Anticapitalisme

Lettre ouverte au nouveau parti communiste révolutionnaire

Cette année 2024 a vu la naissance d’un nouveau parti en Suisse, le Parti Communiste Révolutionnaire (PCR). Cette nouvelle formation politique voit le jour grâce aux partisans de L’Étincelle et se revendique naturellement de Marx, Lénine et Trotski.
Cet article se propose de faire le point sur le marxisme et le léninisme et d’actualiser le communisme au monde d’aujourd’hui.

C’est enthousiasmant !

Comment ne pas se réjouir de l’arrivée d’une nouvelle force politique de lutte, surtout quand celle-ci est entièrement à la gauche de l’échiquier politique. Même si le nombre de membres est encore petit, il faut croire à l’effet “balance”. Autrement dit, un poids limité mais très éloigné du point pivot de la balance politique aura plus d’influence qu’un poids beaucoup plus lourd mais proche du centre.
Et le nouveau parti communiste révolutionnaire démarre fort, avec la participation à la mise sur pied d’une nouvelle Internationale communiste, la formation des nouveaux camarades au léninisme et un nouveau manifeste qui vient du cœur. Et on ne lutte bien qu’avec le cœur ! Espérons que cette nouvelle force puisse garder un certain momentum pour créer une fissure supplémentaire dans le grand mur du capitalisme.

De l’importance d’une mise-à-jour de la doctrine marxiste et léniniste

Marx et Engels ont écrit la première version du manifeste du parti communiste en 1848, il y a plus de 150 ans. Malgré son âge, le manifeste reste encore incroyablement d’actualité. Mais leurs auteurs reconnaissaient eux-mêmes que certains aspects étaient déjà dépassés, surtout à la suite de la Commune de Paris en 1871. C’est définitivement un ouvrage qui est voué à être modifié au fil du temps, au fil des luttes.
Quant à Lénine, sa mort date de plus de cent ans maintenant. On peut alors se demander ce qu’il aurait bien pu dire et écrire sur les événements survenus après 1924.

La société n’est plus la même depuis la mort de Marx

Une grande partie de l’économie moderne est dominée par les services et la technologie et non plus par des ouvriers. L’automatisation et la robotisation de nombreuses tâches industrielles ont réduit la dépendance à la main-d’œuvre humaine, posant de nouveaux défis pour l’emploi et la répartition des richesses.
La structure binaire de la société en bourgeoisie et prolétariat, telle que décrite par Marx, est devenue plus complexe. La conscience de classe est moins marquée, car la classe moyenne tend à s’identifier à des valeurs de réussite individuelle et de mérite plutôt qu’à une solidarité de classe.

Des événements marquants depuis la mort de Lénine :

Beaucoup d’événements se sont produits depuis 1924 et la mort de Lénine. La révolution russe de 1917 est sans conteste un événement majeur pour n’importe quel camarade mais bien d’autres faits marquants postérieurs devraient néanmoins être considérés pour mieux comprendre les stratégies à éviter dans les luttes révolutionnaires et quelles stratégies sont plus à même de mener un combat vers la victoire du socialisme. Cet article n’a pas la prétention de formuler ces nouvelles stratégies, cela demanderait un travail bien plus conséquent. Mais voici une liste non exhaustive d’événements historiques qui devraient susciter la réflexion

  • La montée du fascisme et la 2e guerre mondiale.
  • L’échec des communistes et des autres mouvements de gauche dans la guerre civile d’Espagne.
  • La victoire des communistes chinois.
  • La révolution cubaine.
  • L’échec communiste en URSS avec le stalinisme et l’entrée de la Chine dans le monde globalisé du capitalisme.
  • Les révolutions féministes.

Faucille et marteau

Il faut également parler des symboles communistes, notamment celui de la faucille et du marteau repris aujourd’hui par le PCR. Bien qu’adopté après la révolution russe et du temps de Lénine, le marteau et la faucille restèrent sur le drapeau de l’URSS jusqu’en 1991. C’est donc bien ce symbole qui flottait sur le drapeau national à Moscou pendant l’Holodomor qui fit plusieurs millions de morts dans les années 30. Le marteau et la faucille sont également synonyme de la répression du régime totalitaire russe pour les pays d’Europe de l’Est pendant les années de guerre froide.
Même s’il est souvent souhaitable de revenir à l’origine des mots (comme le communisme), des expressions et des symboles et de ce qu’ils représentent (l’ouvrier et le paysan pour le marteau et la faucille), il faut parfois aussi savoir se moderniser et se pencher vers quelques chose de plus représentatif du monde actuel. Quel paysan travaille encore avec une faucille ?

