Migrations - Frontières Stop Bunkers

[Genève] Lettre ouverte du collectif No Bunkers à un de ses détracteurs

Nous reproduisons la lettre ouverte du Collectif d’occupuation du Grütli – No Bunkers À Alexandre de Senarclens, président du PLR genevois suite à son billet d’opinion paru dans l’édition du 25 juin 2015 de Le Temps.

Genève |

Nous avons jugé que l’opinion exprimée par Alexandre de Senarclens, président du PLR genevois, dans l’édition du Temps du 25 juin 2015 méritait une réponse.

M. de Senarclens, vous accusez en premier lieu le mouvement No Bunkers, qu’il confond avec le collectif Stop Bunkers, de discréditer « toutes celles et ceux qui militent pour une politique d’asile responsable et humaine ». Nous sommes soulagés que ce discrédit ne puisse vous faire du tort, en constatant que la question des migrant-e-s et de leur accueil n’a aucune place dans les cinq points de votre programme. Sans nous permettre, de notre côté, de nous exprimer à la place des autres, nous tenons à vous rappeler simplement qu’entre autres la Coordination asile et la Ligue suisse des Droits de l’Homme ont signé le Manifeste No Bunkers, que le Centre social protestant et Caritas Genève soutiennent ses revendications en plus d’une aide matérielle. D’après vous, ils seraient donc parmis « les agitateurs habituels de l’extrême gauche genevoise » qui échauffent une « poignée de requérants d’asile » ; de même que les nombreux partis politiques associations et syndicats qui ont également soutenu le collectif et son Manifeste.

À nous de résumer l’affaire. Les cris d’alerte lancés depuis 6 ans par les associations qui travaillent au quotidien sur les questions de l’asile et qui « dénoncent un dispositif d’hébergement cantonal des demandeurs d’asile qui n’a cessé de se densifier, jusqu’à arriver à saturation », n’ont pas reçu l’attention des autorités, pas plus que le rapport de la Commission nationale de prévention de la torture paru le 28 août 2014 qui relevait que « ces installations militaires ne sont adaptées qu’à des séjours de courte durée, de trois semaines au maximum ». Stop Bunkers, qui rappelons-le, est un collectif de réfugiés habitant dans les abris de la protection civile à Genève, écrivait, le 23 janvier dernier, une lettre à l’Hospice général signée par 117 requérant d’asile qui dénonçaient les conditions de vie dans ces abris. Il aura fallu l’occupation de la Maison des Arts du Grütli pour qu’il soit enfin dit clairement par les autorités et les responsables politiques que, pour reprendre vos propres mots, « personne ne pense que l’hébergement en abri PC puisse être une solution durable ». Vous devez reconnaître ce mérite aux actions du collectif d’occupation et au soutien populaire massif dont elles ont bénéficé.

Revenons à présent sur certaines de vos affirmations. Premièrement, que les migrant-e-s impliqué-e-s dans cette lutte pour le respect de leur dignité d’être humain sont « une poignée de requérants d’asile déboutés ». Cette première assertion témoigne de votre méconnaissance de la situation, tant il est vrai que ces 10 derniers jours, une solidarité sans mesure s’est exprimée entre les migrant-e-s, quel que soit l’état de leurs procédures d’asile, tordant le cou aux images d’une guerre ouverte et inévitable entre les communautés, que certains se plaisent souvent à imaginer et entretenir. Il est par ailleurs complètement erroné d’affirmer que les requérants d’asile du Collectif d’occupation du Grütli sont tous des personnes déboutées. Quant aux autres membres du Collectif, que vous qualifiez d’« agitateurs habituels de l’extrême gauche genevoise », ils ont mis à profit leurs contacts, leurs compétences et leur matériel pour nourrir plusieurs centaines de personnes matin, midi et soir depuis maintenant 10 jours, et permettre, dans les conditions les moins mauvaises, l’hébergement au Grütli. En réduisant leur action à une instrumentalisation visant à « échauffer » les migrant-e-s en lutte, vous déniez par là-même à ces derniers la capacité et la volonté de lutter pour leur dignité et faites preuve d’une seconde méconnaissance coupable de la situation sur place. Des migrant-e-s ont relevé la tête, ont dit non et ont trouvé des personnes solidaires pour lutter avec eux : c’est aussi simple et courageux que cela.

