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L’UDC et la « remigration »

Tout le monde parle des contacts de Sarah Regez, responsable de la stratégie des Jeunes UDC, avec le groupuscule Junge Tat. Mais elle n’est pas la seule politicienne à serrer des mains avec les membres du mouvement d’extrême droite. De qui s’agit-il et pourquoi cela pose-t-il problème ? C’est ce que nous allons voir ci-dessous.

Suisse |

"Remigration" - terme de combat de la Nouvelle Droite

2) dans le paragraphe après la 2e photo, “David Trachsel” est l’ancien président des jeunes UDC Suisse et plus “l’actuel”

Le terme "remigration" est apparu dans les discussions de la Nouvelle Droite dans les années 1960, mais ce n’est qu’au début des années 1990, avec la montée en puissance du mouvement identitaire en France, qu’il est devenu un terme de combat pour les néonazis et les populistes de droite. En substance, il s’agit de la revendication de l’expulsion de toutes les personnes "non européennes" d’Europe.

Trois autres concepts importants de la Nouvelle Droite sont liés à la "remigration".

Premièrement, un nouveau concept concernant la culture : la culture devient la caractéristique d’identification décisive d’un groupe. Si l’on parlait de "sang et de terre" sous le national-socialisme, les extrémistes de droite parlent aujourd’hui de "culture". Tout comme le sang, une personne ne peut pas changer de culture selon leur idéologie. Toujours d’après eux, les personnes non-européennes ne peuvent donc jamais s’intégrer ou s’assimiler, elles restent "étrangères à leur milieu".

Deuxièmement, la migration n’est pas conçue comme un continuum historique, mais comme un processus contrôlé dont le but est de "remplacer" la population européenne. Ainsi, la migration est une attaque contre la culture européenne qu’il faut repousser. Comme il n’y a pas d’intégration ou d’assimilation, toutes les personnes "étrangères" à l’Europe doivent être expulsées.

Troisièmement, les structures démocratiques sont la porte d’entrée dans notre société. L’intégration des migrant⋅es leur donne des droits politiques. Selon Martin Sellner, tête pensante des Identitaires, il s’agit d’une "arme biologique démocratique". Les non-européens étant fondamentalement différents, ils détruiraient la société européenne de l’intérieur.

Le récit de la nouvelle droite se rattache directement aux récits des nazis - mais avec des termes différents. Si les nazis parlaient des "Allemands", il s’agit aujourd’hui des "Européens blancs". Si en 1940, les nazis voulaient déplacer tous les juif⋅ves à Madagascar, il s’agit aujourd’hui d’expulser des personnes "étrangères à l’espèce" vers l’Afrique centrale. Si les nazis avaient désigné la "juiverie mondiale" comme marionnettiste, ce sont aujourd’hui les "mondialistes" qui sont à la manœuvre.

Junge Tat et l’identité de droite

Lancée sous le nom de “Eisenjugend Schweiz” (Jeunesse en Fer Suisse), connue pour ses vidéos d’hommes cagoulés et tristement célèbre pour ses lectures de textes de Heinrich Himmler, Junge Tat a connu une ascension remarquable. A partir d’un groupe disparate de jeunes hommes encagoulés, un noyau dur s’est formé autour de Manuel Corchia, qui sait parfaitement se mettre en scène dans les médias. Ils affirment aujourd’hui avec éloquence qu’ils n’ont rien contre les personnes juives et qu’ils sont des activistes pacifiques. Ils entretiennent de bons contacts avec des acteurs politiques établis. Il y a à peine trois ans, leurs dirigeants brûlaient encore des drapeaux d’Israël, perturbaient des conférences aux cris de "Heil Hitler" et se lamentaient contre la "juiverie mondiale bolchevique". Ils partaient en randonnée avec des terroristes d’extrême droite italiens, partageaient le manifeste de l’auteur de l’attentat de Christchurch et stockaient des armes à feu chez eux.

Aujourd’hui, les actions de Junge Tat se déroulent dans ce que l’on appelle le " champ politique ". Par des actions dans la rue et une présence croissante dans les réseaux sociaux, ils reprennent et alimentent de manière ciblée les thèmes et débats actuels des populistes de droite.