L’exemple unique de la révolution russe

Les partis nationaux participants à l’Internationale communistes prennent comme exemple de réussite la révolution russe d’Octobre 1917. Mais la révolution bolchévique est le résultat d’une confluence de facteurs historiques, économiques et sociaux spécifiques. Lénine a su saisir une opportunité unique dans un contexte de crise profonde mais la prise du pouvoir par les bolchéviques a été précédée par une suite d’événements dont les issues n’étaient jamais garanties. Et rappelons aussi qu’avant 1917, Lénine pensait que la révolution prolétarienne pourrait prendre des décennies et ce n’est qu’en avril 1917, après son départ de Suisse pour Saint-Pétersbourg, qu’il a commencé à croire fermement en la possibilité d’une révolution. Il semble donc risqué de fonder toute une stratégie sur cette unique expérience.

La discipline selon Lénine

Lénine était inflexible sur la nécessité de maintenir la discipline dans le parti. Il insistait sur l’obéissance aux décisions du parti et appliquait des mesures sévères contre celleux qui refusaient de s’y conformer, et le PCR semble être sur cette ligne. Après lecture de l’article Pourquoi j’ai quitté l’Étincelle il parait évident que ses membres ont oublié le principe léniniste de Centralisme démocratique.
Le PCR semble refuser toute modernité, comme le montre son rejet de l’écriture épicène. Pourtant ce genre de sujet pourrait très bien rentrer dans un processus de centralisme démocratique tel que défini par Lénine.

La lutte ouvrière, rien que la lutte ouvrière

Tout en se proclamant toujours opposé à toute forme de discrimination, le mouvement communiste s’oppose fermement à ce qu’il appelle “les politiques identitaires”, c’est-à-dire aux luttes contre le sexisme, le racisme, ou les discriminations envers les personnes LBGT+. Selon leur manifeste et celui de l’Internationale communiste, ces luttes ne feraient que diviser le mouvement ouvrier dont la lutte est jugée “sacrée” et ne seraient pas capables de déboucher sur quoi que ce soit. Ils demandent donc à leurs membres de laisser de côté ces “idées réactionnaires” avant d’adhérer au PCR. Le capitalisme serait alors considéré comme responsable de tout les maux et le faire chuter devrait être la seule priorité puisque une société communiste pourrait ensuite décider de ce qui est acceptable.
Cette position sur les “politiques identitaires” est certainement l’un des points les plus controversés du manifeste car il est inacceptable de censurer des personnes opprimées dont les luttes pour l’égalité et les droits civils ont remporté des victoires significatives dans le passé. Il est également réducteur de penser que seules les sociétés capitalistes sont responsables des oppressions telles que l’homophobie et le racisme. De nombreux exemples historiques montrent que des sociétés non capitalistes, comme l’Union soviétique, Cuba ou la Chine maoïste ont également perpétué des discriminations contre des minorités ethniques, des femmes et des personnes LGBT.
Si les communistes se disent du côté des opprimé·e·s, il leur incombe alors de combattre les idées racistes, homophobes, transphobes ou sexistes au sein de leurs propres rangs. On ne saurait tolérer de telles idéologies sous prétexte de ne pas diviser les camarades.

Conclusion

La venue de nouveaux camarades est incontestablement une fantastique nouvelle, surtout quand iels incitent à descendre dans la rue afin de lutter contre la bourgeoisie et ne se perdent pas dans des débats interminables (comme cet article tend à le faire…). Mais il semble important d’affiner les théories communistes dans le contexte du 21e siècle, sans tomber dans le postmodernisme dénoncé par la nouvelle Internationale communiste.
Alain Badiou dit que nous sommes aujourd’hui dans la même situation que Marx dans la première partie du 19e siècle ; il faut s’attacher à donner une nouvelle base scientifique à notre combat anticapitaliste. De plus, il nous faut apprendre des luttes gagnées et perdues au cours du 20e siècle pour ajuster la stratégie des bolcheviques et la doctrine léniniste.
Les quelques critiques formulées ici se veulent constructives et ne ternissent en rien l’engouement des membres de ce nouveau parti révolutionnaire.

Salarié·e·s de tous les pays, unissons nous pour faire chuter le capitalisme !

Rebel suisse fait pousser votre graine de révolutionnaire

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