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Fermeture des bunkers : l’Hospice général et l’art de la récupération politique

Genève, le 23 janvier 2018 – Avec trois ans de retard, l’Hospice général annonce la fermeture des abris PCi dans un communiqué cynique et mensonger.

Rappelez-vous janvier 2015, quand Genève découvrait que l’accueil et l’hébergement des personnes en exil dans le canton consistaient en des dortoirs sous-terrains surpeuplés et insalubres dans les bunkers de la Protection civile. «  Nous vivons sous terre, entassés, sans fenêtres, sans air, sans soleil, pour certains depuis plus d’une année. Nous avons de gros problèmes d’hygiène, de nourriture et de sommeil, qui altèrent gravement notre santé tant physique que psychique.  » C’est ainsi que 117 personnes dénonçaient leurs conditions de vie dans une lettre ouverte datée du 23 janvier 2015. Les personnes en exil rassemblées au sein du collectif Stop Bunkers déclenchaient un mouvement de plusieurs mois qui allait ébranler la tranquillité genevoise et mettre en lumière le traitement réservé à des centaines de personnes déjà profondément affaiblies.

L’Hospice général, en charge de l’hébergement et dirigé par Christophe Girod, reconnaissait le 26 février 2015 dans sa réponse les conditions « humainement insatisfaisantes » qu’il imposait aux personnes à sa charge. Mauro Poggia, le magistrat de tutelle de l’Hospice, renchérissait en insistant sur les efforts des autorités pour trouver des solutions à cette situation.

Stop Bunkers, 2015 : «  On veut de l’air pas du vent  ». 2018 : Christophe Girod et Mauro Poggia n’ont cessé d’en brasser.

Afin de neutraliser une première fois le mouvement de grogne, les autorités trouvent peu à peu des hébergements hors des abris sous-terrains pour les membres du collectif Stop Bunkers. Mais rien n’avance concrètement vers leur fermeture, aucun projet n’est annoncé, et le nombre d’abris ouverts ne cesse de grimper. L’occupation du Grütli, en juin 2015, suite à l’annonce du transfert sous-terre d’habitants du foyer des Tattes pour les remplacer par des familles syriennes qui arriveront des années plus tard, fait monter la tension d’un cran. Un été chaud, avec des milliers de personnes solidaires dans la rue et plus d’une dizaine de manifestations sauvages, oblige les autorités à prendre des engagements clairs : une fermeture définitive des abris PCi pour la fin 2016. Il faut dire que de Human Rights Watch à Amnesty, en passant par les médecins et psychiatres, les condamnations pleuvent sur la Genève internationale soucieuse de son image.

« Mettre des gens longtemps dans des abris PCi n’est pas humainement acceptable et il faut trouver d’autres solutions. […] On aurait dû et pu anticiper. » Mauro Poggia, 26 juin 2015 ( dans le « 24 heures »)

Au sortir du mouvement No Bunkers de l’été 2015, tout en menant une répression policière féroce et en couvrant des “bavures” à répétition, les autorités sont bien obligées de sortir la tête du sable. Après des mois de luttes, la politique de l’autruche doit laisser place à l’action. De nombreux projets sont annoncés et la fameuse Task Force du Conseil d’État est formée. Un bâtiment vide dans le quartier des institutions internationales est indiqué aux autorités par le mouvement, preuve que des solutions d’urgence existent. Le futur foyer Appia permettra ainsi à 180 personnes d’échapper aux bunkers.

Mais le réveil va être difficile, et longue la gueule de bois. Alors que les autorités communales et cantonales sont incapables de s’entendre et que 7 bunkers sont toujours ouverts, l’Hospice général annonce la larme à l’œil la prochaine destruction du foyer Frank-Thomas. Bien que la rénovation de ce centre d’hébergement de 135 places s’impose comme une évidence voire une formalité, il faut un nouvel été de mobilisation, et l’occupation du bâtiment par ses résidents, pour que la situations se débloque. Et pendant ce temps, toujours aucun nouveau projet en vue.

L’Hospice général et l’urgence de ne rien faire

Que s’est-il donc passé entre le 23 janvier 2015 et le 23 janvier 2018 ? En reprenant éhontémment une date symbolique de la lutte contre les conditions d’hébergement pour pondre son communiqué victorieux, l’institution n’hésite pas à manipuler les faits, voire à tout simplement mentir.

On peut ainsi lire que cette fermeture serait due tout d’abord à « la nette baisse du nombre d’arrivées de migrants » dès 2017. Or un rapide coup d’œil sur les statistiques de la Confédération, nous montre dès l’année 2016 une baisse régulière des nouvelles demandes, lesquelles sont en 2017 à leur chiffre le plus bas depuis 7 ans. Durant ces trois années, en même temps qu’elles regrettent le manque d’anticipation et reconnaissent qu’elles imposent des conditions de vies inhumaines aux personnes en exil, les autorités se contentent d’attendre.

