Répression - Enfermement Prison

Souvenirs de préventive

Quelques souvenirs et réflexions autour d’un passage en détention préventive, en espérant que ce partage puisse servir à d’autres. Free Jeremy, free tout le monde !

Suisse |

C’était il y a quelques années déjà, j’ai passé quelques semaines en détention préventive, ce qui n’est qu’une expérience très modeste en comparaison à ce que vivent plein de gens moins privilégiés dans les prisons, ici et surtout ailleurs. J’écris là-dessus aujourd’hui, parce que Jérémy est en préventive lui aussi, et a fortiori parce que sa détention vient d’être prolongée. Surtout, en tant que dissident·es radicale·xs nous devons composer avec cette possibilité de passer par la case prison. J’aimerais partager quelques observations que j’ai pu tirer sur cette institution, tout en la dénonçant aussi pour ce qu’elle est, indépendamment de mon parcours personnel.

Je précise que je ne vais pas être précis sur les questions juridiques. Je propose, pour en savoir plus, de lire la brochure sur les droits qu’on a en détention préventive, éditée à Genève en 2016.

J’avais déjà lu un certain nombre de témoignages et autres critiques de la prison, notamment sur le fait que quand on est enfermé·e, un des aspects les plus durs est de ne pas savoir quand on va sortir. La Suisse a notamment mis en place un régime spécifique terrible (je ne parle pas là de la préventive) sous la forme de mesures d’internement prolongeables sans limite par des expertises psychiatriques, ce qui fait que les personnes concernées peuvent potentiellement y rester à vie. C’est, clairement, beaucoup plus dur que de purger une peine dont la durée est définie. Je mentionne ce régime particulier parce qu’on ne le dénoncera jamais assez, et on ne rappellera jamais assez qu’il a mené Skander Vogt à la mort.

Pour ma part, je ne suis pas touché par les mêmes réalités : jusqu’à cet épisode je n’avais vécu que de la garde à vue, qui n’avait pas été prolongée au-delà de vingt-quatre heures. Du coup, quand le juge a prononcé ma mise en détention préventive, j’ai fait connaissance, toutes proportions gardées, avec l’incertitude de ne pas savoir quand j’allais sortir. C’était un des aspects difficiles à gérer psychologiquement, même déjà sur les quelques semaines que j’ai vécues.

Je m’étais armé d’une forte détermination à être actif sur ce qui m’était imposé. Ne pas répondre aux questions, refuser les prises d’empreintes digitales et d’ADN jusqu’à ce qu’on me les impose par la force, dénoncer certains délais d’attente suite à mes refus pendant la garde-à-vue comme de la répression, insister pour des menus vegan et ne pas manger ceux qui ne l’étaient pas clairement, revendiquer différentes choses dont l’accès à des suppléments de vitamines, etc. L’idée n’était pas de m’imposer des contraintes insupportables ni de me faire des illusions sur ce que je pouvais gagner (à part sur le droit au silence qui n’est pas une illusion mais reste notre meilleure défense en cas d’arrestation), mais juste d’exercer ma volonté plutôt que de tout accepter en succombant à la résignation. Bien que je ne résistais de loin pas à toutes les mesures disciplinaires car ça m’aurait coûté trop cher, mes actes de résistance m’ont permis de ne pas me laisser écraser, alors que je découvrais la privation brute de liberté et le pouvoir cru des maton·nes et de l’administration carcérale.

À l’évidence, dans cette prison peu de détenus possédaient le passeport à croix blanche qui m’avait jusque-là aidé à éviter l’enfermement, et on n’était pas tout à fait de la même classe sociale. Quand d’autres détenus me conseillaient de demander à travailler à l’atelier pour m’occuper et avoir des relations, et que je répondais que ne ne voulais pas me faire exploiter, je voyais bien qu’on n’était pas à la même enseigne.

Les discussions avec certains d’entre eux pendant la sortie quotidienne dans la cour intérieure me montraient un décalage béant entre nos conditions sociales. J’avais un avocat choisi, eux pas. Le mien s’engageait pour me défendre, les leurs pas. J’avais un foyer qui m’accueillerait à ma sortie, un d’eux me racontait qu’il avait perdu son appartement et son job à cause de sa détention. Il me demandait pourquoi j’étais là, et quand je disais que j’étais accusé de coups et blessures lors d’une manifestation, il me dit : « T’inquiète pas, toi tu sors bientôt. Tu le vois, lui là, ça fait vingt mois qu’il est là ! » Merde. Vingt mois en préventive sans savoir quand tu sors. C’est clair qu’on ne parle pas là de prison qui vise la « réintégration » dans la société, mais d’un écrasement ravageur de vies déjà précaires.

Un autre m’explique qu’il est en prison parce qu’une carte téléphonique qui était à son nom aurait été utilisée pour du business illégal, et qu’il n’avait eu aucun moyen de prouver qu’il n’avait rien à voir avec ce business. Vous pensez qu’un suisse croupirait des mois en prison pour un tel motif ?

