A relire :
Petit rappel historique
La présence en force des discours xénophobes et suprémacistes blancs en Suisse ne date pas de la montée de l’UDC dans les années 90. Ce parti n’a fait que reprendre et légitimer au plus haut niveau du pouvoir politique des discours et des pratiques qui définissent l’appartenance à la nation suisse en termes identitaires.
Durant la période coloniale européenne déjà, la Suisse et des Suisses·esse.x.s ont participé activement à son expansion et à sa légitimation pseudo-scientifique et idéologique. Si ce sujet commence très récemment à être discuté, la négation de ce fait historique a permis de vendre l’exception suisse et déresponsabiliser le pays et ses entreprises de l’exploitation du reste du monde extraoccidental. En Suisse, la peur de la surpopulation étrangère ou "Überfremdung" est une obsession politique depuis le début du 20e siècle. Cette notion devient un élément central qui participe à créer une distinction entre les « autres » et « nous » et à façonner une identité nationale suisse blanche à partir de la peur de la menace de l’étranger. Comme dans le reste de l’Europe, on assiste dès cette période à une montée du nationalisme et à une conception ethnique de la nation. La notion d’Überfremdung est institutionnalisée en Suisse à travers la « Loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers » de 1931. En pratique, cette loi fit en sorte que les migrant.exs soient trié·exs en fonction de critères « ethniques » et les personnes juives ont été particulièrement discriminées. L’Überfremdung ressurgit souvent dans la politique suisse, comme en témoignait par exemple en 2014 l’initiative de l’UDC « Contre l’immigration de masse ».
En Suisse, la peur de la surpopulation étrangère est un élément central qui participe à créer une distinction entre les « autres » et « nous ».
Après la Deuxième Guerre mondiale, la migration se gère avec l’aide du statut temporaire, précaire et sous-contrôle de saisonnier·ères, qui était une manière de protéger les intérêts de la bourgeoisie industrielle en lui fournissant une main-d’œuvre à bas coût tout en apaisant les craintes xénophobes. Mais les besoins en main-d’oeuvre de l’économie entrent en tension avec les parties les plus réactionnaires de la politique suisse. La tension culmine de 1968 à 1974 avec les initiatives populaires connues sous le nom « d’initiatives Schwarzenbach », du nom de l’élu du parti nationaliste Action Nationale. Celles-ci, refusées de peu, voulaient fixer dans la loi un maximum de 10 % de population d’origine étrangère par canton (sauf pour Genève) et empêcher le licenciement d’employé·exs suisses tant qu’il y avait des étranger·èrexs en activité dans la même entreprise. La continuité de l’UDC avec cette période est directe, puisque d’anciens membres du parti de Schwarzenbach « Mouvement républicain » ont rejoint l’UDC à sa création.
On assiste à cette époque à une racialisation des débats sur la migration, dans un contexte marqué par les décolonisations et l’arrivée de migrants d’origine post-coloniale, en majorité de réfugiés.
La « culture » et l’incompatibilité entre la culture suisse et celle des réfugié·exs devient le maître-mot pour maquiller les opinions racistes.
Après la Shoah, il était néanmoins difficile de parler de race ouvertement, la « culture » et l’incompatibilité entre la culture suisse et celle des réfugié·exs devient donc le maître-mot pour maquiller les opinions racistes. Là où, marquant son attachement au bloc impérialiste de l’Ouest, la Suisse accueillait à bras ouverts les réfugié·exs en provenance du bloc communiste, les discours racialisants sur l’arrivée de ces « nouveaux·ellexs réfugié·exs » sont pris dans des débats sur les « vrai·exs » et « faux·ssexs réfugié·exs » et par des appels à une restriction du droit d’asile.
Ces réfugié·exs sont présenté·es comme culturellement trop différent·exs des Suisses, comme un danger pour l’identité nationale. La question de la culture est souvent liée aux rapports de genre, puisque les hommes non-blancs et les saisonniers d’Europe du Sud sont présentés dans la campagne comme une menace pour les femmes suisses.
