Les deux protestations qui ont eu lieu le jeudi 12 janvier, la première à midi à la place des Nations et l’autre le soir à Cornavin, partageaient une seule et même revendication : s’opposer à la venue de Recepp Tayyip Erdogan à Genève. Il est apparement nécessaire de rappeler qu’Erdogan, le président Turc, emprisonne en masse depuis plusieurs mois toute personne portant une voix d’opposition potentielle à son régime et que c’est pour assurer la sécurité de cette personne que l’État de Genève a mobilisé, sous le nom d’Opération Aphrodite, 300 policiers du GMO (Groupement latin de sécurité et de Maintien de l’Ordre). Si la répression en Turquie est un sujet d’actualité qui mérite d’être traité, nous nous concentrons ici sur la répression opérée par l’état suisse qui visait le maintien de la tranquillité des bras droits du dictateur. Cette répression, qui pour l’instant s’est déployée dans la rue, va assurément se poursuivre à l’avenir à travers la justice et des condamnations ou amendes. Le Groupe Anti-représsion Genève livre ici une première analyse de l’opération policière menée dans la nuit de jeudi.
Premières interventions de la police
La manifestation débute peu après 21h sur la rue de Montbrillant dans le quartier des Grottes. Le cortège se dirige vers la Gare en passant par le tunnel du passage des Alpes. Les premiers fourgons de police sont aperçus plus bas sur la rue des Alpes. Le cortège se poursuit sur la place Cornavin alors que des policiers en tenue anti-émeute se déploient de l’autre coté de la place et remontent la rue au niveau de l’UBS. Une seconde escouade de policiers anti-émeute sort alors de l’ombre à hauteur de l’ex-cinéma Pathé Rialto et charge la manifestation.
La police intervient de façon massive et violente : une partie de la manifestation se disloque, des personnes tombent au sol, se font matraquer et arrêter. Un important groupe d’au moins quarante personnes se met à courir par l’avenue du Temple et le quai du Seujet en direction du pont Sous-terre. Au vu de la violence gratuite et de la détermination des policiers d’arrêter les personnes présentes, la fuite était le seul moyen de tenter de protéger son intégrité physique.
Malheureusement, des fourgons de police sortent de partout et poursuivent les manifestantEs. Les escouades anti-émeutes procèdent alors à plusieurs charges sur le quai du Seujet et la passerelle du Seujet : l’opération policière prend dès lors une dimension de rafle. Une partie des personnes présentes sont plaquées au sol et certaines sont passées à tabac par la police, alors qu’iels étaient complètement neutralisées et sans défense. Les policiers anti-émeute leur assènent de nombreux coups de pied et de matraque au visage, sur les côtes, le dos et les jambes. En bonus, certainEs personnes immobilisées au sol ont même le droit à un coup de spray au poivre à quelques centimètres des yeux. Un habitant du Seujet a visiblement filmé l’une des scènes d’arrestation depuis son balcon. Les policiers ont remarqué qu’ils étaient filmés et le chef présumé de cette escouade a alors ordonné à ses hommes d’arrêter de frapper les manifestantEs appréhendéEs. On ne le dira jamais assez, si vous assistez à des scène d’abus ou de violence, filmer la police peut non seulement les décourager mais aussi être utilisé comme une preuve.
Les interpellations
Par ailleurs, deux autres personnes qui marchaient dans la rue se sont faites agresser au passage des policiers anti-émeute. La première a subi un véritable passage à tabac et a été gazée dans une ruelle du quartier de Saint-Jean. Les policiers l’ont matraquée avec un plaisir non dissimulé et elle ne doit son salut qu’à un quidam au volant de sa voiture, qui a allumé ses plein-phares pour observer ce qu’il se passait. Les policiers anti-émeute ont alors déguerpis sans demander leur reste (merci à cette personne pour son geste !). La seconde personne marchait seule dans la rue, 3 policiers anti-émeute lui ont sauté dessus, l’ont matraqué et l’ont entreposée avec le reste des personnes arrêtées sur le quai du Seujet.
D’une manière générale, les interpellations individuelles ont été violentes. Les policiers ont regroupé les personnes dans différentes zones de rétention tout au long du quai du Seujet. Ils ont abusé de leur pouvoir a de nombreuses reprises, notamment en ordonnant à des gens de se tenir mains sur la tête sous la pluie pendant 30 minutes, durée moyenne de l’attente des différentEs interpelléEs. A aucun moment, dès la première charge, il n’était envisageable de quitter la manifestation sans se mettre en danger soi-même. Rester groupé a permis d’éviter que la violence des policiers puisse s’abattre sur tout le monde. En effet, même après avoir été nassé, le groupe d’au moins 20 personnes a pu refuser les injonctions aberrantes des policiers (e.g. se mettre à genoux sous la pluie). La force collective, même dans ces moments ou le rapport de force est clairement inégalitaire, est un outil indéniable pour faire face à l’excès policier.