Deuxièmement, en même temps que vous reconnaissez l’inhumanité du logement dans les abris, vous affirmez que le refus des personnes concernées de leur transfert dans les abris « dessert et discrédite toutes celles et ceux qui militent pour une politique d’asile responsable et humaine ». Sans revenir sur la contradiction intrinsèque à vos propos, vous sous-entendez que l’hébergement dans les bunkers devrait être accepté de manière temporaire par les requérants d’asile. Il y a bientôt deux semaines, les transferts sous contrainte commençaient, cumulés à une interdiction pour les personnes concernées de revenir dans les foyers sous peine d’emprisonnement, alors qu’elles y vivaient pour certaines depuis plusieurs années. Personne, à l’heure actuelle, ne peut prendre d’engagement quant à la durée de cette « solution temporaire ». M. Girod, directeur de l’Hospice général, a lui-même confirmé qu’il était inévitable qu’elle dépasse les quelques semaines, malgré les conséquences dramatiques pour la santé physique et psychique qu’un habitat prolongé dans ces structures peut engendrer. On demande à ces personnes de retourner dans ces bunkers, dans lesquels ils ont déjà souvent passé plusieurs mois, pour y vivre une nouvelle période dont personne n’arrive à définir la durée. Alors oui, cette « solution » est indigne, tout comme il est indigne de dénigrer qui que ce soit ayant eu le courage de la refuser.

Il n’y a eu à ce jour qu’une proposition concrète, émanant du Conseil administratif de la Ville de Genève, pour le relogement du Collectif d’occupation du Grütli. C’était celle d’un centre sportif, vers laquelle un déménagement était prévu dimanche 21 juin. Cette proposition a été retirée suite au refus des autorités cantonales et de l’Hospice général de prendre en charge le bâtiment. Quant au local un temps proposé dans le quartier du Seujet, il ne constituait pas une proposition acceptable. Tout d’abord parce qu’elle ne devait durer que 10 jours, sans aucune garantie pour la suite. Les personnes impliquées ne savaient que trop le risque d’être contraintes de retourner dans les bunkers à l’issue de cette période. Ne vous en déplaise, M. de Senarclens, il est vrai que l’argument des contrôles de police dans le quartier fut également déterminant. Les migrants du Collectif, pour la plupart originaires d’Afrique, évitent cette zone de la ville où le risque d’être arrêtés au cours d’une des nombreuses interventions policières hebdomadaires est très élevé. En tirer la conclusion qu’elles auraient de fait quelque chose à se reprocher est tout simplement injurieux. Par ailleurs les intimidations policières que subissent les migrants impliqués dans cette lutte et que nous dénoncions dans notre Communiqué du 23 juin, ne peuvent qu’augmenter la défiance de ces derniers envers les forces de l’ordre.

Revenons maintenant sur ce « mythe tenace de l’afflux « massif » de réfugié », si facile à répéter, surtout lorsqu’il n’est étayé d’aucun chiffre. L’absence coupable d’anticipation de la part des autorités, sur laquelle nous revenions précédemment, est une réalité bien plus tangible que celle d’une « situation de crise », quand on sait que la différence du nombre de demandes d’asile entre janvier et mai 2014 et la même période en 2015 n’est que de 24. Utiliser aujourd’hui « les centaines de milliers de personnes [qui] fuient les horreurs de Daech au Maghreb ou au Moyen-Orient » comme argument contre les revendications du Collectif No Bunkers est également malvenu. Doit-on vous rappeler que le conflit en Syrie dure depuis 2011, sans parler évidemment des guerres en Irak et en Afghanistan, et que la Suisse est seule responsable de son réveil tardif face à cette situation d’horreur, dont les conséquences ne doivent pas peser sur les migrant-e-s déjà sur son territoire et aux parcours très souvent terribles.

Nous n’avons pas eu la chance ni de vous voir au Grütli pour comprendre la situation, ni de vous avoir à la table des négociations. L’absence de proposition de notre part est une accusation que vous devriez réserver aux autorités, qui sont responsables des personnes présentes sur leur territoire. Nous avons quant à nous multiplié les efforts pour permettre une fin heureuse à cette situation. En attendant, n’hésitez pas à faire valoir les vôtres…

Finalement, si le millier de personnes présentes le 18 avril en solidarité avec les migrant-e-s en lutte, les centaines de personnes mobilisées contre le renvoi d’Ayop, les cinq manifestations de soutien organisée ces dix derniers jours et qui ont rassemblé des milliers de personnes, les centaines de signatures soutenant le Manifeste et la solidarité sans borne manifestée sur place ou au travers de dons, les 1000 places d’hébergement pour les requérant-e-s d’asile annoncées à moyen terme par M. Poggia, vous amènent à la conclusion que « le seul succès aura été d’avoir réuni toute la population genevoise contre lui », nous ne pouvons que constater l’abîme immense qui sépare vos interprétations de l’action de notre collectif.

S’il est encore besoin, M. de Senarclens, de vous convaincre de la réalité de l’hébergement dans les abris PCi, ou des parcours des migrant-e-s que les autorités désirent y transférer, la lecture de ces témoignages pourrait vous éclairer. Quant aux « irresponsables », comme vous avez pu le constater, ils ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

Cordiales salutations

No Bunkers – Collectif d’occupation du Grütli

Notes

DANS LA MÊME THÉMATIQUE

À L'ACTUALITÉ

Publiez !

Comment publier sur Renversé?

Renversé est ouvert à la publication. La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site. Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions, n’hésitez pas à nous le faire savoir
par e-mail: contact@renverse.co