Ce mois de juin 2021, renversé s’intéresse au Hip-hop. Ce mouvement culturel - populaire dans tous les sens du terme - traverse les époques puisqu’il est bientôt quinquagénaire. Qu’il reste underground, en marge à l’ombre du show-business ou qu’il trouve sa place jusqu’aux Victoires de la musique, le rap s’est imposé, sans rémission, telle une cerise sur le ghetto au panthéon des musiques les plus écoutées dans le monde. De mémoire, le hip-hop a toujours été indissociable de la contestation sociale. En effet, qui peut prétendre faire du rap sans prendre position ? Si ce n’est pas toujours aussi évident aujourd’hui, c’est du moins ce dont on va parler ici. Le rap qui lutte, qui a la rage, qui fuck les cops et qui met du coeur à l’outrage.
Après les années 90 et les années 2000, voici donc la troisième partie de notre petit dossier non exhaustif sur les procès emblématiques du Rap français.
Youssoupha
En 2009, Éric Zemmour porte plainte contre Youssoupha pour « menaces de crimes et injure publique » à propos du morceau "à force de le dire" dans lequel il est visé.
« À force de juger nos gueules, les gens le savent, qu’à la télé souvent les chroniqueurs diabolisent les banlieusards, chaque fois que ça pète on dit qu’c’est nous, j’mets un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d’Éric Zemmour »
En première instance, le tribunal correctionnel de paris condamne Youssoupha à 800€ d’amende avec sursis et la directrice de son label à 500€ avec sursis. Les deux devaient aussi payer 1000€ de dommage et intérêts ainsi que 2000€ de frais de justice à Zemmour. Mais en 2012, la cour d’appel de Paris considère que ses propos n’étaient pas diffamatoires parce qu’ils “n’excédaient pas les limites admissibles en matière de liberté d’expression artistique”. En effet, le rappeur le disait déjà avant que le politicien d’extrême droite ne porte plainte contre lui : “Les paroles ne parlent ni de meurtre, ni d’agressions, ni de blessures ... Je n’ai ni l’envie de le faire tuer ni de le priver de sa liberté d’expression. Le faire taire, c’est le remettre en place, le mettre face à ses propres contradictions.” Que dire de plus, à part que nous rallongeons volontiers la mise pour faire taire ce con d’Éric Zemmour.
En 2011, Youssoupha sors un pur titre intitulé “menace de mort” qui revient sur l’affaire et plus généralement sur le traitement judiciaire du rap français depuis les années 90. A la fin du morceau, on reconnait les voix d’artistes dont nous parlions dans le deuxième épisode, Tunisiano et Aketo de Sniper et Ekoué de la Rumeur ainsi que celle de Monsieur R.
Jo le phéno
En été 2016, peu après le décès d’Adama Traoré, Jo le Phéno un jeune rappeur parisien sort “Bavure” un son révolté contre les crimes policiers. Dans le clip, on peut voir notamment une fresque en hommage à Lamine Dieng, un gars de son quartier, mort dans un fourgon de police en 2007. En septembre suites aux réclamations de plusieurs syndicats policiers, le ministre de l’intérieur saisit le parquet de Paris qui ouvre une enquête. Sont mis en cause l’apparition d’un policier qui n’a pas été flouté dans une version du clip qui sera retirée par la suite ainsi que les paroles qui selon eux appelleraient à tuer des policiers.
Peu avant le procès qui aura lieu à l’automne 2017, le rappeur récidive en sortant “bavure 2.0” qui revient sur l’affaire et assume le contenu du premier tout en clarifiant quelques points. Finalement, à l’issue d’un procès dont vous pouvez lire le récit ici, il sera condamné à 1000€ d’amende, à verser 3000€ de dommages et intérêts au policier qui s’était reconnu dans la vidéo, 1500€ de frais de justice et un euro symbolique à l’agent judiciaire de l’Etat. A titre de comparaison dans l’affaire Lamine Dieng, tué par la police en 2007, la justice française n’a même mis les policiers en examen et l’affaire à été classée sans suite. Comme souvent la justice préfère condamner des artistes qui dénoncent les crimes policiers plutôt que de condamner les crimes policiers.
Nick Conrad
En 2018, Nick Conrad, un rappeur inconnu du grand public sort un clip sur youtube. Le morceau s’appelle PLB “Pendez les blancs” et nous n’aurons pas l’occasion de voir le clip puisqu’il a été supprimé de youtube rapidement. Comme d’habitude, c’est d’abord l’extrême droite qui fait de l’agitation avant que la classe politique ne s’en mêle. Plusieurs organisations prétendument “antiracistes” comme la Licra ou Sos racisme s’indignent et parlent de racisme anti-blanc. En 2019, Nick Conrad, reconnu coupable de provocation au crime est condamné à 5 000 € d’amende avec sursis et à verser 1 000 € de dommages et intérêts à l’AGRIF [1], et la LICRA [2], qui se sont portées parties civiles.
Pour l'artiste l'idée du morceau était "d'inverser les rôles", "le système de manière à ce que blancs comme noirs puissent se rendre compte de la situation."
Pour l’artiste l’idée du morceau était “d’inverser les rôles”, “le système de manière à ce que blancs comme noirs puissent se rendre compte de la situation.” Dans le clip, des références sont faites à plusieurs films, dont american history X ce qui permet par exemple de situer géographiquement les pendaisons dont on parle. Car ce sont bien des noirs qui ont été lynchés par des blancs pendant 400 ans d’esclavage dont sont responsables la plupart des pays occidentaux. La phrase “J’suis venu inverser le commerce gulaire-trian” donne toute la dimension artistique au morceau, car c’est précisément ce commerce qui a façonné les rapports de dominations racistes qui existent encore aujourd’hui. Et c’est précisément ces rapports de domination qui font que comme le dit Nick Conrad “On est en bas de l’échelle nous”. Et contrairement à ce que l’extrême droite - entre autre - voudrait nous faire croire le racisme n’est pas un concept que l’on peut inverser dans le sens qu’on veut mais bien un système qui structure le pouvoir économique, politique, les corps et les vécus depuis plusieurs siècles.