Répression - Enfermement Procès Critical Mass soirée de soutien

Critical Mass : la victoire c’est dans la rue !

Vendredi 26 août 2022, 6 personnes passaient devant la justice pour une Critical de juillet 2020. Ce texte revient d’abord sur le déroulement du procès et les choix stratégiques de défense collective qui ont été fait. Le but est de faire connaître ce qu’il se passe en salle d’audience aux personnes qui n’y ont jamais été et mieux se préparer face à une justice dont les mécanismes restent volontairement obscurs, mais aussi de montrer ce qui a été possible dans notre cas, et, pourquoi pas, proposer des pistes de réflexions sur ce sujet. Ce texte revient aussi sur la mobilisation extérieure pendant et après le procès, la Critical qui a suivi le jour même, et annonce la prochaine soirée de soutien !

Genève |

Le procès

Déroulement

Vendredi 26 août 2022, 6 personnes passaient en procès pour la Critical Mass de juillet 2020. C’était la suite juridique de la répression policière et politique de la Critical entre 2020 et 2021, puisque deux autre procès ont déjà eu lieu pour des Critical de cette même période [1] (et d’autres vont encore arriver). Parmis les 6, certain.es étaient accusé.es d’avoir traversé une ligne blanche, d’autres d’avoir diffusé du son, d’autres encore de s’être arrêté.es sur la route. Pour le procès, les avocat.es de la défense avaient réussi à obtenir une jonction des procédures, à savoir que les 6 personnes soient jugées ensemble durant la même audience.

L’audience était en même temps longue et expéditive. Longue, parce qu’on se fait chier dans une salle de tribunal. Le théâtre juridique met des plombes à se mettre en place : il faut d’abord passer des portails de sécurité à l’entrée comme dans les aéroports et on rentre au compte-goutte après une fouille, ensuite il faut attendre que Mme la Juge veuille bien arriver et faire toutes les présentations d’usage, et quand tout ça est enfin en place, il faut encore se taper les quelques heures de “discussions” et interventions ultra-protocollées où personne n’a le droit de prendre la parole spontanément. Et pour ne rien arranger, on était 6 à être entendu.es, donc 6 fois plus de questions, de défense, etc. Mais paradoxalement, c’était aussi expéditif, puisque la juge Alexandra Banna, visiblement de droite et de toute évidence hostile aux accusé.es, n’a pas trouvé de bon goût d’accorder de prendre les pauses habituelles (après les réquisitions de preuves de la défense et après les interrogatoires). Evidemment il ne faut pas s’attendre à mieux de la part d’une juge d’un tribunal de police dans une affaire de conflit social. Mais c’est quand même marrant de constater que cette mascarade juridique cache parfois mal son jeu : lorsque les avocat.es de la défense plaidaient, ni la juge, ni le greffier ne prennaient des notes ou n’accordaient de l’attention à ce qui était dit. Pareil lors des réquisitions de preuves du début : après la longue déclamation de la défense qui attaquait la validité formelle et matérielle des ordonnances pénales, la juge, qui a écouté tout ça bien distraitement, s’est contentée de tout invalider en bloc sans plus d’explications. Bref, c’était long et chiant, mais aussi expéditif puisque la juge n’écoutait rien.

Stratégies de défense

Sur les 6 personnes accusé.es, 5 l’étaient pour “entrave à la circulation routière avec mise en danger” et une pour “excès de bruit : diffusion sonore non-autorisée sur la voie publique”. Toutes ont reçu des ordonnances pénales avec amende. Les 5 premières de 500 CHF + 150 CHF de frais de dossiers, la 6e de 300 CHF + 100 CHF de frais de dossier. Cela dit, ces accusé.es n’ont pas forcément été controlé.es en même temps au même endroit, et les rapports de police étaient assez différents, ce qui a mené à des stratégies de défense différentes.

