Six participants qui avaient reçu une amende de plusieurs centaines de francs pour « manifestation non autorisée » (les six) et « dissimulation du visage » (un seul) ont été acquittés ce vendredi 18 août par le Tribunal de police. Le juge a estimé que la simple participation à une manifestation non autorisée ne constituait pas une infraction en tant que telle et que rien ne prouvait que les prévenus étaient les organisateurs du défilé.
Contre le régime d’Erdogan et la répression du peuple kurde
Le premier ministre turc Recepp Tayip Erdogan était attendu à Genève à la mi-janvier dans le cadre des négociations gréco-turques sur l’avenir de Chypre, il n’a finalement pas fait le déplacement après avoir annoncé dans un premier temps sa venue. Une première manifestation unitaire avait eu lieu le 12 janvier à midi devant le siège de l’ONU avec des mots d’ordre contre l’état d’urgence en Turquie et la répression du peuple kurde. Le dispositif policier était très conséquent et angoissant, ce qui avait poussé certain-e-s militant-e-s à remettre le couvert le soir même pour un second défilé.
Cette seconde manifestation nocturne restera sans doute dans les annales comme la plus courte de l’histoire des manifestations à Genève puisque le cortège n’a pu défiler que sur 50 mètres environ avant de subir une violente charge par les policiers en tenue anti-émeute à hauteur du boulevard James-Fazy. Quarante personnes en fuite ont ensuite été arrêtées sur le quai du Seujet parfois en ayant été copieusement insultées et passées à tabac comme l’explique cet article du Groupe antirépression Genève (GAG). Parmi les personnes arrêtées figurait un jeune homme d’origine gambienne qui n’avait rien à voir avec la manifestation mais que les policiers avaient cru bon d’intégrer dans la nasse et d’emmener en garde-à-vue avec les autres.
Ces arrestations ont donné lieu à une communication triomphaliste de la police genevoise, intégralement reprise par les médias. Genève avait semble-t-il été sauvé de l’assaut de « quarante casseurs […] membres du black bloc » armés de feux d’artifices extrêmement dangereux. Les amendes ont ensuite commencé à pleuvoir mais le fait de les contester a finalement payé !
Déroulement du procès du 18 août 2017
Le procès lui-même s’est divisé en quatre parties, l’audition des prévenus, l’audition d’un témoin (un policier), les plaidoiries des avocats de la défense et le rendu du verdict. Dans un premier temps, le juge a posé des questions sur la situation professionnelle et financière des six prévenus, puis a abordé la manifestation elle-même. Les questions ont toujours été les mêmes, soit de savoir s’ils reconnaissaient avoir participé à la manifestation, comment ils étaient informés de sa tenue, s’ils en étaient les organisateurs et enfin, s’ils connaissaient les dispositions de la Loi genevoise sur les manifestations de 2012. Tous les prévenus ont nié être les organisateurs et le rapport de police à charge contre eux était désespérément vide de toute précision à ce sujet.
L’essentiel du procès a en fait tourné autour du cas du septième prévenu, le jeune gambien cité plus haut qui était lui aussi accusé d’être l’organisateur du défilé nocturne(!). Son avocat a demandé au policier rédacteur du rapport à venir à la barre en qualité de témoin. C’est là que le cirque a vraiment commencé : le policier en question membre du GMO (groupe maintien de l’ordre, policier anti-émeute) a nié avoir participé à la nasse (il « attendait à l’extérieur ») et était incapable d’expliquer pourquoi un type qui passait par là s’était retrouvé pris dans cette procédure judiciaire. En effet, quand le juge lui a demandé comment il était arrivé à la conclusion que cet homme faisait partie de la manifestation, le policier a répondu que « toutes les personnes encerclées [dans la nasse du Quai du Seujet] faisaient partie de la manifestation ». CQFD ! Le policier s’est ensuite empêtré dans ses déclarations en disant que l’homme n’avait rien dit pour se défendre, qu’il était « passif » … mais qu’il avait tout de même parlé en anglais, mais « pas à lui », car il ne maîtrise pas cette langue. La farce est totale et le juge ne cache pas son agacement. Les plaidoiries des trois avocat-e-s sont brillantes et pointent du doigt le fait que les policiers eux-mêmes établissent une équivalence entre le simple fait de s’être rendu à la manifestation et d’en être les « organisateurs ». Le juge a ensuite délibéré et a acquitté les sept prévenus (les six manifestants et le jeune homme attrapé par hasard). L’État de Genève a été condamné au payement des frais d’avocats et de procédure, et même d’indemniser financièrement l’un des prévenu pour sa journée de travail perdue à cause de l’audience du jour.
Une déconvenue de plus pour le Conseiller d’Etat en charge de la police
La répression est tombée sur un os, tant mieux ! En 2016, le chef du Département de la sécurité et de l’économie Pierre Maudet avait annoncé qu’il refondait la doctrine de maintien de l’ordre suite aux dégradations matérielles durant la manifestation « sauvage » pour défendre la culture alternative du 19 décembre 2015. Plusieurs signes laissent à penser que la répression à force ouverte de la manif anti-Erdogan et la distribution générale d’amendes au moindre rassemblement fait partie de cette stratégie, mais que celle-ci est plus difficile à mettre en œuvre que prévu. Comme l’expliquent les camarades de Défense Collective Rennes (Bretagne), « le but est de casser le mouvement en déplaçant les conflits politiques sur un plan pénal où celles et ceux qui luttent finissent toujours par être visé-e-s par l’accusation » La justice est un rapport de force, et le fait de s’opposer systématiquement à la répression en contestant toutes les amendes reçues après des manifestations en fait un terrain de lutte à part entière.