Et mon camarade de cellule pendant la garde-à-vue, un type vraiment hyper-gentil qui n’en était pas à son premier passage en prison pour séjour illégal. Il avait accès à du travail grâce à un cousin installé en Suisse, du coup il allait revenir après sa prochaine expulsion du pays, pour bosser en espérant éviter les contrôles. Il avait notamment bossé pour monter les serres ultra-technologiques d’une start-up qui lançait son projet de cultures de légumes hors-sol entièrement automatisée, dont les médias avaient parlé quelques temps auparavant. Les avantages technologiques qui s’établissent grâce à du travail ultra-précaire, comme un air de déjà vu...

Ce que j’ai pu observer, c’est une certaine solidarité entre la plupart des détenus, de la bienveillance vraiment chouette dont j’ai pu bénéficier. Je n’ai peut-être pas perçu certaines tensions, mais il y semblait y avoir une base intelligente consistant à plutôt s’éviter quand on ne s’entend pas. On ne se tire pas dans les pattes alors qu’on est déjà tous bien dans la merde. Rien à voir avec les clichés de certaines séries télé, qui laissent à penser qu’il n’y a qu’agressivité et humiliations entre les détenu·es.

J’avais été placé seul en cellule, alors ces sorties d’une heure par jour pour socialiser, faire une partie de ping-pong ou du jogging, étaient bienvenues. Dans ma cellule je faisais différents exercices physiques dont de la musculation, ce qui n’est pas dans mes habitudes mais ça faisait du bien de se défouler contre la frustration. J’essayais d’écrire un maximum, sans me mettre de pression, autant pour me faire du bien en exprimant des sentiments que pour profiter de la situation pour produire des réflexions politiques. Il y avait quelques romans intéressants avec des thèmes politiques dans la bibliothèque de la prison, qui m’apportaient bien plus que l’inévitable télévision que j’allumais quand même assez souvent pour passer le temps et avoir quelques nouvelles générales (en plus d’une mise à jour sur la production actuelle de clips musicaux)...

Bien sûr je me prenais bien la tête sur cette action bien trop foireuse et mes choix et réactions qui m’avaient amené là, sur ce qu’il fallait que je dise ou ne dise pas, sur ce qu’il fallait que j’écrive à mes proches ou pas, ce que je pouvais demander à mon avocat, et ce qu’allaient décider les juges sur ma détention ou ma libération. J’espérais qu’il y allait y avoir une réaction politique contre cette répression, mais comme je le compris plus tard, mes complices essayaient plutôt de faire profil bas pour ne pas montrer des liens et incriminer d’autres personnes, tout en faisant un gros boulot pour planquer mes affaires et tout ce qui pourrait intéresser les flics, ne sachant pas s’il y allait y avoir des perquisitions ou pas. Ce n’est que vers la fin de ma détention que d’autres ami·es non impliqué·es ont été mis au courant et ont commencé à m’envoyer des lettres et des colis. En débriefant, nous nous sommes dit·es qu’une telle délégation du soutien de mes complices directs à d’autres ami·es aurait pu être faite plus rapidement.

J’étais enfermé assez loin de chez moi dans une ville non francophone, ce qui ne facilitait pas la tâche de mes complices, ne serait-ce que pour comprendre ce qui se passait. Heureusement, le groupe antirep de la région où j’étais enfermé avait été vite mis au courant, et j’ai pu recevoir des t-shirts et quelques articles d’hygiène un peu plus décents que le training et le gel-douche fournis par la prison. Il paraît que ce groupe a aussi rédigé un article pour dénoncer ma détention.

La décision de me mettre en détention préventive à la fin de ma garde à vue était justifiée par le « risque de collusion », qui signifie que ma détention visait officiellement à empêcher que je planque des trucs ou que j’avertisse des gens, ce qui n’avait pas trop de sens puisque j’avais été arrêté pour des faits qui s’étaient déroulés sur le moment. De fait, mes complices planquaient mes affaires et les flics n’ont pas perquisitionné. J’avais bien compris au moment où le juge a prononcé la détention préventive qu’il s’agissait d’une punition en soi, une de ses déclarations orales le signifiait explicitement. Comme j’avais un revenu ridiculement bas, je n’étais pas saisissable et il était très vraisemblable que mes chefs d’accusation aboutiraient à une peine pécuniaire que je ne paierai pas. Préventive, mon cul !