Le premier axe plaidé par la défense était la validité formelle des ordonnances pénales reçues. Normalement, les ordonnances pénales doivent être signées manuscritement par quelqu’un d’identifiable. Or, les 6 personnes avaient sur leur ordonnance pénale une signature électronique exactement identique, au même endroit de la page, sans qu’on puisse vraiment savoir qui l’a signée. En bref, la défense a montré que le service des contraventions (qui émet les ordonnance pénales) a une signature électronique préenregistrée dans son fichier word et que cela suffisait à classer les procédures puisque les ordonnances pénales n’étaient pas valides. La juge a balayé cette attaque d’un revers de manche et a ordonné la poursuite de l’audience en maintenant la validité de ces ordonnances pénales sans plus d’explications. Elle a aussi refusé la demande d’audition des policiers qui ont écrit les rapports de police et procédé aux interpellations, à une exception près.

Pour les auditions lors du procès [2], différentes stratégies ont été adoptées. Une première personne a choisi de répondre aux questions personnelles [3] mais de ne pas répondre aux questions sur les faits, en faisant valoir son droit à ne pas s’auto-inculper. 2 témoins ont été entendu, dont Sébastien Glauser, le keuf qui l’a interpellée. Il dit dans son rapport qu’il a interpellé la personne en question car il a reconnu sa veste avant de “prendre la fuite”, alors qu’il n’y a eu aucune injonction à s’arrêter. Le rapport de police était donc faux.

Deux autres personnes ont choisi de ne répondre à aucune des questions posées par la juge, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que ne pas répondre aux questions des flics ou des juges est une des dernières armes qu’il nous reste dans un commissariat ou dans un tribunal : à la fois le droit de garder le silence, à la fois le droit de ne pas s’auto-inculper ni inculper d’autres personnes. Ensuite, ne pas répondre aux questions personnelles, c’est refuser que la justice établisse notre “profil” et nous juge sur cette base. Autrement dit, c’est refuser d’être jugé.e sur autre chose que les faits. C’est également refuser de donner des informations nous concernant à la justice, même si on sait très bien que la juge peut facilement les obtenir autrement. Enfin, ne pas répondre aux questions sur les faits, c’est refuser la légitimité de la juge, des tribunaux et de la justice dans son ensemble de juger nos actes et de prononcer une sanction ; en bref, c’est refuser la mascarade juridique dans son ensemble. Même si c’est un droit, les juges n’aiment pas quand on ne leur répond pas ; la juge Banna a essayé d’intimider et de faire parler les deux accusé.es, qui n’ont pas cédé.

Les deux dernières personnes (la 6e n’était pas là) ont choisi de répondre aux questions personnelles et à celles sur les faits. Ce choix stratégique s’est basé sur deux éléments : d’abord, parce que le tribunal ne peut pas accorder plus de valeur au témoignage des rapports de keufs qu’à ceux des inculpé.es sans laisser ces dernier.es interroger les témoins (en l’occurence les auteurs des rapports de police). Or, la juge avait refusé en début de procès l’audition des keufs impliqués dans l’affaire, elle ne pouvait donc pas croire d’emblée les rapports de keufs, qui étaient les seuls éléments à charge contre les inculpé.es. De cela découlait la deuxième raison, qui est que les témoignages des inculpé.es donnaient une version très différente des rapports de police. Par exemple, alors que le rapport de police disait que les personnes qui s’étaient arrêtées sur la route avaient “mis en danger la sécurité des autres usagers de la route”, les deux personnes ont rectifié à juste titre qu’il n’y avait pas d’autres usagers de la route à mettre en danger. Les seuls à être derrière le cortège à ce moment, c’était les fourgons de keufs et autres paniers à salade prêt à interpeller les gens. Impossible donc d’avoir “mis en danger les autres usagers de la route”.

Verdict

L’efficace plaidoirie des trois avocat.es de la défense a visiblement mis à mal la juge et ses volontés expéditives dans la procédure, puisqu’il lui a fallu plus de 25 minutes pour rendre son jugement. La défense concluait au classement de l’ensemble des procédure, subsidiairement à l’aquittement de toustes les prévenu.es et au dédomagement des frais d’avocat.es. La juge a finalement aquitté les 6 personnes, mais a refusé de couvrir l’ensemble des frais d’avocat.es demandés, dernier signe de son mépris envers celleux qui ont pris du temps pour organiser une solide défense collective. Alexandra Banna, sache qu’on te méprise aussi.

