corps après les tentatives de réanimation au CHUV”. Sur absolument aucune base, ils affirment même que Mike d’être un consommateur régulier, ce qui aurait augmenter les risques d’accident cardiovasculaire et donc été un facteur important dans sa mort. Mais qui juge-t-on ici ? Me Favre a même demandé aux juges de se mettre à la place des prévenus, notamment du premier policier, “seul, dans la nuit, avec une visibilité limitée, pour se rendre compte de la difficulté de l’intervention.”

La patate chaude
L’avocat de la famille l’a bien expliqué. Personne ici ne veut prendre la responsabilité de ce qu’il s’est passé. Le procureur, qui représente le Ministère Public, a énoncé plusieurs fois au Président : “si vous estimez que l’acte d’accusation n’était pas bien fait, si j’ai mal fait mon travail, c’était à vous de faire l’accusation. vous aviez tout le loisir de rajouter homicide par négligence”. Puis, le président dit que c’est en réalité la responsabilité des expert.e.s, qu’il faut se remettre au rapport d’autopsie pour pouvoir définir le chef d’accusation. Enfin les expert.e.s, elleux, se remettent à la littérature scientifique qui n’est pas développée à ce sujet là : quel intérêt pour la haute médecine de remettre en cause les tactiques policières, de faire des recherches à ce sujet là ? Les expert.e.s disent que c’est finalement au juge de trancher. Personne n’ose incriminer la police.

Le procès de la police

L’appel facebook à mobilisation en faveur de la police aura été un énorme flop. Mais quelle importance, puisque selon la défense et le procureur, ce procès "ne doit pas être celui de la police dans son ensemble, ni celui du racisme systémique, ni le procès des opérations antidrogue ou de la formation !".
Personne n’y croit. Surtout pas l’État-major, présent depuis le début pour (sur)veiller au bon déroulé du jugement. Entretenant une complicité évidente avec la défense, les commandants se faufilent dans la salle au même moment que les journalistes, pourtant appelés à entrer avant le public (les familles et soutiens). As-t-on déjà vu, dans le cadre d’un jugement pour homicide, les patrons des accusés prétendre à un statut particulier ?
De manière peu convaincante, la défense s’est tout-de-même épuisée à chercher de quoi légitimer la police dans son travail en mobilisant des éléments plus ou moins palpables. Mais c’était avant que l’avocat Jean-Emmanuel Rossel plonge la tête la première en lançant triomphalement : "je suis un soutien indéfectible de la police (...) ces 6 jeunes sont des héros à qui on ne peut rien reprocher, vive la police ! ". Lorsque l’on découvre que ce même avocat a volé au secours d’un gendarme accusé de chantage sexuel, il n’y a plus rien d’étonnant.
"Nous ne sommes pas aux États-Unis ! "celle-là aussi, on l’aura entendue chez la défense.
Mais la cascade finale de Rossel citant Martin Luther King vaut autant de badges suprémacistes et de photos compromettantes : " I have a dream que les policiers soient respectés, I have a dream qu’il n’y aie plus de deal à Lausanne, I have a dream que ces policiers soient acquittés, I have a dream qu’il n’y ait plus d’arrêt cardiaque inexpliqué".
Laissons simplement Martin Luther King lui rétorquer que « les tourbillons de la révolte continueront à ébranler les fondations de notre nation jusqu’à ce que le jour éclatant de la justice se lève à l’horizon. »

Restitution du mercredi 14 juin

1 ATMOSPHERE DE LA JOURNEE
2 LA VERSION DES POLICIERS
3 FAUTE A LA FORMATION
4 THIN BLUE LINE SWITZERLAND S’INVITE AU PROCES
5 DES REQUISITIONS A NOUVEAU REFUSEES, FLEMME ET COMPLAISANCE

1 ATMOSPHERE DE LA JOURNEE

Au départ, la journée d’hier - mercredi 14 juin - était prévue comme la dernière du procès, journée durant laquelle on aurait dû entendre le requisitoire du Ministère Public et les plaidoiries de la partie plaignante et de la défense. Cette dernière phase avant verdict est repoussée à lundi prochain (19 juin) à 08h30 au Tribunal de Montbenon et sera elle aussi publique.

Hier, nous avons réentendu les prévenus les uns après les autres. Il semblait manifeste qu’ils adaptaient leur version à ce qui était dit précédemment par leurs collègues. Ils étaient donc dans une zone de confort atteignant un des moments culminants de la théâtralité du procès : s’il est difficile d’imaginer dans quel domaine ces policiers peuvent bien exceller, ce n’est en tout cas pas dans le jeu d’acteur. Après que leur version des faits ait été sérieusement mise à mal par Me Ntah le premier jour, les prévenus recrachent ce qu’ils ont préparé et répété avec leur avocat.e.s pour servir une stratégie commune visant à se couvrir tout en évitant de pointer un responsable. Le récital a commencé par d’indécentes déclarations faussement adressées à la famille de Mike (mais au Président) de condoléances et d’empathies. S’ils ont poussé l’irrespect jusque-là, c’est surtout leur manière de dire qu’ils ont fait tout juste. Que la vérité soit donnée à la famille de Mike.

Une ambiance pesante plane devant ce mensonge mis en scène dans la salle d’audience. Une tension se fait sentir au fur et à mesure de la journée avec en trame de fond la révélation - sortie pendant la nuit - de la photo d’un flic arborant la veille le signe de “Thin Blue Line” à l’entrée de la salle d’audience.

