Répression - Enfermement Racisme

Il y a dix ans : l’Office fédéral des migrations tue

Le 17 mars 2010, Joseph Ndukaku Chiakwa un requérant d’asile nigérian mourait lors de son expulsion de force à l’aéroport de Zürich. Quelques jours plus tôt les maton·ne·s laissaient Skander Vogt mourrir dans sa cellule à la prison de Bochuz. Le 17 avril, c’est Umüt Kiran qui est tué d’une balle dans la tête par un policier vaudois. La responsabilité de l’État ne fait aucun doute dans ces trois assassinats représentatifs du système répressif Suisse. D’un côté le système carcéral, de l’autre le système d’ “asile” et pour finir la police et la violence qui va avec.

Zürich |

Si nous revenons aujourd’hui, dix ans après, sur ces trois cas, c’est d’abord pour ne pas oublier celleux qui sont mort·e·s des mains de l’État en Suisse. Ensuite pour ne pas pardonner aux responsables de ces exactions : les exécutant·e·s mais aussi les dirigeant·e·s qui mettent en oeuvre des politiques racistes et répressives. 10 ans après, les procédures judiciaires suivant ces trois affaires sont toutes closes, et elles ont le mérite d’avoir démontré que le travail de la justice, dans ce genre de cas, consiste principalement à blanchir l’État et ses sbires.

La lutte continue, car la liste des mort·e·s continue de s’allonger d’année en année. On l’a vu avec les décès d’Hervé Mandundu en 2016, Lamine Fatty en 2017 et Mike Ben Peter en 2018.

Comme une impression de déjà vu

D’après l’enquête du Parquet de Zürich, c’est une grave maladie du coeur non diagnostiquée qui a coûté la vie à Joseph Ndukaku Chiakwa le 17 mars 2010 à l’aéroport de Zürich. Pour Augenauf, une organisation suisse-allemande de défense des droits humains, il y a un lien direct entre la grève de la faim, l’état d’agitation et l’infarctus qui a touché le Nigérian. Pour l’organisation, ces éléments indiquent bien que l’homme vivrait toujours si les autorités avaient renoncé au niveau IV du renvoi.

"Si ils me crèvent est-ce qu’ils diront que j’suis cardiaque ?
C’est les keufs ou nos coeurs qui font des attaques ?"
Alivor, Arrêt du coeur.

Une grève de la faim de 6 semaine

Le 17 mars 2010 Joseph Ndukaku Chiakwa est en grève de la faim depuis au moins 6 semaines pour protester contre son expulsion. Il a perdu 30 kg et ne pèse plus que 60 kg alors qu’il mesure 1m80. Pourtant sur la liste des passagers à expulser la mention « sain » apparait à côté de son nom. La communication semble être compliquée à l’aéroport de Zürich entre les différents acteur·ice·s de ce renvoi. Le médecin et l’infirmière refusent de communiquer sur l’état de santé des personnes renvoyées, invoquant le secret médical et professionnel. Mais l’infirmière aurait tout de même envoyé un fax ou il était écrit « ok, rien à déclarer » alors que dans la fiche personnelle sur Joseph Chiakwa elle faisait mention du début et de la poursuite de la grève. Alors qu’iels sont au courant du refus du corps médical de transmettre les informations sur l’état de santé des personnes renvoyées, les responsables de l’Office fédéral des migrations se basent quand même sur leurs informations pour confirmer le renvoi. L’agent de la police aéroportuaire qui est chargé de déterminer si la personne est apte à voyager n’a de son côté "jamais eu l’impression qu’il était malade".

Neuf policiers, des menottes et un casque

Dans l’après-midi, neuf officiers de police cantonale se rendent dans la cellule de Joseph Chiakwa qui est déjà menotté et casqué. Cinq d’entre eux entament la procédure de fouille intégrale pendant que les quatre autres assistent à la scène. Les menottes et le casque sont seulement enlevés pour la palpation des aisselles et des cheveux. Les neuf officiers déclareront ne pas avoir été mis au courant de la grève de la faim de Josef chiakwa.

Il est ensuite transféré dans un autre batiment ou le ligotage définitif doit avoir lieu. Lorsque les policiers lui enlèvent ses menottes il « agite ses mains » et est immédiatement plaqué au sol et immobilisé au niveau des jambes et de la tête, en position latérale. Les agents lui remettent les menottes, le soulèvent, le mettent sur une chaise et mettent un filet de protection sur son casque. Tous les policiers affirment qu’à partir de ce moment il est « passif » et que sa tête penche en avant.