Mais comme pour les deux autres procès, l’affaire ne s’arrête pas là puisque le ministère public a fait appel au jugement. L’archarnement judiciaire contre la Critical Mass continue donc [4]. Mauro Poggia [5] avait déjà dit dans la presse qu’il voulait faire plier la Critical Mass. Il l’a redit dans la presse après le jugement : “la justice est instrumentalisée”, la Critical Mass est “la mise en cause de notre ordre juridique”, il faut mater les “crypto-meneurs”. Encore une preuve que la répression de la Critical Mass est purement politique et n’a rien à voir avec la recherche de vérité ou de justice.

Ce qu’on en retient

Voici quelques éléments qu’on retient de cette affaire.

  • Sur le fait d’avoir un procès : passer devant une juge c’est pas agréable et c’est stressant. Mais ça a permis à certain.es d’entre nous de s’informer sur le fonctionnement de la justice et des tribunaux, et de réfléchir et discuter sur comment se préparer à une confrontation avec la justice dans un contexte répressif comme celui-là.
  • Sur la question du mobile honorable [6] : on a refusé de plaider le mobile honorable. Si cette réflexion doit être approfondie, il est clair qu’on refuse de laisser à l’appréciation d’une juge le luxe de décider si nos actions et nos idées sont “honorables” aux yeux de la justice ou non, et si cette honorabilité “mérite” d’être aquittée ou non.
  • Sur la défense technique : un axe important de la défense était technique et attaquait la validité formelle des ordonnances pénales. C’est un choix étonnant, mais qui permet de demander le classement sans suite des cas, autrement dit que la justice ne juge pas les affaire puisqu’il n’y a rien à juger. Ca permet aussi de montrer que le travail de répression a été mal fait, et de le démonter.
  • Sur l’aquittement : on était très content.es d’être aquitté.es (même si entre temps le ministère public a fait appel du jugement), mais en même temps on n’attend rien de cette justice. La vraie victoire est dans la rue, quand la Critical continue malgré la répression. La vraie victoire, c’est quand on était près de 1’000 personnes aux printemps 2021. La vraie victoire est politique, puisque ces doubles aquittements (doublement contesté) permettent de dire à Poggia qu’il se met le doigt dans l’oeil jusqu’au coude en voulant réprimer la Critical.
  • Sur les stratégies adoptées : plusieurs stratégies ont été adoptées lors de ce procès, notamment dans le fait de répondre aux questions ou pas, en fonction de plusieurs éléments. C’est la preuve que (parfois), diverses tactiques peuvent coexister et même se compléter au tribunal, si elles sont d’abord réfléchies et passent par une défense collective.
  • Sur la défense collective : c’est l’élément fondamental qui nous a permis d’affronter ensemble cette épisode, et de déterminer ensemble les choix stratégiques pour faire face à la répression. En cas de pépin avec la police, on se rappelle de contacter le groupe antirep de Genève à cette adresse : antirep-ge@riseup.net !

Mobilisation externe

Dans la salle

L’audiance avait lieu à 13h30. En plus des journalistes, une dizaine de personnes sont venues dans la salle d’audiance pour soutenir les prévenu.es, ça fait toujours grave plaisir, et surtout ça met (parfois) la pression sur les juges. En 2010, 2 personnes étaient accusées d’être les organisateurs de la Critical Mass. 70 personnes étaient venues voir le procès. Avec une défense solide et la pression du public, le juge avait aquitté les 2 prévenus [7].

Devant le tribunal

Au premier procès (août 2021), plus de 100 personnes étaient venues en solidarité avec les 5 inculpé.e.x.s. Cette fois, 250 personnes sont venues soutenir les 6 inculpé.es à partir de 17h30 devant le Palais de Justice. 2 banderoles ont été déployées pendant que 3 discours étaient prononcés. On en a profité pour démarrer la Critical depuis là, en passant bien sûr à la Place des Grottes choper celleux qui s’y étaient rassemblé comme d’habitude. En tout on était bien 700 lors de cette Critical, la preuve que même quand la justice déraille, la Critical (re)passe !