Le récital a commencé par d’indécentes déclarations faussement adressées à la famille de Mike (mais au Président) de condoléances et d’empathies. S’ils ont poussé l’irrespect jusque-là, c’est surtout leur manière de dire qu’ils ont fait tout juste. Que la vérité soit donnée à la famille de Mike.

2 LA VERSION DES POLICIERS

Les questions posées par les avocat.e.s des policiers et les réponses de ces derniers contiennent énormément d’éléments similaires, démontrant ainsi une défense commune et hermétique : on se protège soit même tout en protégeant les autres. A l’issue de ces audiences, la stratégie est évidente ; les avocat.e.s de la défense (police) verrouillent toute possibilité d’accusation d’intentionnalité et les mêmes thèmes réapparaissent systématiquement. C’est entre autre la perception de Mike par les prévenus qui revient à travers les questions adressée aux policiers

Figure raciste de l’homme noir, surpuissant et dangereux
En effet, Mike est décrit tour à tour comme surpuissant, les prévenus n’ayant prétendument jamais connu une personne dotée d’autant de force et faisant preuve d’une telle opposition. La mise en scène raciste de la puissance et de la dangerosité des corps noir est omniprésente pour justifier la violence qui est faite à Mike.
Cette soi-disant « force d’opposition » incroyable vise à légitimer la violence et les moyens de contraintes utilisés. Pourtant, le lexique mobilisé trahit que Mike n’a montré aucune résistance active : les policiers évoquent sa « virulence » et le fait qu’il « gesticulait », termes flous qui illustrent l’absence d’éléments concrets prouvant que Mike a montré une opposition active. Chaque policier a d’ailleurs dû confirmer que Mike n’a porté aucun coup, qu’il ne les a pas poussés et ne s’est pas défendu.

une violence instantanément gratuite et totalement disproportionnée

Usant de termes spécifiques, ils se justifient en s’appuyant sur leur formation, parlent de « frappes contrôlées dans les parties génitales », de « transition » lorsqu’il s’agit de passer à une autre mesure, à savoir l’usage de spray au poivre et encore de « gradation des moyens mis en œuvre ». Avec ce jargon, ils veulent camoufler la disproportion meurtrière de leur intervention.
Cette version est minable. Il n’y a pas eu de gradation : le premier policier qui a interpellé Mike met en avant qu’il lui a d’abord « parlé en anglais » en présentant cela comme une stratégie de désescalade. Mais sa première action a été de frapper Mike dans les parties génitales à trois reprises puis de le sprayer au visage, ce qui atteste encore une fois d’une violence instantanément gratuite et totalement disproportionnée. D’une violence raciste.

Cris d’agonie ou d’opposition ?
Il est systématiquement demandé aux policiers s’ils ont entendus des cris de la part de Mike et s’ils sont capables de faire la différence entre des cris de douleurs et des cris de résistance. Tous répondent en bloc qu’il ne s’agissait pas de cris de détresse mais de cris d’opposition. L’un des policiers insinue carrément que les cris de Mike avaient pour but d’alerter les autres "dealers" pour qu’ils puissent s’échapper, voire alerter le public pour qu’il s’interpose. Un autre argument est avancé : une personne qui crie de douleur ne résiste pas, car si elle veut ne plus souffrir, la personne arrête de résister. Or selon eux, Mike résistait de manière « virulente », donc il ne souffrait pas. On est sans voix…

Obésité vs
L’autopsie considère Mike comme souffrant d’obésité, mais les policiers, eux, le décrivent sans cesse comme étant "balèze", "fort", "costaud", "massif", "barraqué", pour souligner ne pas avoir remarqué son surpoids. Ceci dans l’objectif de se disculper de l’obligation de prendre des précautions, car selon leur formation ; le surpoids est un facteur augmentant les risques d’asphyxie lors des techniques de contraintes enseignées à la police et serait donc un facteur aggravant pénalement.

Des flics en intervention mais aucun chef ?
Question planante durant tout le procès, quel policier était le responsable de cette intervention ?
Les jours précédents, on nous a tantôt dit que c’est le premier arrivant qui est responsable par défaut, tantôt dit qu’il n’y a pas de chef car un "leadership naturel émerge". En ce troisième jour, on apprend par l’audition d’un policier qu’il y’a bel et bien un "chef de patrouille" et qu’il est désigné ici dans cette salle d’audience, sans forcément clarifier si son autorité s’étendait à tous les agents présents. A force de dilution de responsabilités, la police vaudoise fini par perdre toute crédibilité dans la description de ses modes opérationnels.

On nous parle à nouveau de l’arrêt cardiaque de Mike qui aurait eu lieu sur place et qui cette fois aurait été annoncé à la radio. Ceci en contradiction totale avec le témoignage occulaire (jour 2) d’une personne assurant avoir vu Mike gisant au sol recouvert d’une couverture pendant que les urgentistes et policiers discutaient à distance.

Encore une fois, les versions sont lacunaires, abstraites et contradictoires dans le but de jeter un flou générale et de diluer les responsabilité individuelle sans réellement permettre à une version des faits crédible d’émerger à l’issu de la phase d’instruction.