Leurs manifestations, entraînements de boxe et randonnées n’ont aucune pertinence politique et ne sont que modérément fréquentées. Il est bien plus question de leur propre identité en tant que militants virils, déterminés et « anticonformistes ». Cette identité peut être rattachée à la culture politique des populistes de droite. L’identité commune est la base d’une camaraderie qui constitue le fondement d’un « combat culturel européen ».

Junge Tat et les Jeunes UDC - One Love ?

Les discours de Junge Tat, mis en scène par les médias, trouvent un écho auprès des Jeunes UDC et de l’UDC - en particulier le genre, le wokeness et la remigration. Le terme de “remigration” serait probablement entré dans le langage courant de l’UDC même sans Junge Tat. La droite européenne est trop interconnectée, l’influence des théories néo-droitières sur l’UDC est trop forte. Mais Junge Tat a accéléré ce processus et transformé le terme en un concept médiatique à la mode.

Dans son podcast, ainsi que dans des entretiens avec d’autres personnes de droite, Junge Tat explique la stratégie avec laquelle elle veut faire passer le concept de “remigration” dans la société : par l’intermédiaire des politiciens locaux, en particulier de l’UDC. Diverses politiciennes et politiciens sont déjà en train d’introduire le terme dans le discours ambiant et le concept sera bientôt discuté plus largement, selon leur plan.

Photo 1 : Tobias Lingg, militant Junge Tat, et Jonas Streule, politicien de l’UDC

Jonas Streule, président de l’UDC Eggersriet, est un de ces politiciens locaux. Il est ami avec Tobias Lingg, l’un des leaders de Junge Tat, et assiste avec lui à des manifestations. Par exemple, une manifestation des opposants aux mesures Corona* à l’automne 2023 à Sissach.

Ou Maria Weggelin. Elle aussi est active parmi les opposants aux mesures COVID et a finalement dû démissionner de son poste de présidente de l’UDC Winterthur en raison de ses contacts étroits avec Junge Tat. On ne sait pas pourquoi sa démission a été exigée, alors que Streule, qui entretient les mêmes liens, continue d’exercer sa fonction et a pu se présenter à l’élection de l’UDC en mars 2024.

Joel Kaufmann, alors président de l’UDC Buchs et vice-président des Jeunes UDC de Saint-Gall, est un autre exemple. Kaufmann était un membre actif de Junge Tat et a participé à de nombreuses actions. En tant qu’activiste, il était dans la rue pour soutenir les extrémistes de droite, tout en fondant au niveau politique, avec le conseiller national UDC Mike Egger, l’“Association pour des frontières sûres”. C’est ainsi que le récit de Junge Tat a pu être introduit ici aussi.

Carla Anaba Olinga-Holtz, UDC Dietikon, est une autre membre de l’UDC qui entretient des contacts étroits avec des membres de Junge Tat. Elle n’en est qu’au début de sa politisation et est un exemple de l’influence de la Junge Tat sur les jeunes.

La stratégie avec les politiciens locaux a (presque) fonctionné, du moins dans le cas de Sarah Regez : elle connaît vraisemblablement les activistes de Junge Tat depuis le mouvement d’opposition aux mesures COVID - à l’époque en tant que politicienne UDC encore insignifiante de Sissach. Au printemps 2023, elle a participé à une rencontre secrète avec Junge Tat. Le néonazi Martin Sellner et l’extrémiste de droite suisse du milieu identitaire, Stefan Thöny, étaient également invités. A peine six mois plus tard, Regez manquait de peu l’élection au Conseil national, devenant responsable de la stratégie des Jeunes UDC et disposant ainsi jusqu’à aujourd’hui d’une énorme plateforme par laquelle elle peut véhiculer le concept de “rémigraton” dans la société.

Photo2 : Des amis proches, Wilhelm Wyss, Maksym Barda, David Trachsel et Martin Farkas (de g. à dr.)

Mais avec David Trachsel, ancien président des Jeunes UDC, Junge Tat a également un politicien qui diffuse ses contenus : En 2021 déjà, Trachsel posait sur une photo avec Maksym Barda, alors membre de Junge Tat. Et ces dernières années, Trachsel a également repris le discours de la Junge Tat et l’a diffusé dans le monde politique.