Néanmoins les officiers poursuivent la procédure normalement et l’attachent à une chaise roulante. Sa tête pend toujours en avant. Les policiers contrôlent sa respiration à la main, sentent qu’il respire encore et le déplacent dans une autre pièce. Ils appellent le médecin, qui aurait dû être là au début de la procédure, ainsi qu’un auxiliaire médical. Un policier soulève sa tête "un peu pour qu’il puisse mieux respirer". Le fait qu’il ne réponde pas aux questions est interprété comme "une sorte de résistance passive en refusant de répondre". Joseph Chiakwa est toujours complètement attaché et porte le casque avec filet de protection.

Quand l’ambulancier arrive vers 21h45, le médecin est introuvable. Les officiers lui disent qu’il n’a pas réagi depuis "quelques minutes". L’ambulancier mesure son taux de sucre dans le sang, vérifie son pouls et sa respiration. Alors qu’il est mourant, Joseph Chiakwa est toujours ligoté et porte le casque avec filet. Ce n’est que lorsque l’ambulancier ne sent plus son pouls qu’il demande aux officiers d’enlever casque et menottes et de placer Joseph Chiakwa sur le sol. Comme aucune activité cardiaque ne peut être détectée, le médecin effectue un massage cardiaque. À 22h05, les ambulanciers du service de secours de l’aéroport arrivent et prennent en charge le massage cardiaque. A 22h10, l’équipe de la Rega arrive avec un médecin. Joseph Chiakwa est allongé sur le sol, les bras tendus. Le médecin est informé que les tentatives de réanimation se poursuivent depuis une trentaine de minutes sans réaction. Le médecin décide alors de les arrêter. Joseph Chiakwa est mort.

Qui sont les criminel·le·s ?

À la suite de cet événement tragique, les vols spéciaux seront suspendus pendant deux mois. Ceux à destination du Nigeria ne reprendront qu’en 2011 lorsque la Suisse et le Nigeria auront retrouvé un accord sur l’abaissement du niveau de contention. Loin de remettre en question ses pratiques, l’Office fédéral des migrations et notamment son directeur M. Alard du Bois-Reymond, entreprend en avril 2011 une campagne de dénigrement raciste pour « stopper les abus » des requérant·e·s d’asile nigérian·ne·s. En affirmant notamment que « ces personnes ne viennent pas ici en tant que réfugié·e·s mais pour faire des affaires illégales » ou encore qu’ « une grande partie de ces demandeur·euse·s d’asile sont actifs dans la petite criminalité ou le trafic de drogue », il essaie de construire un argumentaire qui permet de légitimer les exactions étatiques à l’encontre de personnes précarisées par le système d’asile. L’État montre généralement peu d’empathie pour ses victimes et leurs proches. Le CRAN (Carrefour de réflexion et d’action contre le racisme anti-noir) dénoncera cette communication dans un communiqué. 

Comme pour faire diversion, et alors que le cadavre du jeune Nigérian mort est encore dans ses mains et que les responsabilités restent à établir, le chef de l’ODM blesse avec insistance la sensibilité de sa famille autant que de l’ensemble des Nigérian·ne·s, en se gargarisant d’accusations péremptoires réduisant le défunt et ses semblables à des vulgaires criminels.

Salir l’image du défunt est, comme on le voit souvent, la première stratégie employée par l’État pour légitimer des crimes policiers. Pour défendre sa politique l’Office fédéral des migrations inverse les causes et les conséquences. Selon lui, ce ne sont pas les conditions précaires liées à la non-entrée en matière qui poussent les personnes vers la criminalité mais leur origine.

Une violence inérente au système

Le 7 juillet 2011, lors du premier vol spécial vers le Nigéria depuis l’affaire, un jeune requérant de 19 ans fait demi-tour alors qu’il se dirige vers l’avion pieds et mains liées. Un policier le frappe au sol de plusieurs puissants coups de matraque alors qu’il est entouréde six autres agents. La scène est filmée et publiée dans les médias. Suite à cet événement l’Office des migrations redonne l’autorisation de ligoter intégralement les requérant·e·s lors de renvois vers le Nigéria. Une nouvelle fois la violence exercée par l’agent ne semble pas poser de problème à l’ODM. Ce qui démontre que ces actes ne sont en rien des bavures mais l’application assumée de la politique d’asile suisse. C’est cette politique qui a tué Joseph Ndukaku Chiakwa, elle a tué d’autres personnes avant et elle en tuera d’autres après. Le fait que le fond du problème réside dans la politique d’un État, et pas dans des personnes, n’efface en rien la responsabilité des exécutant·e·s.

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