3 FAUTE A LA FORMATION

Unanimement, les prévenus affirment que s’ils devaient se retrouver dans la même situation, ils agiraient exactement de la même façon, qu’ils ne voient pas ce qu’ils ont fait de faux, et surtout, qu’ils n’ont pas changé leur pratique, revenant donc à dire qu’ils tueraient Mike à nouveau. (Autant rappeler ici que la plupart d’entre eux travaillent toujours “sur le terrain”). Cette déclaration révèle encore la mauvaise foi de deux des grands axes argumentatifs :

La fameuse “exception qui confirme la règle”
Ils disent avoir utilisé un grand nombre de fois la technique du plaquage ventral et qu’elle n’aurait apparement jamais posé problème. Le fait que déjà à une reprise dans leur carrière elle ait conduit à la mort ne constituerait pas un motif valable pour la remettre en question. L’un déclare carrément qu’il a très souvent recouru à ce genre de méthodes contraignantes et douloureuses (clé de bras et de jambes par exemple) sur des personnes oppositionnelles et que dans la majorité des cas, ces personnes finissent par revenir à de “bons sentiments”. Le sous-entendu abominable est donc que c’est parce que Mike a crié de douleur qu’ils l’ont maintenu ainsi écrasé au sol jusqu’à que son coeur s’arrête.

La théorie et la pratique
Comme déjà entendu, les agents répètent qu’ils n’ont fait que ce qu’on leur a appris. On entend qu’il manquerait de la documentation à leur formation, qu’il n’ont pas systématiquement accès aux manuels et que, de toute façon, il y a la théorie mais qu’en pratique c’est différent. Les agents continuent à se cacher derriere un validation de la hiérarchie dans le non-respect des procédures opérationnelles, y compris quand ils maintiennent une personne menottée, mais soi-disant oppositionelle, en position ventrale.
Cette ligne de défense détourne l’attention sur le manque de compassion, voir le sadisme, des inculpés. Elle a toutefois le mérite de mettre en lumiere la responsabilité directe de le hierarchie policiere dans la mort de Mike.

L'un déclare carrément qu'il a très souvent recouru à ce genre de méthodes contraignantes et douloureuses (clé de bras et de jambes par exemple) sur des personnes oppositionnelles et que dans la majorité des cas, ces personnes finissent par revenir à de "bons sentiments".

4 THIN BLUE LINE SWITZERLAND S’INVITE AU PROCES

Thin Blue Line Switzerland s’est ’invité au procès suite à cet article paru dans le nuit du mardi au mercredi.
En fin de matinée, l’avocat de la famille de Mike soumet une nouvelle pièce. Il s’agit d’une photo d’un policier assurant la “sécurité” à l’entrée de la salle d’audience arborant un insigne “Thin Blue Line Switzerland” Pour rappel, cet insigne corporatiste est un symbole de ralliementà l’impunité des forces policières. Cet insigne est de plus en plus souvent arboré par les milieux d’extrême droite et suprémacistes blancs.

Durant la longue suspension d’audience qui a suivie, l’ambiance s’allourdit brusquement. Le procureur présente une mine grave et le commandant de police, présent dans l’audience, semble crispé.
Pendant les huis-clos successifs, l’avocate d’un des prévenus a, à plusieurs reprises, montré du doigt les soutiens de la famille de Mike pour les désigner à l’état major de la police. Une hostilité grandissante s’est faite ressentir à l’égard de personnes du public qui se sont faites intimider, filmer/prendre en photo et dévisager par les agents de police de piquet devant le tribunal et la salle d’audience.
Il aura fallu une heure au tribunal pour se rendre compte que ce même policier ayant arboré l’insigne “Thin blue line Switzerland” était d’ailleurs toujours en poste devant la porte de l’audience, mais sans le symbole en question.

Cet insigne corporatiste est un mouvement de ralliement à l'impunité des forces policières. Il est de plus en plus souvent arboré par les millieux d'extrême droite et suprémacistes blancs.

A l’avocat de la famille ayant demandé l’interdiction de la présence de cet insigne dans le cadre du procès, de retour dans la salle d’audience, le tribunal répond, après de longues négociations entre les parties, qu’il accède à cette demande tout en refusant de se prononcer sur cet insigne et en déclarant ne pas connaître ce symbole. L’information est transmise au dispositif de “sécurité” du procès. L’ensemble des parties signent alors cette déclaration.
Par son refus de prendre ouvertement parti contre l’usage scandaleux de ce badge, le ministère public et les juges participent encore une fois à tolérer un climat raciste voire à l’encourager.

Nous apprenons aujourd’hui, par voie de presse, que le commandement de la police vaudoise déclare “(...) ce symbole ne sera plus arboré par le personnel en uniforme”.

Nous rappelons que cet insgine est révélateur d’un racisme systématique profondément ancré au sein des forces de polices vaudoises. Cela démontre également : une forte volonté d’intimidation des plaignant.e.s, une défense d’une impunité policière inébranlable.e ainsi qu’un soutien indéfectible aux meurtriers. Arborer ce symbole dans le cadre du meurtre de Mike Ben Peter est une violente insulte à sa mémoire, à sa famille et à tous ses soutiens.

La couverture médiatique (24 heures) de cet “incident” met dos-à-dos nos revendications pour la justice et la vérité avec un militantisme policier. Nous rappelons que la “cause policière” n’existe pas. La police n’est jamais une victime.
Dans un contexte de multiplication des meurtres de personnes noires par les forces de police vaudoises ces dernières années, aucun des policiers impliqués n’a été condamné.
Nous nous battons contre toute idéologie raciste et violente au sein des forces de polices et contre sa légitimtation par les médias et l’état.

La police n'est jamais une victime.

Ces “dérives” ou “incidents” n’en sont pas, il s’agit d’une radicalisation des forces de polices acceptée et encouragée par l’état et la justice. Le corps de police devient de plus en plus un organe autonome au service de la défense des privilèges des domininants, du maintien des inégalités et de ses propres intérêts.