Vers la fin de ma détention, malgré que je tenais bien le coup et restais concentré sur ce qui me semblait important, j’ai bien dû constater que je craquais un peu nerveusement, autour d’évènements comme par exemple le blocage de certains colis envoyés par mes proches contenant des livres et surtout de la bouffe vegan et des vitamines. En préventive, l’administration carcérale peut empêcher l’entrée de livres ou autres objets pour éviter que des messages soient introduits de l’extérieur. Un maton, à qui je signalais que ce qu’on m’avait envoyé était neuf et sous emballage, m’a rétorqué que ça arrivait que des gens bien équipés ré-emballent à l’identique les objets pour les faire rentrer… Le truc quand on me dit ça c’est que je sens bien qu’ils s’en foutent que je sois ou pas dans une organisation mafieuse avec des gros moyens, c’est juste que le maton et la direction de la prison ont le pouvoir de me refuser mon colis, un point c’est tout ! Tout comme le médecin de la prison qui a répondu un « vous n’êtes pas à l’hôtel » à ma demande de suppléments alimentaires m’a en fait signifié « j’ai du pouvoir, pas toi ». Bref, ce n’était clairement pas la mort de tenir mon régime pendant quelques semaines alors que la prison fournissait sur demande un menu végétarien ou (environ une fois sur deux) vegan, et que je pouvais acheter quelques articles d’épicerie dans une liste limitée de produits, mais force est de constater que la bouffe ça me faisait stresser. Probablement une sorte de goutte d’eau qui faisait déborder le vase, vu l’ensemble des pressions, violences et contrariétés concentrées dans cette petite histoire.

J’ai l’impression qu’en prison on apprend pas mal de choses sur soi-même, et qu’on ne sait pas à l’avance ce qu’on va supporter ou pas. Je n’ai pas le sentiment d’avoir été traumatisé par les cinq flics qui m’immobilisaient et me tordaient les doigts pour prendre mes empreintes, par contre j’ai super mal vécu le stress des courriers de la justice après mon retour à maison. Il faut dire que le courrier n’arrivait pas à mon adresse réelle, et que plusieurs fois je l’ai récupéré et ouvert alors qu’il ne restait que très peu de temps pour répondre, communiquer avec mon avocat ou faire recours. J’étais submergé par des sentiments de malaise que je ne m’expliquais pas, outre par le fait d’être revenu dans ma vie à moi et de rester confronté malgré moi à cette parenthèse répressive. Je n’ai jamais trop su si la phase de déprime que j’ai subie quelques mois plus tard était plus ou moins liée à cette expérience.

Je n’avais pas beaucoup sollicité mes complices pour qu’on gère ensemble le suivi post-détention, parce que j’avais le sentiment d’avoir bien résisté : ce n’était somme toute que quelques semaines, les conséquences judiciaires ne s’annonçaient pas dramatiques et j’ai continué à m’impliquer dans la lutte. Mais je vois maintenant que tout gérer tout seul était une erreur, et je conseille après toute incarcération d’avoir un suivi collectif, ne serait-ce qu’à trois personnes, que ce soit pour des aspects pratiques ou psychologiques : relever le courrier, communiquer avec l’avocat·e, discuter des décisions à prendre, se demander régulièrement comment ça va, chercher des ressources extérieures si nécessaire.

Aujourd’hui je me dis que je saurai mieux à quoi m’attendre la prochaine fois que ça m’arrivera, je me connais mieux et j’aurais probablement une approche différente sur certains aspects. J’ai envie de dire à la fois qu’on a raison de se protéger de la répression et de la dénoncer, mais aussi qu’il ne faut pas la sur-dramatiser. Oui, si on lutte contre ce système et qu’on se met à le menacer, une partie d’entre nous sera confrontée à la prison. Et ce, quel que soient les modes d’action qu’on met en œuvre : un pouvoir aux abois emprisonne aussi des ultra-pacifistes et des légalistes. Ça peut être plus ou moins dur, alors autant s’y préparer. Beaucoup a déjà été écrit sur la survie en prison, qu’on pense à Jean-Marc Rouillan, au journal L’Envolée ou à tant d’autres. Pas mal de gens ont acquis une conscience politique plus aiguë lors de leur séjour en prison. Certains anti-militaristes suisses des années 1970, par exemple, faisaient plusieurs aller-retours entre l’intérieur et l’extérieur de la prison pour délit d’objection de conscience, ce qui était courant avant la mise en place du service civil. Ils développaient une critique du système carcéral, notamment en éditant des journaux, et des liens avec d’autres catégories de détenus dans une perspective de lutte des classes.

Enfin, pour finir en toute honnêteté, cette expérience est une de celles qui m’a montré qu’on est souvent moins héroïque que ce qu’on aimerait être. Ne pas avoir parvenu à politiser cette expérience jusqu’à maintenant, ne pas être parvenu à maintenir un lien avec l’intérieur, tout ça n’a pas manqué de me faire culpabiliser. Face à la répression on fait ce qu’on peut, on pourrait toujours faire mieux. Au final, je vois deux manières de mettre en échec la répression : Ne laisser personne seul·e face à elle, et continuer la lutte.

Je dédie ce texte aux gars que j’ai croisés en taule, à qui j’ai promis que je publierai ce témoignage. Faites passer le mot : en Suisse comme ailleurs, la majorité des détenu·x·e·s sont là parce qu’iels sont pauvres et étrangèr·exs. La prison est un outil d’oppression de classe au service d’une société raciste !

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