Le groupe d’extrême droite romand Némésis est une organisation équivalente à Junge Tat, qui a déjà fait le saut dans la politique institutionnelle. Celui-ci entretient de nombreux liens avec des structures d’extrême droite et néonazies comme la Junge Tat, les Militants Suisses, Résistance Helvétique ou La Hallebarde. L’attachée de presse et l’une des têtes pensantes de Némésis est Léa Sauchay, qui travaille au secrétariat de l’UDC Neuchâtel.

En septembre 2023, le conseiller national UDC Jean-Luc Addor et le président du parti UDC de l’époque, Marco Chiesa, ont posé sur une photo avec trois membres de Némésis. Jean-Luc Addor a invité le groupe au Palais fédéral. Addor lui-même n’est pas sans histoire : il a été condamné pour discrimination raciale. Après une fusillade dans une mosquée qui a fait un mort, il a posté : “On en redemande !”. Malgré ses convictions, il est parvenu à se faire élire au Parlement fédéral au sein de l’UDC et invite désormais allègrement des extrémistes de droite à le rejoindre à Berne.

La stratégie de Junge Tat, qui consiste à introduire ses contenus dans le discours public par le biais de politiciens, semble fonctionner, du moins en partie. La pandémie de Corona les a certainement aidés : de nombreux contacts entre politiciens et extrémistes de droite ont été noués lors d’événements organisés par les opposants aux mesures.

Junge Tat n’a toutefois pas inventé cette stratégie. Le mouvement identitaire, qui connaît un grand succès notamment en Autriche, en France, en Italie et en Allemagne, tente de le faire depuis longtemps. Cette approche est enseignée et professionnalisée lors de formations auxquelles participent également des représentants de Junge Tat. Martin Sellner, chef du mouvement identitaire, promeut également cette stratégie.

En Suisse, Olivier Chanson, actuaire à l’UDC Urdorf, qui a fait une longue carrière à l’UDC et figure régulièrement sur les listes électorales de l’UDC, entretient des contacts étroits avec les milieux identitaires. Un ami de Chanson est Stefan Thöny, activiste au sein du mouvement identitaire et étroitement lié à diverses structures d’extrême droite en Allemagne, en Autriche et en Suisse - également avec Junge Tat. Chanson utilise le mot “remigration” depuis longtemps. Il met en garde avec insistance contre le “remplacement de population” et est également bien connecté dans le milieu des opposants aux mesures COVID.

L’UDC et Junge Tat s’influencent mutuellement et profitent actuellement l’une de l’autre - elles se stimulent carrément. En conséquence, les Jeunes UDC se sont déjà nettement déplacés vers la droite sous David Trachsel. Depuis mars 2024, le duo Niels Fiechter et Sarah Regez est à sa tête.

Fiechter est un raciste condamné et décrit sa relation avec Junge Tat à la SRF comme suit :“Ce serait une erreur pour nous, en tant que parti, de nous distancer en bloc de n’importe quelle position, terminologie ou personne. Nous parlons en principe avec tout le monde. [...] Nous n’avons pas d’œillères”. Ce faisant, il veut sans doute surtout protéger sa cheffe de la stratégie Sarah Regez, avec laquelle il est également en couple. Mais de nombreux autres politiciens de l’UDC jouent la même partition. Ramon Hug, président des Jeunes UDC d’Argovie, est le premier à déclarer dans des chats internes : “Nous devons être honnêtes et reconnaître que le contenu des Jeunes UDC est exactement le même que le nôtre”. Après la dernière apparition (interdite) de Martin Sellner en Suisse, les représentants des Jeunes UDC ont rivalisé d’expressions de solidarité sur X et Instagram. Ramon Hug en tête.

Ces positions sont-elles nouvelles pour les Jeunes UDC ? Qu’est-ce qui est différent ? Déjà à la fin des années 90, l’image d’un indigène disant “Ils n’ont pas pu stopper l’immigration, aujourd’hui ils vivent dans des réserves” avait fait le tour de la scène suisse d’extrême droite. Cette image, utilisée à l’époque par le PNOS et les Démocrates suisses, résume bien la peur du “grand remplacement”. Les Jeunes UDC réclament depuis des années des mesures draconiennes contre les soi-disant “étrangers criminels”. La seule nouveauté est la suppression du mot “criminel”. On peut résumer cette position par “tous les étrangers dehors”.

Antifa Bern
Traduction par l’AFA Genève

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