5 DES REQUISITIONS A NOUVEAU REFUSEES, FLEMME ET COMPLAISANCE

A l’issue de l’instruction et au regard de l’ensemble des incohérences et contradictions des témoignages des policiers, l’avocat de la famille de Mike réitère les réquisitions d’entrée de cause faites lundi au début du procès :
- Ré-audition des témoins occulaires (pour mettre en relief les contradictions des témoignages des flics)
- Ré-audition des experts des rapports d’autopsie (au regard de l’avancée de la littérature scientifique sur les enjeux et conséquences du plaquage ventral)
- Versement des dossiers personnels des 6 agents (Dans une enquête pour homicide, il est usage d’examiner en détail les antécédents des prévenus, quels qu’ils soient. Fait marquant, les éléments “positifs” de leurs états de service ont pourtant été partiallement sélectionnés et versés au dossier par leurs avocat.e.s.)
- Elargissement du spectre de l’acte d’accusation, en considérant “l’homicide par dol éventuel” (afin d’étudier l’ensemble des faits et surtout, le degré d’intentionnalité des flics. On rappelle ici que le “dol éventuel” consiste à dire que les flics savaient que leurs gestes pouvaient mener à la mort de Mike, et qu’ils en acceptaient l’issue fatale.)

Toutes ces demandes sont une nouvelle fois refusées en bloc, à l’issu d’une suspension d’audience de 5 min, par le ministère public comme par les juges. Par flemme et par complaisance, le tribunal ne souhaite pas accéder à ces réquisitions.

A l’issue de la phase d’instruction, notre sentiment dominant est celui d’un président usant de toutes les trucs et astuces aquis à l’issue d’une (trop ?) longue carrière pour empêcher que la lumière soit réellement faite sur les circonstances objectives de la mort de Mike. Le procureur, pour sa part, a brillé par sa candide partialité en faveur des forces de police. Le manque de préparation des avocats des flics et l’absurdité des déclarations des policiers jette toutefois un discrédit durable sur la police lausannoise. Seuls éléments émergeant de ce marasme judiciaire, la pertinence de la stratégie de Me Ntah et les bouleversantes déclarations de la famille de Mike permettent un maigre espoir sur l’issue du procès.

Nous sommes choqué.e.s du déroulement de ce procès et des propos tenus par les policiers. Politiquement, ceci démontre encore une fois le problème criant de l’impunité polcière et du racisme ambiant et manifeste dans les plus hautes sphères de l’Etat et de la justice.

Nous ne lâcherons jamais et continuerons à nous battre.

Le procès reprendra lundi 19 juin à 8h30 au Tribunal de Montbenon pour les plaidoieries des avocat.e.s et du ministère public. A l’heure actuelle, le verdict sera annoncé le jeudi 22 juin prochain.

Force à la famille et aux proches, JUSTICE FOR MIKE ! REST IN POWER AND PEACE !

Restitution du mardi 13 juin

1 Un nouveau témoin et une contreversion : Mike pourrait être mort dans la rue
2 L’audition de Dumoulin : une procédure à deux vitesses
3 L’audition de Dumoulin : mise en cause systémique de la police lausannoise

1 Un nouveau témoin et une contre-version : Mike serrait mort durant l’intervention

La matinée de ce deuxième jour s’est ouverte avec l’audition d’un nouveau témoin, qui n’avait encore jamais été entendu durant l’enquête. Depuis la fenêtre d’une chambre qu’il louait, ce témoin a vu une partie du plaquage ventral tant que Mike était conscient, mais aussi les minutes qui ont suivi l’arrêt cardiaque.
Dans ses dires, une version différente s’esquisse : une mort dans la rue et pas à l’hôpital, environ 12 heures plus tard. Mike aurait été laissé pour mort au sol plusieurs dizaines de minutes. Le témoin a déclaré avoir vu les ambulanciers et les flics discuter plusieurs minutes à côté du corps au sol, recouvert d’une couverture de sécurité. Toujours selon ce témoin, “l’ambulance est arrivée sans caractère d’urgence”. Le scénario d’une mort dans la rue avait déjà été amené par Me Ntah en prémice du procès. Cette version viendrait corroborer encore plus les risques de collusion entre les agents, déjà largement pointés hier. Elle ouvre aaussi la voie à une possible complicité du corps medical dans l’établissement de l’heure de décès.

Juridiquement, il est peu probable que cette version change l’acte d’accusation. Toutefois, ce court laps de temps entre l’intervention et la mort pourrait être un argument de plus pour plaider un lien de cause à effet. La question de la non-assistance à personne en danger n’a jamais été posée dans cette affaire.

Contestant toujours la version policière des faits, le témoin évoque de "puissants cris d'urgence", qu'il a entendu depuis un appartement à 80 mètres du lieu des faits en ayant la fenêtre fermée. Cette déclaration, confirme que l’image d’un homme agressif est un fantasme et que les agents n'ont simplement pas voulu entendre la souffrance de Mike.

Au-delà du fond de sa déclaration, le témoin évoque la tenue erratique de l’enquête. Alors qu’il souhaitait activement et spontanément témoigner, le Ministère Public ne lui a pas facilité l’accès à la procédure. Ce témoignage confirme par ailleurs l’inexistence d’enquête de voisinage sérieuse : le témoin étant à 80 m de la scène, il est indéniable qu’une multitude d’autres personnes vivant aux abords du lieu de l’arrestation ont pu observer les faits.

Les avocats de la Défense ont, sans surprise, essayé de le décrédibiliser en avançant que ses souvenirs étaient flous. Une mauvaise foi crasse, puisque c’est justement une enquête à nouveau sabotée qui l’a empêché de livrer son témoignage au moment où les souvenirs étaient encore frais.