Au commissariat
Une fois amenéEs à l’Hôtel de police de la Gravière, la longue attente commence : pour la plupart dans le parking, les mains attachées derrière le dos jusqu’à 3 heures pour certainEs. Les autres personnes arrêtées étaient gardées dans des cellules collectives dans le sous-sol de l’Hôtel de police. Les policiers ont refusé de desserrer les menottes de celleux qui ont fait savoir a plusieurs reprises ne plus sentir leurs mains. Certaines personnes ont même dû aller aux toilettes sans que leurs menottes soit enlevées, les policiers ont donc choisi de déshabiller eux mêmes les personnes afin qu’elles puissent faire leur besoins. Le simple fait de pouvoir s’essuyer, et donc d’avoir accès a une hygiène de base a été refusé. Les policiers ont également profité de la situation pour prendre de nombreux clichés avec leur téléphones personnels des personnes menottées dans le parking, mais aussi sous d’anciennes banderoles saisies lors des manifestations de ces dernières années à Genève, donnant à toute cette scène une ambiance guerrière de “trophée de chasse”. Dans de nombreux cas, des flics ont lamentablement tenté d’extorquer des informations sur la manifestation en posant des questions aux arrêtéEs pendant le transfert d’une zone à l’autre du commissariat. Leurs espoirs ont été déçus : aucune information ne leur à été donnée. Se taire face à la police est un droit et un moyen de se protéger soi-même et les autres !
Malgré les intimidations et le comportement de la police, la solidarité entre les 40 personnes interpellées a contribué à rendre ces heures moins pénibles qu’elles n’auraient pu l’être (slogans, chants, humour).
Fidèles à leur réputation, les agents de l’Etat ont fait une démonstration de violence dans les propos intolérables utilisés durant les contrôles d’identités :
- “Arrête de te plaindre, si j’avais été seul avec toi, je t’aurais déja fracassé le crâne, alors arrête de te plaindre !”
- “Elle mérite une gifle cette salope”
- “Sale gaucho”
- “fils de pute”
- “sale trainée”
- “sale pute”
- “j’aimerais te mettre une balle dans la tête là,BAM, fini, on en aurait terminé avec toi sale pute !”
- “quoi qu’est ce que tu regarde ?! baisse la tête sale chienne ! j’ai dit baisse la tête !”
- “la prochaine fois que tu lève le regard tu vas le regretter”
En plus de ça, il y avait le lot habituel de remarques sexistes, racistes et homophobes.
A l’intérieur du commissariat une personne a été frappée une nouvelle fois en présence d’une dizaine de policiers. De nombreux contrôles d’identités ont dépassé la durée légale de trois heures, alors même qu’aucune information n’a été fournie aux manifestantEs arrêtéEs sur leur statut (simple interpellation/contrôle d’identité ou arrestation-garde-à-vue).
RelâchéEs, fichéEs et blesséEs
Les personnes arrêtées ont été relâchées de façon aléatoire, soit directement devant le commissariat ou éparpillé à travers la ville. Une fois relâchéEs, les manifestantEs blesséEs se sont renduEs aux urgences de l’hôpital cantonal par leurs propres moyens et y passeront le reste de la nuit. Au final, des ecchymoses sur le visage et sur le corps, attestées par certificat médical.
Plus qu’un simple maintien de l’ordre, pour lequel il aurait suffit de disperser la foule (ce qui était le cas après la première charge au niveau du bd James Fazy), cette opération semble avoir un autre but, la neutralisation et l’arrestation de 40 personnes a permis un travail de fichage d’envergure. De plus, la manière dont s’est déroulée cette opération, ainsi que la présence de policiers de tous les cantons de suisse romandes, laisse penser que tout ceci a également servi d’entraînement conjoint en mise en situation.
Le mythe de la mauvaisE manifestantE ou comment décrédibiliser une action
Parallèlement à cette répression directe, la police tient un discours justifiant son intervention musclée. En déclarant que « Ce rassemblement, par le profil des participants, n’avait toutefois rien à voir avec celui qui a eu lieu plus tôt dans la journée devant les Nations Unies », alors même que Maudet a tenté d’interdire le rassemblement de midi, la police ment effrontément ; dire que les personnes ayant participé à la manifestation sont sans rapport avec le rassemblement autorisé de midi devant la place des nations est une imposture grossière. Le communiqué déjà paru sur le site renverse.co montre bien le lien indissociable entre les deux événements, seul changeait le moyen d’expression.
Opposer ces deux événements procède d’une stratégie usée qui consiste à décrédibiliser un événement pour crédibiliser l’autre en fabricant deux catégories de manifestantEs, les bonnEs et les mauvaisEs. Ce procédé de différenciation est d’autant plus flagrant dans ce cas qu’il fait référence aux mêmes personnes.
Si vous avez du matériel audio-visuel ou que vous recevez des amendes ou convocations en lien avec les événements du 12 janvier, nous vous invitons à nous contacter : antirep-ge@riseup.net