Répression - Enfermement

Crimes & Peines, résumé (3/4)

Mercredi 29 septembre aura lieu la présentation du dernier livre de Gwenola Ricordeau, “Crimes & Peines. Penser l’abolitionnisme pénal”. Résumé du troisième chapitre du livre.

Pour lire la présentation générale du livre et le résumé du 1er chapitre, c’est par ici que ça se passe.

Pour lire le résumé du 2e chapitre, c’est plutôt par ici.

Le troisième texte du livre s’intitule Deux types de victimes : répondre à leurs besoins. Il a été écrit par Ruth Morris en 1998. Dans ce texte, Morris relève que toutes les victimes éprouvent 5 besoins, qui sont largement insatisfaits ; et qu’il existe deux types de victimes, que le système pénal ne reconnait pas.

Ruth Morris
Ruth Morris (1933-2001) est une quaker [1] et autrice abolitionniste reconnue. Elle dénonce des dysfonctionnement majeur du système pénal : sa vision du crime, son caractère rétributif [2], son inégalité vis-à-vis de la “criminalité en col blanc”. Surtout, elle dénonce le fait que bien que la justice pénale pose souvent les questions “qui est l’auteurice du crime ?” et “comment le.la punir ?”, elle oublie toujours les deux suivantes : “qui est-ce qui souffre” et “comment la victime peut-elle guérir ?”.

Bien que proche des positions de la justice restaurative, Morris n’en fait pas moins une critique aiguisée. La justice restaurative considère le crime comme une atteinte à une personne et à des liens sociaux. Son but est donc de “restaurer” ces liens, et que la victime obtienne réparation. Or, ça implique qu’il est possible de “restaurer” ou “réparer” ce qui a été détruit, ce qui reste à prouver. Aussi, la justice restaurative ne considère pas les dynamiques structurelles de la société dans son analyse (patriarcat, sexisme, classisme, racisme, (néo)colonialisme, capitalisme, etc.). Enfin, la justice restaurative est malheureusement très compatible avec le système pénal actuel, en témoignent les divers Etats où celle-ci a été intégrée dans la justice pénale mais où rien n’a changé.

Morris défend la justice transformative. L’idée principale est que le crime est une opportunité pour toute la communauté. Le problème du crime, ce sont les conditions sociales qui l’ont causé. Le but est alors la guérison non seulement de la victime, mais également de l’auteurice et de la communauté, par une démarche collective.

Deux types de victimes : répondre à leurs besoins, par Ruth Morris (résumé)

Toutes les victimes partagent 5 besoins fondamentaux : obtenir des réponses à leurs questions sur les faits, voir leur préjudice être reconnu, être en sécurité, obtenir réparation, donner un sens à ce qu’elles ont subi.

1. Obtenir des réponses
Les victimes ont besoin de réponses parce qu’elles ont besoin de comprendre. Y compris à la plus douloureuse : “pourquoi moi ?”. Obtenir des réponses, même aux autres questions qui peuvent paraître bêtes (mais qui ne le sont pas) aide les victimes à regagner une compréhension des choses. Comprendre est essentiel pour retrouver une sensation de contrôle et de sécurité. Obtenir des réponses de l’auteurice, y compris à la question “pourquoi moi ?”, aiderait les victimes dans cette démarche.

2. Que l’on reconnaisse le préjudice subi
C’est certainement le besoin le plus grand des victimes. Alors qu’elles auraient besoin qu’on reconnaisse l’injustice qu’elles ont subi, les victimes se voient “accusées” (au propre comme au figuré) “de l’avoir bien cherché”, d’avoir quand-même une petite part de responsabilité, ou que finalement “c’est pas si grave”. Les tribunaux font tout pour dégrader, dévaloriser, et ignorer la victime. Ces mêmes tribunaux ne reconnaissent pas plus les injustices structurelles : être né.e.x noir.e.x ou pauvre n’est jamais considéré comme une inégalité liée à une discrimination systémique.

3. Besoin de sécurité
Les tribunaux échouent grandement à ce besoin fondamental des victimes. Comme l’a montré Christie dans le premier chapitre du livre, la distance énorme entre la victime et l’auteurice du crime ainsi que l’écartement quasi-total des victimes durant les procédures pénales ne font qu’augmenter l’incompréhension, la colère et la peur pour la victime.

4. Besoin de réparation
La justice pénale n’arrive pas non plus à ce que la victime obtienne réparation. Au mieux, elle condamne l’auteurice à des payer des dommages et intérêts, ce qui en soit n’a pas grande chance de réparer quoi que ce soit de non-matériel chez la victime, mais en plus les sommes sont si colossales que dans 60% des cas elles ne sont pas payées. La victime comme l’auteurice n’ont d’ailleurs jamais leur mot à dire dans la détermination du montant de ces sommes. Une vraie réparation vise à redonner à la victime le sentiment qu’elle appartient à une communauté qui se soucie d’elle. Réparer ne veut pas dire se venger ou rendre coup pour coup, mais rétablir la communauté. Il est alors possible d’obtenir réparation même dans des cas gravissimes, comme les affaires de viol ou de meurtre.