Quand bien même cette version tend de manière évidente à être écartée du procès par le président, il reste important qu’on l’entende. Le témoin est catégorique sur ce qu’il a vu : alors qu’il avait assisté plus tôt au massage cardiaque, il n’y avait plus d’urgence autour de Mike lorsqu’il a regardé par la fenêtre la dernière fois. Quand bien même le décès se serait produit à l’hopital du CHUV, les secouristes et les policiers ont manifestement laissé Mike plusieurs minutes “à terre, sans s’en occuper”. Combien de temps précieux a-t-il été perdu à ce moment-là ?

2 L’audition de Dumoulin : une procédure à deux vitesses

Un deuxième témoin est ensuite appelé : Stéphane Dumoulin, chef opérationnel de la police municipale de Lausanne. Il s’agit presque d’une personnalité médiatique, tant la police lausannoise en a fait l’étendard de sa « guerre » contre le deal. Me Ntah rappelle l’article 162 selon lequel ne peuvent être entendus que les témoins de faits(qui ont vu la scène), les témoins de moralité (qui connaissent les prévenus) ou les experts. Dumoulin ne peut répondre à aucune de ces positions. Des avocat.e.s de la défense l’ont convoqué au procès, arguant qu’il pouvait amener un éclairage sur les positions hiérarchiques durant l’opération. me Ntah a retorqué trouver aberrant que le Président - allant encore une fois dans le sens de la Défense - accepte ce témoin alors que deux autres témoins oculaires lui avaient été refusés.

Me Ntah parvient toutefois à retourner l’interrogatoire du témoin, en dépit de la mauvaise foi des avocat.e.s de la défense, pour lui poser des questions visant à mettre en lumière les disfonctionnement systémiques au sein de la police lausanoise. On apprend alors que Dumoulin n’est pas le supérieur direct des six agents, mais qu’il l’est indirectement dans le cadre de l’opération Bermude, dans laquelle s’inscrit l’intervention qui a conduit à la mort de Mike [1].

Constatant que l’interogatoire de leur témoin est en train de se retourner contre eux, les avocat.e.s de la défense demandent que Me Ntah arrête de poser des questions. Selon leur point de vue, Ntah s’adresserait à Dumoulin comme s’il s’agissait d’un expert (sur le plan juridique). Pourtant, il était clair que la Défense posait elle aussi des questions à Dumoulin sur son expertise. Dans un premier temps, le juge inclinait plutôt en faveur de la défense. Cet incident a rendu très clair le deux-poids deux-mesures ambiant du procès. Il s’est finalement résolu, après un entretien privé entre le juge et l’ensemble des avocats. Me Ntah a pu continuer son interrogatoire, soulevant de nombreux points qui méritent une analyse politique à chaud.

3 L’audition de Dumoulin : mise en cause systémique de la police lausannoise

a) (Dis)fonctionnement hiérarchique

En fin de compte, la Défense n’a pas pu tirer grand-chose de son témoin : Dumoulin servait essentiellement à prouver qu’il n’y avait pas de flic hiérarchiquement responsable, mais cette position l’a peu à peu coincé dans un paradoxe. Ainsi, soit les flics mettent la charge sur un seul prévenu (à échelle humaine, ce qu’ils essaient vraisemblablement d’éviter), soit ils assument qu’il n’y a pas de hiérarchie durant une intervention, mais donnent alors une image négative de la police comme agissant à la manière du Far West. Pourtant, cette description semble structurellement surprenante dans un corps aussi hiérarchisé.

La tentative de Dumoulin pour esquiver le paradoxe n’a dupé personne tant sa sémantique managériale sonnait creux. Selon lui, dans une intervention, “il n’y a pas de règle sur qui va commander”, mais ce n’est pas non plus le désordre, car il est clair que “quelqu’un va naturellement prendre le leadership”. Un leadership naturel éclorerait selon les situations ? Plus vraisemblalement, la police connait les responsables hiérarchiques du meurtre de Mike, mais sa ligne de défense repose sur un mensonge par omission.

De plus, dans son témoignage, Dumoulin souligne que l’opération Bermude consiste en une opération de visibilisation et de dissuasion, consistant à poster des flics en vadrouille sur les six places concernées par le deal de rue à Lausanne. En plus de ces vadrouilles protocolées, des patrouilles peuvent aller improviser des opérations de type rabattage “quand elles ont un moment” avec des objectifs hebdomadaires (objectifs que Dumoulin établit d’ailleurs lui-même). Il insiste aussi sur le fait que les patrouilles n’auraient pas nécessairement l’habitude de travailler ensemble, qu’il n’y aurait pas de binômes fixes, ou du moins qu’ils changeraient souvent. Dumoulin cherche-t-il a décharger ses agents ? Comment comprendre cette stratégie ? Peut-on vraiment exclure l’hypothèse que certains des flics qui ont tué Mike avaient l’habitude d’opérer ensemble, surtout quand on sait que nombre de personnes victimes de violences policières dans la rue reconnaissent certaines équipes comme étant notoirement violentes ?

b) Absence de conséquences après le meurtre de Mike dans l’institution

Comme Dumoulin est le chef des opérations de police, Simon Ntah demande si des mesures ont été prises suite au décès de Mike et plusieurs éléments de sa réponse laisse apercevoir combien ce meurtre a été traité comme un accident anodin.

