Lorsque elles survivent à la traversée du désert et à tous ses dangers, lorsqu’elles ne meurent pas noyées en Méditerranée, lorsque qu’elles parviennent à échapper au contrôle militarisé des frontières de l’Union européenne,* lorsqu’elles atteignent enfin le territoire suisse , les personnes en exil se retrouvent confrontées à l’institution de la défiance, le SEM (Service d’État aux migrations), qui va chercher par tous les moyens à nier les motifs qui pourraient leur valoir un accueil en Suisse.
Et encore ! Nombre de ces personnes ne seront même pas entendues, en vertu des accords de Dublin, puisque qu’elles ont eu la malchance de devoir laisser « leurs empreintes » dans un pays de l’Union européenne parcouru avant la Suisse.
Depuis plusieurs années, la communauté érythréenne représente une partie importante des demandeurs et demandeuses d’asile en Suisse. S’en débarrasser est une des principales obsessions de la politique migratoire de la Confédération. Déjà en 2012, la révision de la loi visait directement les réfugié.e.s érythréens en excluant la désertion comme motif permettant d’accéder à l’asile.
Après 11 ans d’interruption, la DDC (Direction du développement et de la coopération) a décidé de reprendre ses activités de coopération avec le régime érythréen, notamment à travers une association dont le président, Toni Locher, est à la fois consul honoraire d’Érythrée en Suisse et ami du président érythréen au pouvoir depuis 1993, Isaias Afwerki. Ce rapprochement se fait sous pression du parlement, avec comme exigence d’« endiguer le flux migratoire » en provenance de ce pays. La DDC projette en Érythrée un centre de formation professionnelle incitant les jeunes Érythréen-ne-s à travailler sur place plutôt que d’émigrer… alors que la plupart d’entre elles/eux fuient justement le travail forcé ?! Une fois encore, nous observons le développement du lien nauséabond entre une pseudo « aide au développement » et une gestion externalisée des frontières.
Aujourd’hui, la Suisse est le premier Etat européen à considérer comme exigible des Érythréenne-s en exil qu’elles/ils retournent dans leur pays d’origine. Alors même que de multiples rapports onusiens et des ONG comme Amnesty International décrivent le pays comme une véritable prison à ciel ouvert. Un Etat où le service militaire est non seulement à durée indéterminée mais encore synonyme d’esclavage. Un Etat que près d’un quart de sa population a fui.
Un Etat qui opprime ses citoyen-ne-s non seulement à l’intérieur de ses frontières mais également dans la diaspora, à travers un système d’intimidations et de menaces. Lorsque la police fédérale a déposé plainte contre un présumé racket organisé par les autorités érythréennes sur sa diaspora en Suisse, le Ministère public de la Confédération a classé l’affaire. La diplomatie serait-elle déjà passée par là ?
Les autorités suisses poursuivent sciemment leurs démarches auprès de cette autocratie, afin de trouver un accord qui leur permette d’organiser un jour des vols de renvoi et, entre temps, de discriminer et de précariser toute une partie de la population en lui déniant ses droits. En effet, si dans un passé récent, de nombreux Érythréen-ne-s étaient reconnu-e-s comme réfugié-e-s et obtenaient un permis B, aujourd’hui, au « mieux », elles/ils obtiennent des permis provisoires qui sont de véritables obstacles à l’intégration (permis F), au pire, leur demande d’asile est rejetée et elles se retrouvent alors soumises à une précarité totale (aide d’urgence) et à la merci de la machine répressive que l’État réserve aux requérant-e-s d’asile débouté-e-s.
Ce type de démarches de normalisation des relations entre la Suisse et de nombreux pays d’origine des personnes en exil, à travers tractations politiques, protection d’intérêts économiques et chantage à l’« aide au développement », est une pratique fréquente qui permet ensuite aux autorités helvétiques de décrédibiliser collectivement la parole des ressortissant-e-s fuyant des pays devenus « sûrs » à leurs yeux. Cela ne ressemble-t-il pas à l’infâme « trafic d’êtres humains » dont nous parlent régulièrement les politiciens et les médias au sujet d’une soi-disant « crise migratoire » ?
Face à ces sombres manoeuvres des autorités suisses visant une fois de plus à empêcher des personnes de vivre sur le territoire qui leur semble le plus apte à leur garantir sécurité et liberté, nous poursuivrons la lutte pour la liberté de mouvement et d’établissement pour toutes et tous !