5. Donner du sens
Parfois, les victimes ont les 4 besoins précédents qui ont été écoutés et satisfaits ; elles auront quand-même besoin de donner du sens à ce qu’elles ont vécu. Même si personne ne pourra reconnaître les injustices subies aussi profondément qu’elles-même l’ont vécue, que le sentiment de sécurité de sera jamais aussi grand après une violation de leur espace, et que la communauté ne pourra jamais rendre tout ce qui a été perdu ; les victimes peuvent cependant décider de tirer parti de ce qui leur est arrivé pour rendre le monde meilleur, plus sûr pour les autres, et même empêcher que d’autres subissent ce qu’elles ont subi.

Deux types de victimes
D’après Morris :

Tout traumatisme qui arrive dans des circonstances non sollicitées/imprévues nous retire du pouvoir sur notre propre vie et nous cause de la souffrance, faisant de nous des victimes.

Indépendamment des considération religieuses, spirituelles ou naturelles [3], il faut distinguer deux types de victimes. D’un côté, les victimes d’injustice systémique ; de l’autre, les victimes de violences interpersonnelles. Lorsque les médias de masse parlent de victimes, il s’agit toujours de la deuxième catégorie. Or, ce sont bien les injustices systémiques qui font le plus grand nombre de victimes. En 1992, 20% des plus riches possédaient 60 fois le revenu des 20% les plus pauvres (aujourd’hui, 1% des plus riches possèdent plus de 50% des richesses mondiales [4]). Quand on s’intéresse aux victimes, on doit donc se demander de quel type de victime on parle.

Ce sont bien les injustice systémiques qui font le plus grand nombre de victimes.

S’il y a deux types de victimes, on peut être victime de ces deux violences à la fois. Les personnes pauvres et les groupes sociaux marginalisés sont fréquemment victimes de ces deux types de violences (systémique et interpersonnelle). Les systèmes d’oppression et de domination que sont (entre autres) le classisme, le racisme et le sexisme créent des victimes d’inégalités systémiques ; mais les personnes victimes de violence interpersonnelle sont souvent aussi sujettes aux violence systémiques.

Enfin, les prisonier.ère.s sont massivement victimes des deux. D’une part, les prisons sont remplies de gens pauvres et racisés, alors que les élites non. D’autre part, les prisonier.ère.s sont victimes de violences interpersonnelles : beaucoup ont subi tabassages, agressions, viols et violences sexuelles, violences intrafamiliales, violences policières et même torture, vol ou chantage - et beaucoup d’autres choses encore. Au lieu d’être relégué.e.x.s au ban de la société et criminalisé.e.x.s, les personnes pauvres, les personnes racisées et les personnes incarcérées devrait plutôt recevoir du soutien afin que leurs cinq besoins élémentaires de victimes soient satisfaits.

Ce monde peut être un lieu très solitaire, à moins que nous n’apprenions à nous soutenir les unes les autres afin de satisfaire ces besoins primordiaux pour toutes les victimes : trouver des réponses, voir le préjudice reconnu, se sentir en sécurité, obtenir réparation, et produire du sens à partir de leurs tragédies personnelles. Les prisonniers et prisonnières, comme nous toutes et tous, sont à la fois victimes et auteur.e.s. [...] Mais il est possible de transcender le statut de victime et de produire du sens à partir de chaque tragédie - et plus la tragédie est grande, plus ce que l’on en retire le sera aussi.

P.S.

Pour lire le résumé de la première partie du livre, voir : Crimes & Peines, résumé (1/4). Pour lire le résumé du deuxième chapitre, voir Crimes & Peines, résumé (2/4).
Rendez-vous mercredi 29 septembre à 18h30 au bâtiment principal des Saules (1er étage) pour la présentation du livre avec Gwenola Ricordeau ! Plus d’infos sur la newsletter du Silure.

Notes

[1Ce terme signifie appartenir à la Société religieuse des Amis, ou Société des amis, mouvement religieux protestant dissident.

[2Le caractère “rétributif” de la justice pénal veut dire que la justice entend “rétribuer” la victime d’un crime via la peine prononcée envers son auteurice. Ironique...

[3On peut penser aux tsunamis, ouragans, catastrophes naturelles, éruptions volcaniques, etc.

[4cette note est bien sûr rajoutée et ne fait pas partie du texte de 1998.

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