Dumoulin répond par la négative avec une surprenante candeur. Selon lui, prendre des mesures n’étaient pas de sa responsabilité, mais de celle du commandant de police qui a, à sa connaissance, “pris des mesures”. Quelles mesures demande Ntah ? “Les mesures ont été de ne prendre aucune mesure”, répond Dumoulin, sans faillir. Au motif de la présomption d’innocence, les policiers ont pu reprendre leur travail dans la rue dès le lendemain matin. L’argument est évidemment fallacieux. Dans une structure employeuse, il n’est pas nécessaire d’attendre une décision pénale pour procéder à une sanction administrative, surtout dans le cas d’agents de police ayant largement démontrés leur dangerosité. En outre, il reconnait qu’aucune forme de débriefing formel n’a eu lieu, ni même de suivi des agents (ni formation continue, ni suivi psychologique officiel). Il déclare en revanche leur avoir demandé à l’occasion s’ils allaient bien. On appréciera de la pertinence du suivi psychologique.

Certes, suspendre les agents auraient relevé de la reconnaissance de culpabilité et de la défaite politique, mais ce procès aura confirmé nos doutes : les agents ont tous repris le travail dès le lendemain, ils n'ont même pas été réaffectés à des postes moins exposés.

Le meurtre a-t-il fait évolué les pratiques de la police lausannoise sur la question du plaquage ventral ? Non, explique Dumoulin, si ce n’est que l’incident a été remonté à l’ISP, mais la tactique n’a pas changé. Il évoque des “sensibilisations” et conclu, non sans panache, “Ben, on en parle quoi”. Plus structurellement, il faut relever que Dumoulin, et plus généralement la police, tendent à se réfugier derrière l’autorité fédérale de l’ISP. Cela dit, ils omettent de rappeler que cet institut de formation n’a qu’un rôle consultatif et que la police a une autonomie cantonale sur ses pratiques. En d’autres termes, les consignes fédérales ne font pas autorité. Abolir l’usage du plaquage ventral ne dépendrait que de la volonté de l’état-major lausannois (dont il est pourtant le numéro 2).

Ensuite, lorsque l’un des avocats de la Défense lui demande si lors d’une interpellation les flics doivent "aller au boût du contrôle", il répond que « la police doit aller jusqu’au bout de la procédure et si la personne résiste, aller jusqu’au bout de l’action. » On sait ce que « jusqu’au bout » signifie dans le cas de Mike... Sans surprise, Dumoulin suit la ligne de défense globale de la police. Il continue à défendre implicitement la version selon laquelle Mike aurait été violent et que le plaquage a été une réponse proportionnée. Or, cet implicite reste infondé à l’heure actuelle, voire invalidé vu que tous les témoignages, même ceux des flics disent qu’il s’agissait d’une résistance passive. Le dispositif, le nombre abusif de policiers et les techniques dangereuses utilisées par ceux-ci ne respectent ni le principe de proportionnalité, ni leur manuel de l’ISP.

Enfin, Dumoulin s’exprime sur les opérations de "rabattage" telles que celle qui a mené à la mort de Mike. Les paradoxes de la version policière continuent d’apparaitre. Il affirme qu’il ne recommande pas ce genre d’intervention, et même qu’il ne préconise pas d’agir tel que les accusés racontent avoir agi depuis le depuis du procès. Mais, constatant l’énormité de ce qu’il est en train d’affirmer, en tant que chef opérationnel de la police de Lausanne, il tente de se rattraper en disant que les agents ont toutefois "l’autonomie de prendre ce genre d’initiative". A nouveau, la version policière est plus que contradictoire, dans l’exposition des faits comme dans le récit des modes d’opération en vigueur. Que cachent-ils exactement ?

Restitution du lundi 12 juin

trouvez la version traduite en anglais ici

La première journée du procès de Mike s’est divisée en quatre séquences :
1 Les réquisitions d’entrée de cause sur les preuves
2 Les réquisitions d’entrée de cause sur l’aggravation de l’acte d’accusation
3 L’interrogatoire des six policiers prévenus par le Ministère Public
4 L’interrogatoire des policiers par l’avocat

1 Les réquisitions d’entrée de cause sur les preuves

L’avocat de Mike demande que le procès prenne acte de plusieurs zones d’ombres dans l’enquête du Ministère Public. Il dénonce notamment le fait que ce dernier n’ait pas mené une enquête sérieuse.

L’avocat de Mike, Me Ntah, conteste l’enquête pour quantité de raisons :

  • les auditions des experts ont été bâclées par le Ministère Public (durant certaines auditions d’expert.e.s, les procureurs n’ont posé aucune question)
  • les auditions des témoins ont aussi été bâclées
  • la seule et unique enquête de voisinage menée par la police n’a pas été faite correctement. Elle n’a pas fait l’objet d’un rapport (donc aucune trace au dossier sur cette enquête de voisinage) et présentait de nombreux biais, comme le premier communiqué de la police qui faisait allusion au malaise d’un dealer supposant une mort par overdose.
  • après l’arrêt respiratoire, les policiers ont passé plus de quatre heures ensemble, induisant un haut risque de collusion, soit qu’ils se mettent d’accord sur une version commune et arrangeante.
  • Une étude sur le plaquage ventral est sortie après que les rapports des expert.e.s aient été rendus et Me Ntah demande qu’on réentende l’expert sur cette nouvelle étude. Cette étude démontre que le problème du plaquage ventral n’est pas l’asphyxie dont on trouve pas vraiment de traces sur mike mais l’acidose, excès de dioxide de carbone dans le sang, qui n’a pas été mesurée sur mike
  • les dossiers personnels des flics (tout leur passif d’intervention) n’ont jamais été versés au dossier, rendant impossible de savoir si d’autres personnes se sont plaintes de leur comportement par le passé. Dans une enquête pour homicide, il est pourtant d’usage d’aller fouiller les antécédents des prévenus, quels qu’ils soient.
  • Par ailleurs, Me Ntah pointe des violations de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et demande que le tribunal reconnaisse que l’un des policiers à perpétré des lésions corporelles simples sur Mike.
  • plus généralement et pour toutes ces raisons, l’enquête est en violation des Droits de l’Homme à plusieurs niveaux selon l’avocat de la famille

Face à ces manquements majeurs, l’avocat de Mike demande la réadministration de plusieurs preuves (réaudition de témoins, réaudition d’experts, ouverture des dossiers administratifs des agents).