La question de la culture est souvent liée aux rapports de genre, puisque les hommes non-blancs et saisonniers d’Europe du Sud sont présentés comme une menace pour les femmes suisses.
Depuis les années 90, la politique d’immigration dite des « trois cercles » possède explicitement une connotation raciste, les deux premiers cercles (l’Europe et ses anciennes colonies de peuplement – USA, Canada, Australie etc.) sont considérés comme « moins distants culturellement », alors que les personnes du troisième cercle sont vues comme trop « différentes » et donc incompatibles avec les « valeurs suisses ». Depuis les invasions menées par les impérialistes yankees et leurs allié·es dans ces années-là, c’est l’Islam et la figure genrée et racialisée de « l’homme Musulman » qui cristallisent les discours racistes sur la prétendue incompatibilité culturelle des migrant·exs. L’UDC en a fait son principal argument politique, faisant porter aux « immigré·exs » la responsabilité de tous les malheurs du pays. L’islamophobie européenne ne date cependant pas du 11 septembre, elle est enracinée dans des siècles de discours faisant de l’Islam un ennemi.
Au même moment, on observe la montée de mouvements d’extrême droite violents. Ceux-ci sont de parfaits épouvantails, ils permettent à la bourgeoisie libérale de s’insurger contre l’extrémisme, tout en menant une politique tout aussi raciste.
L’islamophobie européenne ne date pas du 11 septembre, elle est enracinée dans des siècles de discours faisant de l’Islam un ennemi.
Dans ce contexte, l’UDC est parvenu à incarner une forme d’extrême-droite normalisée, enchaînant les succès dans les urnes depuis le début des années 1990. Il s’agit d’initiatives contre la « surpopulation étrangère » et l’immigration, dans la droite lignée de Schwarzenbach, mais le parti a aussi su prendre le pli du tournant islamophobe international :
- 1993 : "Contre l’immigration clandestine"
- 2000 : "Contre les abus dans le droit d’asile"
- 2005 : "Pour des naturalisations démocratiques"
- 2008 : "Contre la construction de minarets" et "Pour le renvoi des étrangers criminels".
La propagande raciste de l’UDC
L’agenda suprémaciste et raciste de l’UDC est très clair dans sa manière de se représenter le monde et ses différents antagonismes, qui se montrent régulièrement au rythme de ses initiatives illustrées par une propagande écœurante et déshumanisante. Tout le monde a en tête une affiche d’une de leurs initiatives, associant un minaret à un missile ou une femme voilée à un hooligan masqué, amalgamant à tour de bras tout ce que leur monde moisi méprise. Malheureusement ce parti de merde est un parti bourgeois avec des gros moyens financiers, et en Suisse l’argent permet d’acheter l’espace public et les images qui y circulent. Ainsi, depuis plusieurs décennies, ils colonisent le paysage visuel et polluent nos imaginaires avec des illustrations racistes, sexistes, islamophobes et suprémacistes.
Ces différentes images ne constituent pas quelques amalgames ponctuels permettant de générer de la peur et de la haine afin d’obtenir quelques voix de plus. Il s’agit d’un réel programme politique, construisant année après année un imaginaire de suprématie blanche. Pour ce faire, l’UDC s’acharne à stigmatiser ses deux cibles favorites : les « étranger·èrexs » et l’Islam. En associant systématiquement des représentations de personnes racisées (issues directement de l’imaginaire colonial) avec des images et des termes violents (« criminalité », « insécurité », « destruction », « démesure ») et en s’acharnant à amalgamer Islam et extrémisme, l’UDC se fraie un chemin dans nos esprits et tente de nous faire adopter leur imaginaire essentialiste et raciste. Ce parti joue à plein sur l’imaginaire colonial en utilisant la symbolique et les discours fémonationalistes [1], qui font des hommes racisés des menaces pour les femmes blanches et des hommes blancs leurs sauveurs.