Sur l’autoroute

En comptant le rassemblement de soutien, la Critical d’août a duré plus de 4 heures ! Il y avait plein de monde et de motivations, des banderoles ont été accrochées sur des ponts, plusieurs sono étaient tirées, des charettes en tout genre... bref, la Critical ! La déter était telle qu’une partie du cortège a même réussi à aller sur l’autoroute.

On a beaucoup entendu parler de ça dans la presse, et les journalistes de droite n’ont pas hésité à cracher leur venin sur la Critical en avançant l’argument sécuritaire du trafic. Il faut préciser ici que lorsqu’une partie du cortège est monté sur la bretelle d’autoroute devant la Praille, le reste du cortège était déjà au croisement qui permet d’aller sur le pont-autoroute. Il n’y avait donc pas de risque de collision entre une voiture et des cyclistes.

Rapidemment, quelques flics à moto ont bloqué la route et empêché le cortège d’avancer. Ils ont vite été rejoint pas un fourgon de keufs anti-émeute, et nous ont fait sortir par un accès latéral. Aucune interpellation mais quelques personnes gazées. Poggia gémit dans la presse en disant qu’“il aurait fallu 100 policiers au lieu de 17” pour mettre des amendes ; 100 keufs pour 60 personnes, merci l’artiste !

Une fois de plus, on voit que les vraies victoires politiques se gagnent dans la rue ! Face à la justice on était 250 devant le tribunal en soutien aux 6 inculpé.es. Dans la rue on était 700 pendant plus de 4 heures ! Le vraie rapport de force était là, pas dans le verdict d’une juge de tribunal, ni sur un boût d’autoroute où, franchement, on s’est bien marré !

Soirée de soutien ce vendredi 30 septembre à l’Ecurie !

Comme la répression de la Critical ne s’arrête pas là, que les 3 premiers procès sont encore en cours et que d’autres vont arriver, c’est l’occasion d’une soirée de soutien ! Rendez-vous ce vendredi 30 septembre à l’Ecurie (Ilôt 13, Grottes) après la Critical !

Au menu :
  • Ouverture des portes 21h / Fin 02h
  • Infokiosque
  • Cocktail de soutien
  • Frites de soutien
  • DJ Mitch et Bassment ! aux platines

Et bien sûr rendez-vous avant à la place des Grottes, 18h30, pour la Critical !

P.S.

  • Cette année c’est les 30 ans de la Critical Mass. Un événement a lieu ce week-end à Berne, les infos sont ici.
  • C’est possible que les frites de soutien soient remplacées par des pizza de soutien

Agenda

Critical Mass + soirée de soutien

 vendredi 30 septembre 2022  18h30 - 02h00
 vendredi 30 septembre 2022
18h30 - 02h00
 Place des Grottes // L’Ecurie (Ilôt13), Genève,

 

Notes

[1Le premier procès, qui a eu lieu en août 2021, concernait 5 personnes interpellées lors de la Critical de juin 2020. Plus d’infos sur cet article. Le deuxième procès, qui a eu lieu en avril 2022, concernait un habitué de longue date de la Critical, qui était accusé d’empêchement d’accomplir un acte officiel (i.e. délit de fuite) et refus d’obtempérer. Plus d’infos sur cet article. Pour un historique de la séquence répressive 2020-2021, voir cet article.

[2moment où la juge pose les questions aux accusé.es.

[3du type : où t’habites, c’est quoi ton métier, ton salaire, ton loyer, est-ce que t’es marié.e, etc. Officiellement, ces questions permettent à la juge de connaître la situation économique de l’inculpé.e pour appliquer une sanction proportionnée.

[4Au premier procès (août 2021), les prévenu.es n’avaient pas été aquittés, iels ont donc fait appel à la décision. Au deuxième procès, le prévenu a été aquitté, mais le ministère public a aussi fait appel au jugement

[5Ministre en charge du Département de la Sécurité, de l’Economie et de la Santé (DSED) et donc en charge de la police à Genève

[6Le mobile honorable, c’est quand la juge t’accuse de quelque chose mais juge que la cause pour laquelle tu te bats est honorable, et donc réduit la sanction, voire t’aquittes.

[7Voir cet article, 3e note de bas de page.

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