Toutes ces demandes ont été refusées par les juges, qui n’avaient visiblement pas envie de se « compliquer la vie » en réorganisant par exemple des auditions. Pour la procédure judiciaire et pour un éventuel recours de la part de l’avocat de la famille, il est indispensable que ces réquisitions aient été posées lundi matin dès l’ouverture du procès.

2 Les réquisitions d’entrée de cause sur l’aggravation de l’acte d’accusation

L’avocat de Mike demande que l’accusation soit aggravée.
Il demande que les policiers ne soient pas jugés pour homicide par négligence, mais pour homicide par dol éventuel. La différence juridique entre la négligence et le dol éventuel tient dans la conscience des risques : une condamnation par dol éventuel reconnait que les flics savaient que leurs actions présentaient le risque d’entrainer la mort et s’accommodait de ce résultat.

Cette aggravation est elle aussi refusée par les juges en début de séance de l’après-midi.

La différence juridique entre la négligence et le dol éventuel tient dans la conscience des risques : une condamnation par dol éventuel reconnait que les flics savaient que leurs actions présentaient le risque d’entrainer la mort et s’accommodait de ce résultat.

3 L’interrogatoire des six policiers prévenus par le Ministère Public

Le procureur confronte les policiers sur les résultats de l’enquête.
Le procureur, à la charge de l’enquête et de l’accusation, n’a pourtant posé absolument aucune questions portant sur les faits et les versions contradictoires des prévenus. Il s’est limité à les interroger sur leur formation et leur connaissance des manuels de police. En réitérant sans cesse les mêmes questions et à chaque prévenu sur leur fréquence d’usage du plaquage ventral, le Ministère Public a joué le jeu de la banalisation de cette pratique notoirement dangereuse. Sa stratégie a été de présenter le plaquage ventral comme une somme d’actions anodines et non-incriminantes (immobilisation, mise sur le ventre, clé de bras et des jambes, etc.).

Le procureur se rongeait les ongles pendant les interventions de Me Ntah et rigolait à chaque fois qu’il était interrompu par le président. Il montrait une posture détendue pour ne pas dire affalée pendant les réquisitions d’entrée de causes qui remettait en cause son enquête.

À plusieurs reprises, l’avocat de Mike a souligné à quel point il avait le sentiment d’être seul contre la défense et le Ministère Public : les six avocats et un procureur silencieux. De mémoire de plusieurs juristes vaudois.es, aucun procès n’a jamais été mené par la partie plaignante dans une telle solitude, puisque l’avocat de Mike s’est retrouvé à devoir jouer seul le rôle de procureur.

Comme dans chaque affaire de violence policière, en l’absence d’organe d’enquête indépendant, on se demande dans quel camp sont les procureurs.

Outre ces considérations sur le Ministère Public, le comportement du président était pour le moins atypique. Même s’il est connu de longue date pour sa gestion particulière des audiences, il n’était pas virulent avec les flics comme il l’est souvent avec des prévenus. Force est de constater qu’il avait tendance à compléter les réponses des accusés et à minimiser les interventions de l’avocat de Mike. Il a répété à plusieurs reprises qu’il « était là pour savoir si c’était bien un homicide par négligence », montrant aucune volonté ni de requalifier le chef d’accusation ni de considérer l’intentionnalité certaine des policiers.

4 L’interrogatoire des policiers par l’avocat

L’avocat de Mike confronte les policiers sur les résultats de l’enquête.

Cet interrogatoire, long et conflictuel, a révélé de nombreux points clé de l’enquête.

a) Les versions des faits données par les six flics présentent de nombreuses contradictions empiriques, sur les violences préalables au plaquage ventral, sur la mise en place du plaquage ventral, sur la durée de l’intervention et particulièrement de l’immobilisation, sur l’interprétation des réactions de Mike et finalement sur la constatation de l’arrêt cardiaque. Sans surprise, selon les questions, certains prévenus se souviennent avec précision qu’ils n’exerçaient aucune pression sur les organes vitaux. Ils répétaient avec la même précision les endroits où chacun appuyait comme par exemple le triceps droit. En revanche, ils répondent qu’ils « ne se souviennent plus » d’informations essentielles. Aucun flic n’est capable de dire les agissements d’un autre flic pendant l’arrestation ou encore les durées de quoi que ce soit.

b) Il y a un paradoxe constituant dans la ligne de défense des prévenus. Ils affirment par moments qu’ils ont lu les manuels, pour affirmer par exemple qu’ils auraient agi exactement selon les principes de proportionnalité tels que définis dans le code de police. Et en même temps, confrontés à certains articles du Code de police, ils répondent qu’ils ne l’ont jamais lu durant leur formation.