Rejoignons les Érythréen-ne-s en lutte pour un rassemblement devant le Palais des Nations ce vendredi 10 novembre à midi.
Le collectif Sans retour, 7 novembre 2017
*Frontex (ancienne agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelles aux frontières extérieures, aujourd’hui agence européenne des garde-frontière et de garde côtes), à laquelle la Suisse participe activement, comme tout membre des accords de Schengen.
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Switzerland and Eritreans : denial, rejection and impoverishment
If people in exile survive the desert crossing and all its dangers, if they don’t drown in the Mediterranean, if they manage to evade the militarised border control of the European Union,* when they finally arrive here, they find themselves confronted with the Swiss institution of mistrust, the SEM (State Secretariat for Migration – Secrétariat d’État aux migrations), which will make every possible effort to deny the motives that could entitle them to protection in Switzerland.
Many of these people’s cases will not even be heard, according to the Dublin agreements, because they were unlucky enough to leave their fingerprints in an EU country they passed through before reaching Switzerland.
For the past several years, the Eritrean community has represented a significant proportion of the asylum seekers in Switzerland. Ridding itself of them is one of the principal obsessions of the Confederation’s immigration policy. Already in 2012, the revision of asylum law directly targeted Eritrean refugees by excluding desertion as a motive permitting access to asylum.
After an 11-year interruption, the DDC (Agency for Development and Cooperation – Direction du développement et de la coopération) has decided to resume its cooperation with the Eritrean regime, notably through an association whose president, Toni Locher, is both the honorary consul of Eritrea in Switzerland and a close friend of Isaias Afwerki, the Eritrean president in power since 1993. This reconciliation is taking place under pressure from the parliament, which is demanding a halt to the “influx of immigrants” from Eritrea. The DDC plans to establish a professional training centre in Eritrea that would incite young people to work in their own country rather than emigrating...although most of them are fleeing precisely because of forced labour ?! Once more, we see the emergence of the nauseating link between pseudo-“development assistance” and externalisation of border management.
At present, Switzerland is the only European state to consider it possible to require (or to require) Eritreans in exile to return to their country of origin...even though multiple reports from the UN and from NGOs like Amnesty International describe the country as a veritable open-air prison. A state where military service is not only of indefinite duration, but a synonym for slavery. A state that nearly a quarter of its population has fled.
A state that oppresses its citizens not only within its borders, but in the diaspora as well, through a system of threats and intimidation. When the (Swiss) Federal Police filed a complaint concerning alleged extortion by the Eritrean authorities targeting the Eritrean diaspora in Switzerland, the Swiss office of the Attorney General (Ministère public de la Confédération) dismissed the case. Might diplomacy have gone that way before ?
The Swiss authorities are knowingly continuing their proceedings with this autocracy, in order to reach an accord that would permit them to organise deportation flights someday – and meanwhile to discriminate against, destabilise, and impoverish an entire segment of the population by denying them their rights. Indeed, if in the recent past many Eritreans were recognised as refugees and obtained B permits, today, at “best,” they obtain provisional permits that are true obstacles to integration (F permits) ; at worst, their asylum requests are denied and they find themselves reduced to absolute precarity (the regime of “emergency aid” or “aide d’urgence”) and at the mercy of the repressive mechanisms the state reserves for failed asylum seekers.
This kind of normalisation of relations between Switzerland and many countries of origin of people in exile, through political wrangling, protection of economic interests, and blackmail through “development assistance,” is a frequent practice that subsequently permits the Swiss authorities to (collectively) undermine the credibility of people fleeing countries that have become “safe” from their point of view. Is this practice not similar to the infamous “human trafficking” so regularly described by politicians and the media in the context of the so-called “migratory crisis” ?
Faced with these obscure machinations of the Swiss authorities, aiming yet again at preventing people from living in the territory they consider best able to guarantee their security and freedom, we continue our struggle for freedom of movement and freedom of establishment for all people !
Join us for a gathering in front of the Palais des Nations this Friday 10 November at noon.
Collectif Sans Retour, 6 November 2017
*Frontex (formerly European Agency for the Management of Operational Cooperation at the External Borders ; now European Border and Coast Guard Agency), in which Switzerland participates actively, as do all signatories of the Schengen accords.