En associant systématiquement des représentations de personnes racisées avec des images et des termes violents, l’UDC tente de nous faire adopter leur imaginaire essentialiste et raciste.
En martelant nos têtes à coups de codes et de symboles ouvertement racistes et dégradants, ils veulent nous faire adhérer à leur idéologie : celle d’un peuple suisse blanc, chrétien et "pur", à préserver des « autres » – à peu près tout ce qui n’est pas un homme blanc et bourgeois. Cette idéologie raciste, centrale dans la constitution de l’identité blanche occidentale, se perpétue depuis la colonisation et prolonge une séparation racialisante entre un « nous » et un « eux ». La stigmatisation des personnes racisées, l’exclusion de l’Islam d’une quelconque appartenance à la Suisse et les représentations dégradantes des « étrangers » permettent ensemble de construire en creux le sujet Suisse, et d’homogénéiser son identité autour d’un rejet de « l’autre ». À travers ses images et sa propagande, l’UDC illustre bien son affiliation à une conception coloniale et racialisée du monde et infeste le paysage visuel de son dégoût et de sa haine des « autres » afin de justifier une politique mortifère, raciste et islamophobe.
Disposant d’une large marge de manœuvre en Suisse, du fait qu’il n’a jamais subi les conséquences de ses affiches et que les demandes d’interdiction et de condamnation ont été systématiquement refusées, ce parti pousse toujours plus loin ses amalgames extrêmement violents. La norme pénale antiraciste n’étant là que pour faire joli [2], pour faire miroiter une image de la Suisse comme patrie des droits humains.
La stigmatisation des personnes racisées, l’exclusion de l’Islam d'une quelconque appartenance à la Suisse et les représentations dégradantes des « étrangers » permettent ensemble de construire en creux le sujet Suisse.
De plus, grâce à la normalisation du discours et des représentations racistes et islamophobes dans l’espace public, leurs campagnes sont toujours largement médiatisées et les polémiques déclenchées par l’utilisation de telles images dégradantes, provocantes et caricaturales leur assurent une visibilité dans de nombreux médias occidentaux. Grâce à cet élan de diffusion, l’UDC influence nombre de partis fascistes et néonazis en Europe. Suite à certaines campagnes de propagande, certaines images, et parfois des affiches entières, ont été récupérées et utilisées afin de nourrir des discours similaires dans plusieurs pays. La campagne d’affichage malheureusement bien connue des moutons blancs éjectant un mouton noir du territoire Suisse a inspiré et nourri des illustrations d’autres groupes d’extrême droite, notamment le parti néo-nazi allemand NPD, le parti d’extrême droite tchèque Usvit ou encore le parti espagnol nationaliste Democracía Nacional du même bord politique.
Ces influences ne sont certainement pas hasardeuses, et l’on constate bien que l’imagerie de l’UDC correspond, dans toute sa sauvagerie et sa haine, à une conception du monde suprémaciste et racialisée plus large. Ainsi le parti de l’UDC, promu directeur artistique des suprémacistes blancs et fascistes européens, procède en toute impunité à nourrir un imaginaire colonial et essentialisant dans un territoire où la production de telles images ne rencontre quasiment aucune limitation.
Conclusion
En plus de l’impact matériel direct des initiatives promues par ce parti – p.ex celle de 2014 qui a rendu l’accès au travail quasiment impossible pour les personnes venant de la migration extraeuropéenne —, les amalgames racistes véhiculés par l’UDC ont des conséquences directes et graves sur la vie des personnes visées. Ses sales visuels racistes et slogans caricaturaux rendus omniprésents contribuent à déshumaniser les personnes raciséexs, à attiser la haine et la peur et à légitimer les actes violents, les injustices à leur encontre. Mais ce n’est pas le seul parti prenant part à cette violence, loin de là. L’UDC sert même d’épouvantail aux autres qui peuvent ainsi passer pour respectables et dignes tout en mettant en place un système d’asile criminel, ou soutenir la police qui assassine.