Les agents reconnaissent qu’ils procèdent régulièrement à des « rabattages » de dealers (le lexique est celui de la chasse) dans des conditions chaotiques dont le degré d’improvisation trahit la brutalité et la déshumanisation.

c) Les policiers prévenus avaient un discours préparé en bloc et ont répété en boucle des éléments de langage préparé à l’avance :

  • Tout allait si vite
  • Il était oppositionnel
  • Je me souviens plus
  • Je me souviens exactement de ce que je tenais comme membre ou muscle sans savoir la durée ni ce que faisait mes collègues à 8 centimètres de moi.

d) L’audience révèle le degré de violence et de désorganisation des opérations. Les agents reconnaissent qu’ils procèdent régulièrement à des « rabattages » de dealers (le lexique est celui de la chasse) dans des conditions chaotiques dont le degré d’improvisation trahit la brutalité et la déshumanisation. De plus, aucune responsabilité hiérarchique ne semble pouvoir être établie. Aucun des flics n’a accepté de répondre à la question, pourtant simple, de la responsabilité : qui était l’officier en charge ? Impossible de savoir. Dans un vaste chaos de versions contradictoires, tous se protègent, multipliant les sorties absurdes.

e) Après la mort de Mike, aucun « débriefing » n’a été organisé au sein de la police, la hiérarchie n’a pris strictement aucune mesure, laissant à chaque flic le loisir de reprendre le travail le lendemain.

f) Quand a été évoquée la notion d’asphyxie positionnelle, les policiers ont mentionné d’éventuels risques de difficulté respiratoire mais n’ont jamais mentionné le risque de décès. Or Me Ntah a demandé ce que signifiait le D du DAP (décès par asphyxie positionnel) à un des policiers qui n’a pas su répondre. Il a été répété plusieurs fois que dans les manuels existe un encadré spécifiant que la personne, une fois menottée, doit être « immédiatement » assise ou disposée en position latérale.

... l’un des flics déclare se souvenir « que l’africain gesticulait »

g) Les avocat.e.s de la défense relèguent toute considération de racisme structurel dans la police au rang d’un procès d’intention adressé à la personne du policier. La question est systématiquement éludée. À titre d’exemple, lorsque l’avocat révèle la présence de photos et de propos racistes dans des groupes what’s app de policiers lausannois, la défense hurle au procès d’intention au motif qu’il n’existe aucune preuve que les six prévenus participent effectivement de ces groupes. Autre exemple, lorsque dans son audition, l’un des flics déclare se souvenir « que l’africain gesticulait », personne ne relève, sauf l’avocat de Mike. Autre exemple (ils ne manquent pas), le premier flic à intervenir, celui qui a déclenché l’arrestation, a insisté sur la force de Mike et son côté « impressionant ». Cette imagerie de l’homme noir comme effrayant et violent est structurelle, elle se retrouve dans quantité d’affaires de violences policières racistes.

ANNEXES

English versions

Discours

Discour pronnoncé lors de la grêve
retrouvez ici le discours de Kiboko prononcé lors de la Grève Féministe 2023

Les femmes des victimes de violences policières, pour la plupart des femmes racisées, portent une charge multiple. Elles doivent faire leur deuil dans des conditions tragiques. Elles sont tues et niées par un système judiciaire, médiatique et politique qui ne les entend pas, qui ne les accompagne pas. Elles se retrouvent isolées, doivent souvent prendre seules en charge leurs enfants, et mener une vie de lutte.

Discour du collectif Outrage lors de la manifestaion du 3 juin 2023
ici

Discour du collectif Justice4Nzoy lors de la manifestaion du 3 juin 2023

nous sommes une délégation de zurich et nous vous saluons au nom de l’alliance antiraciste justice4nzoy. nous vous souhaitons une manifestation forte !

notre alliance, justice4nzoy, s’occupe d’un cas de violence policière raciste qui s’est passé il y a un an et demi à morges. roger nzoy wilhelm a été abattu par la police le 30 août 2021 à morges lors d’un contrôle d’identité. depuis, ses proches se battent pour un traitement juridique de l’affaire. la police et le parquet sabotent ce combat autant que possible. ils minimisent, déforment, dissimulent. les proches doivent payer eux-mêmes les immenses frais de justice. c’est une stratégie connue : l’état mise sur le fait que les proches seront tôt ou tard à court d’argent et de nerfs.

mais nous ne nous laissons pas abattre ! nous continuons à nous battre, nous nous mettons en réseau, nous continuons à veiller à ce que la mort de nzoy reste connue du public.

dans le cas de nzoy, le racisme d’état se manifeste dans toute sa brutalité. ce racisme est systémique ! c’est un système d’oppression, un système d’exploitation.

cette manifestation montre cependant clairement qu’il y a toujours eu une résistance contre ce système. il est bon que nous nous réunissions ici pour exprimer cette résistance. nous nous réunissons ici pour crier aux nombreuses victimes du racisme institutionnel : vous n’êtes pas seuls !
nous rendons hommage à mike, nzoy, lamine, babacar, cedric, angelo, souheil, melanie, elisa, vanessa et à toutes les autres victimes du racisme meurtrier. nous nous tenons épaule contre épaule avec wilson, mohammed, ali et tous les autres qui ont survécu à la violence raciste.

luttons ensemble pour un monde où la violence raciste n’est plus possible ! luttons pour une société solidaire, sans exploitation ni oppression, sans racisme ni sexisme !

mike rest in power !
nzoy rest in power !
tout le monde deteste la police !
tous ensemle contre le racisme !

Documents joints

Notes

[1L’opération Bermude a été lancée dans le cadre de la plus générale opération STRADA, pour lutter contre le deal de rue et la mendicité en renforçant les effectifs et la présence policière dans la rue, ainsi qu’en organisant une vague d’arrestations à des endroits stratégiques du centre-ville

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