Ou alors, sont-elles absorbées par « la recherche de logements et l’ouverture de nouveaux centres d’hébergement » tel qu’affirmé plus loin ? Le cynisme étant de mise dans ce dossier, Christophe Girod n’a jamais hésité à s’approprier l’ouverture du foyer Appia et la rénovation de Frank-Thomas comme des victoires personnelles. Il a pourtant mis plus d’énergie à punir les résidents qui avaient osé se mettre en lutte, plutôt que de reconnaître sa dette à leur égard. Quant au « centre d’hébergement collectif ouvert à Satigny », il s’agit dans les faits de modules préfabriqués temporaires installés dans un ancien camping et pouvant accueillir seulement 20 familles.

Trois ans de travail résumés en une page vierge

Difficile de tirer un quelconque bilan de trois ans d’action de Christophe Girod comme directeur de l’Hospice général, et de Mauro Poggia en charge des questions d’hébergement face à cette « crise sans précédent ». On est ainsi en droit d’accueillir avec une certaine retenue les chiffres des nouveaux centres prévus, et du « début des chantiers possible entre 2018 et fin 2019 ». Mais surtout, on est en droit d’être surpris de lire qu’ils « ont pour point commun d’être provisoires » et visent à « compenser les futures pertes de lieux d’hébergement. » Ainsi, rien de neuf mais du remplacement ; rien de durable, mais du temporaire.

Faute avouée, à moitié pardonnée ?

Ce communiqué sonne donc comme un aveu. L’aveu que l’inaction crasse des autorités sur la question de l’hébergement et les 3 ans qu’il a fallu attendre pour que les bunkers ferment, sont le résultat d’une attitude délibérément attentiste. Serrer les dents jusqu’à ce que le nombre d’arrivées baisse, et s’accommoder de l’indigne et de l’inhumain sans jamais assumer ses responsabilités.

Plus qu’un aveu, c’est aussi une caresse dans le sens du poil de celles et ceux qui condamnent l’invasion étrangère de la Suisse. En insistant sur l’aspect temporaire de ces constructions, en limitant leur nombre au strict minimum, on inscrit la politique d’hébergement comme ce qu’elle est en réalité : une construction ségrégationniste et raciste, où les personnes en exil sont traitées comme un problème, et où l’asile n’est pas un devoir d’humanité mais un fardeau à éliminer. Que cette politique conduise inévitablement à une nouvelle crise et à une réouverture des bunkers dans les années à venir ne semble émouvoir aucun de ses promoteurs.

« On fait le bilan, calmement, se remémorant chaque instant... »

Au sein du collectif Sans Retour, nous avons vu passer ces trois ans à une vitesse folle. Mais si dans la chanson, le temps passe et les choses changent, c’est la grimace qui est de mise sur le front de l’exil. La seule constante qu’il faut reconnaître aux autorités est celle de leur mépris à l’égard des personnes en exil en lutte, et vis-à-vis de leurs engagements : des membres du collectif No Bunkers traités de délinquants multi-récidivistes, aux habitants de Frank-Thomas qu’on remercie d’avoir sauvé leur foyer en les empêchant d’y retourner une fois celui-ci rénové, en passant par les renvois violents, la négation des violences policières et des responsabilités dans des drames comme l’incendie mortel du foyer des Tattes.

L’évolution la plus notable qu’il nous faut remarquer est la refonte complète de la communication de l’Hospice général : soirées d’information, chargés de communication, nouveau site internet ; on sent que l’institution a peiné à répondre aux attaques dont elle a fait l’objet.

Mais en ce qui concerne les conditions d’accueil des personnes en exil, c’est la consternation. Les baisses massives de nouvelles et nouveaux arrivant.e.s en Suisse sont le résultat d’une politique de verrouillage de l’Europe, d’une intensification de la guerre de basse intensité faite aux personnes qui tentent le voyage ou encore de politiques de plus en plus restrictives quant à l’accueil, notamment avec la reconnaissance de l’Érythrée comme “État sûr” et donc éligible aux renvois. La Suisse ne doit pas être un Eldorado pour l’immigration, il faut que cela se sache, et qu’aucun doute ne subsiste.

Quant à la question de l’hébergement, c’est le provisoire à tous les niveaux qui domine. En attendant, la mise en œuvre de la nouvelle loi sur l’Asile instaure le centre fermé, entouré de barbelé, comme nouveau standard de « l’accueil ». Construits directement aux abords des aéroports, ces nouveaux centres fédéraux, largement gérés par des entreprises privées, répondent ainsi à la première préoccupation de la Suisse : améliorer la gestion technique et optimiser les renvois des personnes en exil.

Pour une approche humaine, on repassera.

Genève, le 9 février 2018
Le collectif Sans retour
sanretour@riseup.net

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